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Joëlle Farchy : « La frontière entre les salles et les services en ligne ne pourra pas rester aussi étanche »

Quel impact auront sur l’écosystème du cinéma les décisions prises par Disney de ne pas diffuser dans les salles françaises certains de ses prochains films ?

Les salles françaises sont très dépendantes des films des grands studios américains. Lorsque les blockbusters de ces studios sont directement disponibles sur les services en ligne, c’est tout l’écosystème des salles françaises qui perd ses locomotives. Disney est encore un cas à part. Il bénéficie d’une « marque » incroyablement forte et le groupe Disney à lui seul fournissait environ un quart des entrées avant la crise sanitaire. Lorsque « ses » films ne sortent pas en salles, celles-ci perdent donc une grande part de leur attractivité pour les spectateurs. De plus, toute la chaîne est impactée puisque les ressources d’une taxe sur le prix des billets en salles, qui profitent à toute la filière, sont elles aussi taries.

La critique de la chronologie des médias ne cache-t-elle pas une stratégie globale de l’ensemble des plateformes ?

Il faut d’abord rappeler que la chronologie des médias n’est pas totalement une spécificité française. Mais, ailleurs, elle est obtenue par des arrangements contractuels privés, sans regard des pouvoirs publics. Surtout, elle s’est considérablement assouplie ces dernières années pour répondre justement aux nouveaux usages numériques. L’opposition n’est donc pas celle entre des plateformes, le plus souvent américaines, et le cinéma hexagonal, mais entre des usages numériques de 2022 et un modèle économique du cinéma français daté. La frontière entre les salles et les services en ligne ne pourra pas rester aussi étanche qu’actuellement.

La chronologie des médias avait vocation à défendre l’« exception culturelle ». Comment la promouvoir aujourd’hui ?

Il faut dissocier les deux choses. L’exception culturelle renvoie à des négociations internationales du Gatt, ancêtre de l’OMC, qui ont eu lieu en 1994, bien après, donc, que la chronologie des médias ait été mise en place. Au terme de l’accord obtenu, il a été décidé que la culture, l’audiovisuel en réalité, ne devait pas être considérée comme une marchandise comme les autres et devait donc faire l’objet d’une exception aux règles de libre-échange du commerce international. Cela veut dire accepter, pour ce secteur précis, des formes de protectionnisme et de soutien public. La chronologie des médias, quant à elle, n’est pas un totem mais un outil, parmi d’autres, au service de deux objectifs : préserver les salles et favoriser l’investissement dans la création cinématographique. La vraie question est plutôt de savoir quels sont les moyens adaptés pour atteindre ces objectifs dans un monde qui a changé et, surtout, pour quels objectifs le monde politique a encore envie de se battre dans l’audiovisuel.