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«Je vais te casser la gueule» : en Loire-Atlantique, les élus réclament plus de fermeté face aux agressions

Harcèlement, injures, violences physiques... Les maires du département dénoncent des réponses pénales trop lentes face aux actes de malveillance dont ils sont victimes.

Le Figaro Nantes

« Les violences morales envers les élus sont parfois plus destructrices que les violences physiques » : Nadège Placé, maire de Vue, en Loire-Atlantique, parle en connaissance de cause. Dans ce bourg de 1600 habitants, l'ancien édile n'a plus le droit de mettre les pieds à la mairie. Hormis pour des procédures administratives. Il lui est également interdit de contacter sa successeur.

Jeudi 1er décembre, Pascal Rabevolo, déjà démis de ses fonctions de conseiller d'opposition par le Tribunal administratif en 2021, a été placé sous contrôle judiciaire. En attendant de comparaître lors d'une audience prévue le 15 mai 2023. «Je ne dirais pas que c'est un soulagement. C'est normal dans le sens où quand quelqu'un transgresse la loi, il doit avoir affaire à la justice, notamment quand il s'agit de harcèlement, injure et diffamations, réagit Nadège Placé auprès du Figaro. C'est une décision du procureur en attente du jugement. Je suis satisfaite pour le moment ».

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Cette dernière avait déposé plusieurs plaintes contre lui depuis juin 2020, dont une pour outrages. Elle avait regretté son intervention dans plusieurs conseils municipaux, au cours desquels les gendarmes étaient intervenus à plusieurs reprises. Selon les informations de Ouest France , Pascal Rabevolo a lui aussi déposé des plaintes à l'égard de sa remplaçante.

Une lettre adressée à Emmanuel Macron

Au-delà de cette histoire, ce placement sous contrôle judiciaire intervient une semaine après le dépôt d'une lettre à Emmanuel Macron. Mercredi 23 novembre, lors du traditionnel salon des Maires, Nadège Placé a remis en main propre au président un courrier signé par 550 élus de Loire-Atlantique, de gauche comme de droite. Si le cas de Vue y était évoqué, « la lenteur de la justice et les classements sans suite par manque de moyens renforcent le sentiment d'impunité et de toute puissance des auteurs d'infractions contre les élus », y lit-on également.

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« Nous enregistrons en effet quelques plaintes pour ce type de faits, encore peu nombreuses heureusement. On sent bien que c'est une préoccupation croissante de la part de nos élus», indique au Figaro Renaud Gaudeul, le procureur de la République de Nantes, qui distingue deux types de faits : « les difficultés que rencontrent les élus avec leurs administrés, et les faits dénoncés dans ce qui est présenté comme étant un conflit politique ». Le dossier de la maire de Vue « en est la démonstration. Il faut faire attention à ce que la réponse pénale ne porte pas atteinte au jeu démocratique. Dans ce dossier, j'ai considéré que le comportement et les propos tenus par cet individu outrepassaient ce qui pouvait être admis dans le cadre d'un débat démocratique».

«Engorgement des tribunaux»

S'il est difficile de répertorier le nombre d'agressions au niveau départemental, les élus de Loire-Atlantique se réfèrent aux statistiques nationales. «En 2020, on constatait 1276 signalements, dont un quart des faits étaient des injures ou des menaces écrites et, dans la même proportion, des atteintes aux biens privés. En 2021, on observe une explosion de ces agressions et incivilités, ayant bondi de 47% », soulignent l'Association des Maires de Loire-Atlantique (AMF 44)et l'Association des Maires Ruraux de Loire-Atlantique (AMR 44).

Selon les chiffres du ministère de l'Intérieur, entre le 12 juillet 2021 (annonce de la mise en place du passe sanitaire) et le 31 octobre 2022, 3018 procédures judiciaires pour atteinte à un élu ont été établies en France, dont 1183 au cours du second semestre 2021 et 1835 au cours des dix premiers mois de 2022.

«Il faut que l'action procédurale soit plus ferme, ne pas classer sans suite les dossiers», insiste Maurice Perrion, président de l'AMF 44, même s'il a conscience de « l'engorgement des tribunaux ». « Il faut bien identifier les agressions. Quand elles sont trop importantes, là ça vaut le coup de les porter en justice », renchérit-il. Le maire de Ligné se souvient avoir vu son effigie pendue sur les réseaux sociaux dans le cadre du transfert d'un centre d'entraînement : «J'ai porté plainte une fois. Mais j'ai le cuir plus épais». Aujourd'hui, l'AMF se porte d'ailleurs partie civile lors d'agressions d'élus.

Lorsqu'on nous agresse, on agresse la République

Gwenaël Crahes , maire de La Grigonnais

Gwenaël Crahes, maire de La Grigonnais, au nord de Nantes, fait partie des victimes. En juillet, un incident est survenu dans la cour de récréation. À la sortie de l'école, un parent d'élève ne «décolérait pas». «Je lui ai demandé de se calmer mais à ce moment-là, il s'est tourné vers ses filles en leur disant : 'allez dans la voiture, je ne veux pas que vous voyiez ça, je vais lui casser la gueule'». Finalement, l'élu a eu le temps d'appeler la gendarmerie et a échappé aux coups. «Lorsqu'on nous agresse, on agresse la République», affirme celui qui est allé porter plainte. « Cinq mois après, ça patine», relève l'édile de 1700 habitants.

«En commune rurale, on est plus impactés . On est à portée d'engueulades, de baffes et de coups de fusil», constate Roch Chéraud, président de l'AMR 44 et maire de Saint-Viaud. Quant aux profils des agresseurs, ils sont variés : «un ancien maire qui connaît la loi ; l'alcoolique du village, le parent excédé qui n'a pas eu son permis de construire ; celui qui n'a plus accès à internet : le maire est le bon Dieu, il doit savoir tout faire !».

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«On sent bien qu'on a des élus qui sont sur le point de démissionner, ou sur le point de craquer physiquement et psychiquement», poursuit Robert Samama, référent départemental (AMF44) de l'Observatoire
des agressions contre les élus locaux et maire du Pouliguen, tout en constatant que ces comportements touchent « bon nombre de professions : pompiers, police...». Un agent du fisc a même été tué récemment, dans le Pas-de-Calais.

La Loire-Atlantique reste quant à elle très marquée par le suicide du maire de Rezé, en février 2022, au sein de l'hôtel de ville. Hervé Neau avait notamment reçu des courriers malveillants « relatifs pour l'essentiel à sa vie privée et pouvant être considérés comme diffamatoires » selon le procureur. Une enquête avait été ouverte pour « harcèlement moral ».

Des mesures préventives

«Le fait d'en arriver à poursuivre au tribunal reste relativement rare», explique le procureur, en précisant que d'autres sanctions existent, à l'instar des stages de citoyenneté. «Le sujet est pris très sérieux par le parquet», insiste Renaud Gaudeul. Une juriste assistante travaille particulièrement sur les affaires concernant les élus.

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Par ailleurs, les forces de l'ordre proposent des formations pour apprendre à se défendre. Côté police, deux sessions ont été organisées par le RAID à Nantes et une à Saint-Nazaire depuis le 1er juillet 2021. 24 élus ont ainsi appris à réagir en cas de conflit ou d'incivilités. Côté gendarmerie, l'application nationale Gend'Élus, lancée en décembre 2021, permet de discuter avec les autorités. Aussi, sept sessions de formation, en partenariat avec des négociateurs du GIGN , ont été mises en place auprès de 136 maires, adjoints ou conseillers municipaux, dans 77 communes du département. Les autorités sont partantes pour en organiser d'autres, si de nouveaux élus se manifestent.