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L’incroyable histoire de Boris Ier d’Andorre, roi de pacotille

La paisible principauté a vécu une révolution de palais dans les années 1930, quand un escroc parvint à s’autoproclamer roi. Mais l’aventure tourna court.

Par Marc Fourny
Boris Skossyreff (1896-1989)
Boris Skossyreff (1896-1989) © Leemage via AFP

Temps de lecture : 4 min

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Ils sont nombreux ces aventuriers de tous bords qui ont, un jour, lorgné un trône… Officiers ambitieux, tels Napoléon et Bernadotte, princes opportunistes à l'image de Louis Philippe ou de Victor Emmanuel II de Savoie, sans oublier les prétendants malchanceux, comme le borné Henri V, comte de Chambord, qui passa tout près du trône français après 1870… Ils font tous partie de la savoureuse galerie de portraits dressée par l'historien Pascal Dayez-Burgeon dans son livre Chasseurs de trône (Éditions Tallandier). Surtout quand il aborde les princes d'opérette, ces drôles de filous qui parvinrent à s'octroyer une couronne au culot.

C'est le cas de Boris Skossyreff-Mavroussoff qui tenta le coup de sa vie en devenant le premier roi d'Andorre dans les années 1930. Coincée dans les Pyrénées entre la France et l'Espagne, longtemps isolée car quasiment aucune route n'était carrossable, la principauté a longtemps vivoté, oubliée par les gouvernements de ses puissantes voisines qui, depuis des siècles, ont l'autorité sur elle – reconnue depuis Charlemagne, elle est gérée par ses co-princes, à savoir l'évêque espagnol d'Urgell et le chef de l'État français. À croire que cette belle endormie n'attendait que son prince charmant pour s'éveiller.

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Elle le trouva en la personne du fameux Boris, un drôle d'aventurier qui avait fui la révolution russe pour le Royaume-Uni, où il disait s'être lié avec le prince de Galles à Oxford, avant d'entrer dans les services secrets et d'accomplir des missions à l'étranger, de la Sibérie jusqu'aux États-Unis… En fait, la seule trace qu'il laisse est un passage devant la justice pour avoir émis des chèques sans provision.

Ménage à trois

Boris ne se laisse pas décourager et va désormais tenter sa chance aux Pays-Bas où il intrigue auprès de femmes riches et influentes. Ce mythomane patenté ira même jusqu'à affirmer qu'il connaissait la reine Wilhelmine, laquelle lui aurait octroyé le titre de comte d'Orange pour services rendus… On le retrouve marié en France avec une veuve fortunée, qu'il laisse pour s'acoquiner avec l'Américaine richissime Florence Marmon, l'épouse séparée de Howard Marmon, l'un des plus gros industriels des États-Unis. Le voilà en Espagne, d'abord à Majorque, où on finit par l'expulser, puis à Barcelone, où il vit avec une compagne anglaise, du nom de Polly, et sa marraine fortunée.

Le trio débarque à Andorre au printemps 1934. « Aussitôt arrivé, Skossyreff flaire le plus beau coup de sa carrière, raconte l'historien Pascal Dayez-Burgeon. Descendu dans le seul établissement acceptable de la capitale, l'Hostal Valira, qui vient d'ouvrir ses portes, il ne passe pas inaperçu. Menant grand train, recevant volontiers, il s'introduit sans difficulté dans la bonne société locale que son dandysme impressionne et que son étrange ménage à trois intrigue… »

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Boris arrive au bon moment : les esprits sont échauffés, la population a exigé l'abolition des dernières lois féodales et le droit de vote pour tous, et non pour les seuls chefs de famille, allant même jusqu'à occuper la Casa de la Vall, siège du conseil général de la principauté. Notre homme souffle sur les braises, promet beaucoup, fait miroiter le modèle monégasque, avec ses jeux d'argent et ses avantages fiscaux, le tout soutenu par une campagne marketing efficace. Un programme qui suppose de s'émanciper de l'autorité des co-princes espagnol et français.

Timbres et drapeau

D'abord méfiants, les parlementaires se laissent finalement séduire par sa nouvelle constitution libérale et la perspective de prochaines élections. Et le 6 juillet 1934, l'aventurier de 38 ans s'autoproclame roi d'Andorre sous le titre de Boris Ier, prince des vallées d'Andorre, comte d'Orange et baron Skossyreff. Tel Louis XIV, on voit le « roi tintamarre » – comme le surnomment ses détracteurs – se pavaner dans les rues avec sa canne, entouré d'une cour de partisans grassement payés. À peine au pouvoir, il conçoit illico un nouveau drapeau – avec une couronne en son centre – et lance un journal officiel ainsi que la fabrication de timbres à son effigie, qui arriveront quand il ne sera déjà plus sur le trône.

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Car si le président Lebrun, accaparé par d'autres soucis politiques, ne réagit guère, il n'en va pas de même pour l'évêque d'Urgell, qui ne digère pas le coup de force et l'instauration de la liberté religieuse dans les hautes vallées pyrénéennes. Le 21 juillet, cinq officier de la guardia civil, dépêchés par le prélat espagnol, viennent cueillir Boris à Andorre-la-Vieille sans que son peuple se soulève… Fin de l'aventure, direction Barcelone, puis Madrid avant l'expulsion vers le Portugal.

Si le règne de Boris a tourné court, sa vie n'est pas pour autant terminée : lâché par son Américaine, il retrouve son ex-femme avant d'être à nouveau interné par les Français, puis les Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale, qui l'auraient ensuite utilisé comme informateur et traducteur. De nouveau emprisonné par les Alliés, il va vivre de contrebandes et de petits métiers. Boris l'intrigant finit sa vie dans un entresol du bourg rhénan de Boppard, âgé de 93 ans. En guise de Sainte-Hélène, il aurait pu trouver mieux…

À lire : Chasseurs de trône, une seule obsession : régner, de Pascal Dayez-Burgeon (éditions Tallandier, 368 pages, 22,90 euros)