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« L'aéroport de Toulouse est toujours en convalescence mais nous percevons une véritable reprise » (Philippe Crébassa)

LA TRIBUNE - Après avoir connu un effondrement avec la crise sanitaire (le trafic de l'aéroport Toulouse-Blagnac avait chuté de neuf à trois millions de passagers en 2020), le trafic aérien reprend des couleurs. Quel bilan tirez-vous de ce début d'année et de la saison estivale ?

PHILIPPE CRÉBASSA- Le début de l'année 2022 signe le premier semestre de véritable reprise du trafic. Contrairement à 2021, où nous avons connu une succession de rebonds et de rechutes sans jamais voir le trafic décoller, nous avons accueilli cette année 3,2 millions de passagers entre janvier et fin juin. C'est plus que ce que nous avons réalisé sur toute l'année 2020 et c'est quasiment autant que sur la totalité de 2021 (3,8 millions de passagers annuels). Juillet et août ont été un prolongement naturel de cette reprise amorcée depuis le mois d'avril. Au total, nous avons accueilli environ 1,2 million de passagers, soit 75 et 80 % du niveau réalisé à la même période sur l'année 2019. La reprise est là même si l'aéroport est encore en convalescence et qu'il y a encore du chemin à faire pour retrouver notre niveau d'activité d'avant-crise.

Sur le plan opérationnel, au démarrage de l'été, beaucoup craignaient le crash. C'est vrai que les difficultés à Roissy tout début juillet pouvaient laisser craindre le pire. Ce crash n'a pas eu lieu. Pas plus à Toulouse que sur les autres plateformes. Nous avons eu des difficultés, bien sûr liées aux irrégularités d'exploitation des compagnies aériennes, irrégularités dues à une multiplicité de facteurs : un manque de personnel,  des difficultés techniques sur les machines, l'accumulation des retards sur les rotations pendant la journée, etc. Nous avons connu aussi un niveau inhabituel de grands retards de vols de plus de deux heures. Malgré tout, 90 % des vols au départ de Toulouse sont partis avec un retard de moins de quinze minutes. Autre motif de satisfaction, sur plus de 500.000 bagages traités cet été, seulement 50 n'ont pas été chargés et au final tous les voyageurs ont récupéré leurs bagages.

Ensuite, si l'on regarde ce qu'il s'est passé cet été à l'échelle nationale, on peut distinguer deux groupes d'aéroports. D'un côté, les méditerranéens, les littoraux, qui ont performé, voire même surperformé par rapport à 2019. Il s'agit d'aéroports de destination touristique, certains avec une composante de trafic ethnique également très très importante. Le trafic est moindre dans le deuxième groupe d'aéroports dont nous faisons partie avec Lyon ou Bordeaux. Nous sommes moins des destinations estivales et cette année nous avons peut-être un peu plus souffert des canicules successives que les villes du littoral.

 Au niveau des destinations, quelles tendances se dégagent ?

Les deux lignes vers Paris-Orly et CDG sont toujours notre locomotive et représentent  le quart du trafic total de l'aéroport. Au-delà de Paris, le trio de tête français est complété par Lyon et Lille. Sur l'international, l'aéroport a aussi enregistré des volumes importants de voyageurs vers Londres et Munich, des points de correspondance vers des destinations plus lointaines. Cet été, les passagers sont aussi beaucoup partis, bien sûr vers l'Europe du Sud, que ce soit l'Espagne ou le Portugal, mais aussi l'Afrique du Nord, Algérie et Maroc en tête. C'est même ce secteur de destination qui a le plus performé pour nous cet été puisque l'ensemble du Maghreb a atteint 94 % en trafic de 2019 sur la même période quand la moyenne générale était de l'ordre de 75 à 80%.

Comment se profile la fin d'année ?

La fin d'année s'annonce de qualité avec des taux de réservation prometteurs. Depuis la rentrée, nous remarquons une activité très dynamique sur les passagers affaires. Bien sûr, les entreprises ont adapté leur politique de voyage et il y a moins d'allers-retours dans la journée pour de courtes réunions. Mais ces dernières semaines nos parkings de proximité, très prisés des passagers affaires, sont très bien remplis, voire même pour certains saturés. Nous sommes assez confiants pour dépasser 6 millions et demi de passagers en 2022.

Pour autant, nous restons prudents pour plusieurs raisons. D'abord bien sûr, il faut prendre en compte les conséquences de la crise géopolitique sur le pouvoir d'achat des ménages au travers du coût de l'énergie et les déplacements en avion qui ne font pas partie des dépenses essentielles. La politique des déplacements des entreprises continue de s'adapter. Et puis, il ne faut pas exclure le risque de retour pandémique. Les tendances du secteur estiment qu'il faudra attendre 2024 ou 2025 pour retrouver notre niveau de 2019.

En attendant, l'aéroport de Toulouse accélère sa diversification en allant chercher des nouveaux relais de croissance...

Avec la crise du Covid, pour la première fois en 50 ou 70 ans dans l'aviation commerciale, nous avons réalisé notre niveau de fragilité face à ce type d'événement et le risque d'être uniquement nourri par l'activité aérienne. Pour être plus résilient, il faut diversifier nos sources de revenus. Nous n'avons n'a pas attendu le Covid puisque cela fait une dizaine d'années que nous diversifions nos revenus, notamment par l'immobilier. Nous avons eu ce projet de station hydrogène Hyport, nous sommes propriétaires de l'hôtel NH, nous avons également bâti un tout nouveau hangar logistique pour FedEx, l'industriel Hutchinson vient d'inaugurer son tout nouveau bâtiment...

Universal Hydrogen imagine depuis Toulouse l'avion à hydrogène

Depuis le début de la crise, ces revenus immobiliers ont agi comme un tampon par rapport à la chute vertigineuse des revenus aéronautiques. Nous avons une centaine de bâtiments sur la concession et l'ensemble représente aujourd'hui environ 22 millions d'euros par an (sur un chiffre d'affaires de 165 millions d'euros en 2019). Nous n'allons pas nous arrêter là. Nous avons encore du foncier disponible et nous allons mener un projet de réaménagement complet de Blagnac 1, ce quartier qui est au sud de l'aérogare et qui constitue une porte d'entrée sur les sièges sociaux d'ATR et d'Airbus.

Le Medef s'inquiète d'une potentielle interdiction des vols de nuit sur l'aéroport de Toulouse face à l'importante mobilisation d'associations. Comment l'aéroport agit-il pour réduire au maximum ces nuisances ?

Avant la crise, en 2019, sur la totalité de l'année, nous avions enregistré en cœur de nuit sur la tranche minuit-6 h un peu plus de 1.500 vols, environ quatre vols par nuit en moyenne. Or, depuis, le trafic s'est écroulé, le trafic de nuit s'est écroulé également. Avec la reprise d'activité, la croissance du trafic en cœur de nuit reste largement inférieure à celle du trafic total. C'est parce que nous avons pris des mesures fortes, notamment vis-à-vis des compagnies qui avaient l'habitude de programmer leurs vols dans le cœur de nuit. C'était le cas de Volotea. Cette compagnie a quasiment divisé par trois le nombre de vols programmés dans le coeur de nuit cet été.

Ce qui est important, c'est aussi le plan de prévention du bruit dans l'environnement qui devrait être publié par arrêté préfectoral dans les prochains jours et qui fixe des objectifs très ambitieux pour 2023. C'est la première fois en France que les acteurs s'engagent sur un objectif qui n'est pas seulement en nombre de vols, mais aussi un volume de population impactée.

Craignez-vous toujours à long-terme l'impact de la taxe aéroport sur la compétitivité des plateformes françaises ?

Toulouse n'est pas véritablement en concurrence par rapport à d'autres plateformes françaises. La zone de chalandise se recoupe assez peu vis-à-vis de Bordeaux ou Montpellier. En revanche, lorsque Barcelone bénéficie d'un cadre réglementaire plus favorable cela représente un défaut de compétitivité pour Bordeaux. Sur le sujet de la taxe de sécurité sûreté (ancienne taxe aéroport), l'État paie une avance aux aéroports pour couvrir le déficit de cette taxe qui couvre des missions régaliennes et pour lesquelles les compagnies versent une taxe à l'Etat. Mais le gouvernement a déjà décidé d'augmenter la taxe de matière conséquence dans les années à venir et tous les aéroports français, peuvent perdre beaucoup en compétitivité.

L'aéroport de Toulouse voit arriver cet automne une nouvelle compagnie Chalair qui va reprendre certaines destinations (Nantes, Marseille) qui ne sont plus assurées par Air France. Un mot sur cette reconfiguration du trafic en France ?

Le retrait d'Air France sur certaines lignes domestiques nous a inquiétés puisque nous avons une réelle demande à satisfaire. Et nous avons vu dans le même temps le début d'une recomposition avec des acteurs plus petits, agiles, utilisant des avions de taille plus petite et donc permettant d'obtenir l'équilibre économique avec un trafic moindre. C'est toute l'agilité du transport aérien et qui crée la différence entre le train et l'avion puisqu'il est possible d'adapter le nombre de sièges en fonction de la demande.

Aéroport de Toulouse : Chalair s'allie avec Air France pour des vols vers Nantes et Marseille

Comment voyez-vous l'avenir de l'aéroport dans les prochaines années ?

Ce qui est certain, c'est que même si en 2024 ou 2025, nous aurons récupéré un trafic de 9,6 millions de passagers comparable à 2019, la typologie du trafic aura évolué. Le réseau de destinations aussi, on l'espère. Nous travaillons par exemple étroitement avec Air Canada pour une ligne régulière à l'année vers Montréal. La typologie de la clientèle va aussi évoluer avec peut-être un peu moins de voyages d'affaires mais un trafic affinitaire et touristique toujours très soutenu. Le trafic aérien ne sera pas le même qu'avant la crise mais les acteurs du transport aérien auront aussi évolué.