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Kerwin Spire, l’envie devant soi de Romain Gary

C’est tout de même assez intrigant de consacrer un récit biographique à Romain Gary, né Roman Kacew, lui qui a toujours brouillé les pistes de son identité. Qui plus est un deuxième volume, un an à peine après la sortie de Monsieur Romain Gary. Consul général de France (qui vient de sortir en poche Folio). Mais, l’enjeu pour Kerwin Spire n’est pas de lui coller une étiquette mais plutôt de fixer un pan de sa vie personnelle avec Jean Seberg. Il nous faut pousser la porte de leur appartement à Saint-Germain-des-Près. Drôle d’exercice, un peu voyeuriste. Et, le titre Monsieur Romain Gary. Ecrivain-Réalisateur et le sous-titre, 108, rue du Bac – Paris VIIe – Babylone 32-93, donnant l’impression de décacheter une lettre qui ne nous est pas adressée, renforcent cette impression.

Charismatique et fougueux

On entre alors dans une famille rongée par les tabloïds, la morale et leur désir de création. Seberg déserte Paris pour les plateaux de tournage ; Gary court sur ses traces quand il ne s’enferme pas pour écrire animé par cette «volonté de changer de peau». Ou pour réaliser en 1968 son premier film, les Oiseaux vont mourir au Pérou qui offre à Jean Seberg, selon lui, son «grand rôle», celui d’une femme perturbée poursuivie par son mari. «Je veux traiter ce sujet tragique en termes poétiques, la folie ne doit pas être une évidence, elle doit se dévoiler peu à peu au spectateur.» Folie, on ne sait pas mais supercherie sur les lieux, ça c’est sûr car tout est tourné en Andalousie. Le sable fin de la plage de Mazagón s’étend à perte de vue. Un paysage paradisiaque si on en oublie la façade d’un bordel dirigée par Danielle Darrieux et d’«un café sur pilotis dont les grandes baies vitrées qui ouvrent sur l’océan rappellent les maisons modernistes de la côte californienne». Et, Pierre Brasseur en «smoking blanc» clopinant les chaussures pleines de sable. On l’avait connu plus charismatique et fougueux dans les Enfants du Paradis de Carné ; ici, il semble ubuesque sous la plume de Kerwin Spire. Raccord avec le tournage : mauvais temps, problèmes techniques avec la caméra et les rushes. «On est carrément sur la Lune», c’est peu de le dire. L’exercice semble cependant être cathartique pour Romain Gary. Bien plus qu’un long-métrage, c’est finalement son «cri d’amour désespéré». Il réinvente Jean Seberg comme Ludo le fait avec Lila Bronicki dans les Cerfs-Volants. Beau sur le papier mais insuffisant : clap de fin en 1970 de leur mariage.

Liste bibliographique

Accueillir les absents est une menace sur les frontières du moi. Romain Gary le sait. Il porte en lui la mémoire de Seberg et celle des disparus de la Seconde Guerre mondiale. Dédier son dernier roman «à la mémoire» semble être le coup final de Gary pour se débarrasser de cette ombre, car s’évanouir en mars 1966 à Varsovie n’aura pas suffi. «Il a perdu quelqu’un dans le ghetto ? Oui. Qui ça ? Tout le monde !» La mémoire l’a englouti. La Danse de Gengis Cohn «qui aborde la Shoah avec le parti pris pleinement assumé de l’humour noir» en naît. Il ne se complaît pas dans la mémoire, il la transforme en langage, en lutte, en vie. Il transmet, reconstruit et imagine. Comme Kerwin Spire. Monsieur Romain Gary – Ecrivain-Réalisateur est à la fois un récit d’aventure et biographique : à la fin, une bibliographie est listée. On y retrouve aussi bien Dominique Bona et David Richards que les archives Gallimard. Le ton est celui d’un universitaire, froid au début et lyrique au fur et à mesure qu’on avance. Il ne s’agit pas d’être guidé mais plutôt de comprendre l’élan de vie, souvent recherché par Romain Gary, qui s’insuffle dans ces pages. Kerwin Spire le découvre pour la première fois dans les Cerfs-Volants, le dernier roman publié de son vivant. La fin pour l’un, le début pour un autre.

(1) Qui reparaît dans un recueil de romans de Romain Gary, Légendes du je. Récits, romans, Gallimard «Quarto».
Kerwin Spire, Monsieur Romain Gary. Ecrivain-Réalisateur - 108, rue du Bac - Paris VIIe - Babylone 32-93, Gallimard, 240 pp., 20,50 € (ebook : 14,99 €).