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L’Astrance : « Je peux enfin couper les coquillages et le poisson cru à la minute », lance le chef Pascal Barbot

Ancien chef trois étoiles de l’Astrance, Pascal Barbot revient, après trois ans de fermeture due au Covid et quelques passages comme chef d’épreuve à Top Chef. Il ouvre un nouveau restaurant, toujours baptisé l’Astrance, mais qui n’a plus rien à voir : c’est une nouvelle adresse, implantée dans l’ancien Jamin de Joël Robuchon, qu’il a voulu adapter aux exigences et aux demandes de notre époque. Précurseur dans les années 2000 d’une gastronomie accessible et décomplexée, inventeur du menu unique, le chef évoque pour 20 Minutes la crise que traversent la restauration aujourd’hui et ses solutions qui doivent tenir compte avant tout de l’évolution des goûts des clients.

Comment prenez-vous vos marques, un mois après l’ouverture ?

On a davantage de personnel, plus d’équipements, trois fois plus d’espace… On pourra mettre plus de choses en place. C’est pour ça que je tenais tant à déménager, même si on a beaucoup aimé le petit restaurant en faillite qu’on a repris il y a vingt ans dans une rue sans passage, ce « petit chez soi mieux qu’un grand chez les autres » comme le dit le proverbe. Le hasard a fait qu’on se retrouve là où M. Robuchon a écrit une partie de son histoire… Mais pour nous, c’est surtout un endroit qui cochait toutes les cases. Par rapport au budget, par rapport à la surface : jamais je n’aurais pensé que c’était aussi grand.

Si la surface a augmenté, vos prix aussi. Comment les avez-vous fixés ?

Maintenir nos tarifs n’aurait pas possible. Le menu déjeuner est passé de 95 à 125 €. Le soir, c’était 250 € le menu surprise et maintenant c’est 285 €. Mais on a des charges supplémentaires, les matières premières ont augmenté, les énergies, c’est fou… Tous les restaurants gastronomiques ne proposent pas un déjeuner à 125 €. C’est un gros budget, on est d’accord, mais pour qui veut découvrir l’univers Astrance, c’est possible. Et on propose désormais des plats à la carte…

Une carte, c’est nouveau pour vous qui avez lancé la mode du menu unique !

Quand on a ouvert l’Astrance, il y a vingt ans, la cuisine était toute petite, mais on avait envie de montrer au client tout ce qu’on savait faire. D’où l’idée d’un menu unique composé d’une multitude de plats. Beaucoup nous ont copiés. Mais avec toutes les crises qu’on a traversées, les clients n’ont plus forcément envie de passer quatre heures à table. Par contre ils voudraient peut-être venir plus souvent, ne commander qu’un plat, des pâtes aux truffes, une tourte de colvert, un carré d’agneau, des Saint-Jacques… On garde notre menu « surprise », car c’est notre identité. La carte est un plus.

Servez-vous déjà de nouveaux plats ?

Les coquillages et crustacés, c’est tout nouveau. Autrefois, on ne pouvait pas : il faisait tellement chaud en cuisine. Maintenant, on peut couper les coquillages ou le poisson cru à la minute. Servir une praire avec un jus d’agrumes infusé au piment ou faire la langoustine avec une pâte de cacahuète, c’est fabuleux… Et pour les desserts, on a enfin une vraie cheffe pâtissière. On n’en a pas eu pendant vingt ans. Enfin, il y a eu des jeunes qui se sont retrouvés chefs pâtissiers, mais ils avaient 19 ans. C’était des stagiaires…

Au début, l’Astrance s’est imposé par sa cuisine de haute volée faite avec des produits bon marché…

J’ai toujours préféré un joli maquereau à un mauvais turbot, un joli saumon fumé à un mauvais caviar. Pour moi, tous les produits sont égaux : le pain, les racines de légumes, un oignon, du caviar, un maquereau, une orange, une botte de persil. Je les travaille tous avec la même exigence, ça donne une glace au persil, une soupe au pain… Un poisson avec trois grains de caviar, est-ce que c’est vraiment une belle recette ?

Est-ce que vous avez un produit fétiche ?

J’adore le gingembre, les agrumes, tout ce qui donne du caractère et rend un produit très sympa. Avec la cuisine italienne, chinoise ou même en Auvergne, on se régale de simples produits. Au Japon, une tête de poisson peut donner un plat fabuleux, un bol de riz, ça peut être magique.

En déménageant, la question s’est-elle posée de changer le nom du restaurant ?

Au bout de trois secondes, on avait la réponse : on garde l’Astrance.

Même si vous avez emménagé dans l’ancien Jamin de Joël Robuchon ?

Cette adresse mythique, c’est la cerise sur le gâteau, mais on a cherché longtemps et c’est le hasard qui nous a poussés là.

Pourquoi n’arriviez-vous pas à trouver le bon endroit ?

On rêvait d’une vieille gare, d’une petite maison avec un jardin ou un patio, d’un endroit un peu sympa en bord de Seine… Mais on n’a pas trouvé. Ni à Paris, ni en dehors. On a cherché à Boulogne, à Neuilly. On a sollicité la Mairie de Paris qui ne nous a jamais répondu et les autres non plus. On sait qu’un restaurant dans une grande ville, ce sont des contraintes, ça engendre du bruit, des livraisons, du passage, qu’il faut penser aux normes, aux riverains, qu’il faut que ça s’intègre dans le quartier. Mais nous, on était prêt à investir et faire des travaux…

Recruter du personnel, était-ce compliqué ?

Il y a vingt ans, c’était déjà difficile d’attirer de jeunes talents. On n’avait pas beaucoup d’argent pour bien les payer, alors avec la mise en place des 35 heures, on a essayé de simplifier les horaires. On a fermé le restaurant les samedis, dimanches et lundis, ce qui était très nouveau à l’époque. Aujourd’hui, avec le retard sur les travaux, les difficultés économiques, on ne peut pas encore l’envisager, mais ce sera l’objectif dès que possible. Notre autre atout, c’est la formation des jeunes. Adeline Grattard, Manon Fleury, Chloé Charles, Tatiana Levha, Ayako Ota qui est à Bordeaux, Guillaume Foucault, Magnus Nilsson, Sylvain Parisot… Il y en a une quarantaine qui est sortie de chez nous et qui sont installés. Si j’avais 20 ans, je serais content de venir apprendre à travailler à l’Astrance parce qu’on est bien structuré, on a les bonnes personnes pour les accompagner.

Votre participation à Top Chef, c’était une parenthèse pendant la fermeture du restaurant, quelque chose d’amusant, d’intéressant ?

Comme on n’avait pas de restaurant, on avait un peu de temps libre et l’idée de Top Chef, c’était d’aller à la rencontre de jeunes passionnés. La transmission fait partie de l’histoire de l’Astrance, mais elle se fait dans les deux sens. Moi aussi, j’apprends beaucoup des jeunes en cuisine, tous les jours. Et participer à Top Chef, c’était une façon de garder le contact avec cette jeunesse. Pendant le Covid, on n’a pas pu mettre en place de vente en ligne parce qu’on n’avait pas de réseaux sociaux, même pas de site Internet. On n’en avait jamais eu la nécessité. Et puis on s’est lancé sur Instagram et on a mis en place une petite boutique en ligne qu’on développera plus tard. Les jeunes, ce sont nos futurs clients, ce sont nos futurs employés, ce sont nos futurs producteurs. C’est l’avenir. C’est pour ça que participer à Top Chef, c’était important.

Alors que vous venez de rouvrir votre restaurant, que pensez-vous de la décision de René Redzepi de fermer le sien, Noma, considéré comme l’un des meilleurs au monde, pour se réinventer en laboratoire culinaire ?

Ce n’est pas nouveau, je prends l’exemple d’Alain Senderens ou encore Olivier Rœllinger, d’autres l’ont déjà fait, mais il est vrai que René Redzepi est un précurseur, un véritable chef de file. Ce n’est pas la fin pour lui, au contraire ! La gastronomie est un ensemble de savoir-faire, notre rôle est de la réinventer et de mettre en lumière le travail des artisans.

Êtes-vous d’accord avec lui lorsqu’il dit que « la haute gastronomie n’est plus viable et qu’il faut repenser complètement notre façon de travailler » ?

On ne peut plus cuisiner comme en 1960 - c’est un fait, la cuisine est quelque chose de sociétal. Il y a une part de vérité dans sa décision, la gastronomie a toujours su se réinventer et doit se réinventer. Nous devons cuisiner avec notre époque, de manière consciente et avertie du monde qui nous entoure. C’est ce que René a fait, c’est un choix courageux.

N’avez-vous pas été tenté de faire un tel choix ?

Est-ce que l’Astrance fait de la haute gastronomie ? Ce qui compte pour moi, c’est de servir du beau et du bon, mais aussi de s’entourer de producteurs incroyables, de savoir-faire, de jolies maisons qui font qu’une table puisse exister. C’est une question d’époque. Michel Bras a lui aussi ressenti le besoin de redimensionner la gastronomie. L’important, c’est de proposer une restauration cohérente avec son époque et ne surtout pas se reposer sur ses lauriers.

A un mois du lancement du Guide Michelin 2023, pensez-vous déjà aux étoiles qui seront décernées le 6 mars ?

Très honnêtement, non. Il y a vingt ans, on ne s’est jamais dit qu’on allait tout casser, qu’on allait faire un truc fabuleux, non. Quand le Guide Michelin a attribué trois étoiles en 2007 à un restaurant sans carte, sans voiturier, sans chef pâtissier, c’était courageux de leur part… Et quand ils nous ont retiré cette troisième étoile, le commentaire qui accompagnait la décision était bizarre. Dire qu’on était moins concentrés parce qu’on cherchait à déménager, ce n’était pas vrai. On était toujours là. On visitait des restaurants soit le matin, soit l’après-midi mais pendant le service, on était toujours là. Etre jugé, c’est le jeu, sinon on n’ouvre pas de restaurant. Mais au fond de nous-même, on sait qu’on ne triche pas. Si les guides nous suivent, c’est génial, et on est content quand on est récompensé. Mais on ne cuisine pas pour les guides et on ne va pas changer.