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L’économie russe, la grande perdante de la guerre en Ukraine

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Anne de Tinguy publie « Le Géant empêtré La Russie et le monde de la fin de l’URSS à l’invasion de l’Ukraine » chez Perrin.

© Kirill KUDRYAVTSEV / AFP

Bonnes feuilles

Anne de Tinguy publie « Le Géant empêtré La Russie et le monde de la fin de l’URSS à l’invasion de l’Ukraine » chez Perrin. Vladimir Poutine a engagé son pays dans un conflit néo-impérial d'un autre âge – une tragédie pour l'Ukraine, un séisme pour l'Europe, un point de bascule pour son pays. Cette guerre dévastatrice, qui illustre l'obsession de puissance du géant russe. Extrait 2/2.

Professeur des universités émérite à l'INALCO (Institut national des langues et civilisations orientales), Anne de Tinguy est chercheuse au CERI (Centre de recherches internationales) de Sciences po. Elle a publié de nombreux ouvrages, dont Moscou et le monde. L'ambition de la grandeur : une illusion ?, La Grande Migration. La Russie et les Russes depuis l'ouverture du rideau de fer et L'Ukraine, nouvel acteur du jeu international.

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Le paradigme de l’ancrage de la Russie à l’Occident, qui a fondé après 1991 le projet de partenariat russo-occidental, était notamment basé sur l’idée d’une convergence des intérêts économiques. Réelle ou supposée, cette convergence n’a pas eu l’effet escompté. La thèse développée par Samuel Pisar dans les années  1970, au moment de la détente soviéto-américaine, et reprise au lendemain de la fin de la guerre froide, selon laquelle le commerce est une « arme de paix », s’est une fois de plus révélée erronée103. Preuve en est que l’intégration de la Russie dans l’économie mondiale ne l’a pas empêchée de s’engager en 2014 dans une guerre contre l’Ukraine, qui s’est traduite par l’annexion de la Crimée et l’intervention dans le Donbass, puis, en 2022, par l’invasion de ce pays. Ce qui est analysé par la plupart des observateurs occidentaux comme une erreur stratégique majeure confirme que le Kremlin ne considère pas le développement économique comme une priorité. Comme toute guerre, ce conflit signifie une modification du système d’allocation des ressources redirigées du secteur civil vers le militaire, une destruction de richesses humaines et matérielles et une réduction des activités économiques.

En 2022, la rupture de tendance est d’autant plus forte qu’en réponse à l’agressivité de la Russie, les États-Unis, l’UE, la Grande-Bretagne, la Suisse, le Canada, le Japon, l’Australie, la Corée du Sud…, qui soutiennent l’Ukraine, notamment en lui livrant des armes, mais ne sont pas cobelligérants et ne veulent surtout pas le devenir, ont recours à tous les moyens autres que militaires dont ils disposent pour tenter de peser sur la politique de la Russie. Prolongeant et élargissant les mesures restrictives prises après l’annexion de la Crimée, ils la soumettent à un régime de sanctions sans précédent. Certaines sont diplomatiques : suspension depuis 2014 de la Russie du G8 et des négociations UE-Russie, suppression des dispositions visant à faciliter la délivrance des visas. D’autres sont individuelles : en mars 2022, 877 personnes (dont Vladimir Poutine et ses filles, Sergueï Lavrov, des députés de la Douma, des membres du Conseil de sécurité, des hauts fonctionnaires, des hommes d’affaires et des oligarques) et 62 entités sont l’objet d’un gel de leurs avoirs et d’une interdiction d’entrer sur le territoire de l’UE. D’autres portent sur le secteur financier : restriction de l’accès de certaines banques et entreprises aux marchés des capitaux, interdiction de tout financement public et investissement en Russie, gel des réserves de la Banque centrale russe (BCR), ce qui limite sa capacité à mobiliser ses réserves en devises (630 milliards de dollars) pour soutenir le rouble et contourner les sanctions, et exclusion du réseau financier international SWIFT d’une partie du secteur bancaire russe, ce qui complique fortement le fonctionnement des établissements concernés. D’autres visent le secteur de l’énergie : outre la décision allemande de ne pas autoriser la mise en service du gazoduc Nord Stream II, interdiction de nouveaux investissements, restriction des exportations d’équipements, de technologies et de services. Le transport est également visé : fermeture de l’espace aérien de l’UE, interdiction des exportations de biens de navigation maritime et de technologies de radiocommunication, interdiction de ventes d’avions, de pièces détachées et d’équipements. La défense est elle aussi concernée : interdiction des exportations de biens à double usage et de produits technologiques qui pourraient contribuer aux capacités de défense et de sécurité de la Russie, embargo sur l’exportation d’armements. Le sont en outre l’industrie métallurgique (interdiction des exportations de fer et d’acier), le secteur du luxe et celui des médias (interdiction de diffusion de Sputnik et des chaînes de RT – Russia Today – dans l’UE).

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Les objectifs poursuivis sont d’affaiblir l’économie russe – « Nous allons provoquer son effondrement », déclare sans ambages à la radio Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, le 1er mars 2022 – afin de rendre le poids de la guerre économiquement et socialement insupportable, d’« affaiblir la capacité du Kremlin à financer la guerre » et de l’amener à considérer que les coûts de l’agression étant plus élevés que les gains de la guerre, le recours à la force n’est pas dans l’intérêt de la Russie. Ils sont aussi de montrer au pouvoir en place qu’il ne peut violer la souveraineté et l’intégrité territoriale d’un pays tiers sans que cela entraîne des conséquences. À moyen et long terme, ils sont aussi de fragiliser les fondements de la puissance russe, afin de conduire le pays à se montrer moins belliqueux et à privilégier non pas les canons, mais le beurre.

Les pressions exercées sur l’économie russe sont très fortes. Elles le seront encore davantage si, à la suite des États-Unis (qui le 8 mars ont interdit l’importation de pétrole russe), l’UE décide un embargo sur le gaz et sur le pétrole. Les importations d’hydrocarbures étant une source majeure de devises pour la Russie – entre le 24 février 2022, premier jour de la guerre, et le 13 avril 2022, l’UE a versé à la Russie 32 milliards d’euros pour ses importations de produits fossiles (20,1 milliards pour celles de gaz) –, y mettre un terme serait le meilleur moyen d’affaiblir la capacité de la Russie à financer la guerre. Une décision en ce sens serait d’autant plus efficace que plus des trois quarts des exportations russes de gaz sont destinées à l’Europe. Elle n’est cependant pas aisée à prendre du fait de la dépendance de certains États européens aux hydrocarbures russes (en 2021, la Russie représente quelque 40 % du gaz consommé par l’UE). Au moment où ces lignes sont écrites, en dépit des difficultés à diversifier les sources d’approvisionnement et des risques de tensions socio-économiques qu’un tel embargo pourrait engendrer au sein de l’UE, l’idée d’une interruption, totale ou partielle, de ces importations fait son chemin.

Quels seront les effets économiques et financiers de la guerre et de ces sanctions ? Depuis 2014, le pouvoir russe a maintes fois affirmé que les mesures restrictives prises par les Occidentaux pénalisaient avant tout ceux-ci, et qu’en incitant la Russie à devenir plus autonome, elles s’avéraient en définitive pour elle positives. Tout en reconnaissant que la situation était « difficile », les entreprises et les établissements financiers étant soumis à « des pressions sans précédent », et que de nouvelles difficultés étaient à venir, Vladimir Poutine l’a redit le 16  mars  2022. Différentes études infirment cette analyse, elles montrent que les sanctions adoptées en 2014 ont coûté chaque année à la Russie entre 0,5 % et 2 % de PIB, qu’elles ont affecté les perspectives de croissance, et que les contre-sanctions alors décidées par le Kremlin ont elles aussi eu des effets négatifs (hausse de l’inflation, baisse du pouvoir d’achat108). En 2022, les experts s’attendent à un choc beaucoup plus intense. Sergey Guriev estime que l’effondrement des investissements étrangers, la perte de l’accès aux technologies occidentales et l’hémorragie humaine vont fortement peser sur les performances de l’économie russe qui, dit-il, « est retournée vingt ans en arrière109 ». Julien Vercueil pense que « la Russie va se retrouver dans une situation monétaire digne des pires heures de la crise des années 1990 ». Andreï Kortunov, qui prédit une course aux armements « longue et coûteuse », se demande si la Russie « parviendra à résister » aux pressions occidentales, « à trouver et à mobiliser les ressources non occidentales nécessaires à sa modernisation économique et sociale ». Tous prévoient un appauvrissement très sérieux de la population, une récession durable et un isolement du pays qui aura un coût technologique élevé.

Extrait du livre d’Anne de Tinguy, « Le Géant empêtré La Russie et le monde de la fin de l’URSS à l’invasion de l’Ukraine », publié aux éditions Perrin

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