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L’inflation bouscule les rayons de la grande distribution

Il est sur son terrain de jeu préféré. Depuis que l’inflation a fait son grand retour dans les rayons, Michel-Édouard Leclerc, le super-héros des prix bas, ne boude pas son plaisir. « Que ce soit au moment de la crise sanitaire, et maintenant avec la crise énergétique, nous avons montré que nous étions les plus réactifs face à la baisse du pouvoir d’achat et aux mutations sous-jacentes de la société », se félicitait-il encore ce jeudi 1er décembre à l’occasion de la publication du baromètre BVA sur la consommation des familles françaises à l’heure de l’inflation.

Bloquer l’inflation à la porte des magasins

Il faut dire que comme souvent, le patron de l’enseigne qui porte son nom a été parmi les premiers à sentir le vent tourner. En mai dernier, alors même que la hausse des prix est surtout énergétique et touche à peine le chariot, Leclerc dégaine son « bouclier anti-inflation » sur les 120 produits les plus consommés en magasin. Aujourd’hui, l’inflation alimentaire atteint les 12,2 % en moyenne, et tous les distributeurs ou presque ont mis en place leur propre dispositif, avec pour objectif de bloquer l’inflation à la porte des magasins.

Opérations de blocage des prix, multiplication des promotions et des remises agressives, montée en puissance des programmes de fidélité… dans toutes les directions marketing des grandes enseignes, les équipes sont à pied d’œuvre pour limiter l’envolée des prix, et attirer les clients en quête de bonnes affaires.

« Alors qu’avant nous parlions d’une autre façon de consommer, plus locale et plus responsable, nous avons recentré notre discours sur la question du prix », observe ainsi Thierry Desouches, le directeur de la communication chez Système U. Même Monoprix, perçu pour ses prix élevés, a mis en place son opération « Monopetitsprix » sur 300 produits du quotidien.

Quant à Carrefour, le groupe a lancé son « défi anti-inflation » juste avant l’été, et ne cesse depuis de faire évoluer ses offres en bloquant tour à tour des produits de grandes marques, ou de marques de distributeurs (MDD). « Sur Internet, nous avons même créé un bouton anti-inflation permettant de substituer tous les produits par leur équivalent moins cher en marque premiers prix ou MDD », relate par exemple Stefen Bompais, directeur de la relation client à Carrefour.

Pour le moment, cela marche plutôt bien : malgré la chute de la consommation alimentaire (– 7,5 % sur un an en octobre, selon l’Insee), les ventes en grandes surfaces résistent. « La grande distribution bénéficie d’un report de la restauration et de certains circuits de distribution ayant une moins bonne image prix », explique Emily Mayer, experte de la grande distribution à l’IRI, un institut spécialisé sur la consommation.

La revanche des placards sur les frigos

Avec des arbitrages beaucoup plus nombreux qu’avant, la physionomie du chariot a toutefois fortement évolué depuis un an. Alors que les marques premiers prix étaient en chute libre ces dernières années, elles sont de nouveau plébiscitées par les consommateurs (+ 7 % de parts de marché en 2022). « On assiste actuellement à un phénomène de descente en gamme généralisé, c’est-à-dire que les consommateurs de grandes marques se reportent sur les MDD, et ceux qui consommaient des MDD se reportent sur les premiers prix », observe Emily Mayer.

La crise de croissance du bio, et des produits frais en général, avec notamment un recul très marqué des ventes de viande rouge et de poisson, en sont d’ailleurs l’illustration la plus concrète. « Alors que ces dernières années, les industries agroalimentaires avaient beaucoup investi sur le frais, la période actuelle est beaucoup plus favorable à l’épicerie, moins chère mais aussi moins périssable », précise le consultant en agroalimentaire Philippe Goetzmann. La revanche des placards sur les frigos, mais aussi des basiques sur les produits ultra-différenciés…

Jongler entre les enseignes

« Globalement, les consommateurs se détournent des produits les plus marketés, comme les quatre tranches de jambon sans nitrite à 5,99 € », observe de son côté Thierry Desouches. Preuve de la grande sagacité des clients, les produits les plus inflationnistes sont ceux qui ont le plus reculé en volume (– 5 % selon une récente enquête Nielsen-Dauvers), tandis que les produits les moins inflationnistes sont ceux qui ont le plus progressé (+ 4 %).

Au-delà de cet arbitrage entre produits, les consommateurs ont aussi pris l’habitude de jongler davantage entre les différentes enseignes et circuits de distribution. « Ils sont très proactifs dans cette période compliquée, en faisant jouer la concurrence entre enseignes, mais aussi en mettant en place des stratégies poussées de cagnottage, de stockage, et en ayant de plus en plus recours aux applications antigaspi », explique Dominique Levy, la directrice générale adjointe chez BVA.

Une tendance sans doute exacerbée par l’augmentation des différences de prix entre enseignes : selon l’IRI, le corridor de prix – c’est-à-dire la différence de prix sur un même chariot de produits, entre les deux enseignes les plus chères et les deux enseignes les moins chères – aurait fortement augmenté pour atteindre 26 % de plus dans le chariot le plus cher, contre 15 % il y a un an.

Les discounters sont les grands gagnants

Sans grande surprise, les discounters sont les grands gagnants de la hausse des prix. Selon Kantar, Lidl et Leclerc ont tous deux gagné un point de part de marché depuis la crise sanitaire, tandis que le groupe Casino, qui regroupe notamment Monoprix et Franprix, s’affiche en recul d’autant. « Aujourd’hui, même les gens qui ont les moyens trouvent qu’une huile d’olive à 7 € le litre, c’est cher payé. C’est pourquoi le discount fait un tel retour dans les rayons », estime Thierry Desouches.

Vantée par certains distributeurs comme Carrefour, la montée en gamme de l’alimentation risque d’en prendre un coup. Mi-novembre le groupe dirigé par Alexandre Bompard a d’ailleurs annoncé un virage stratégique à 180 degrés, faisant la part belle aux MDD, et au hard discount, avec l’arrivée en France de son enseigne brésilienne Atacadao.

Dans le même temps, le groupe a annoncé le lancement d’une enseigne de primeurs de proximité, Potager City, qui devrait se déployer dans les grandes villes. « Quelque part, ce nouveau plan stratégique acte la polarisation de la société entre une classe aisée, moins touchée par l’inflation, et qui pourra continuer à consommer plus cher et plus responsable, et une classe populaire forcée de revenir vers des prix plus bas », souligne Philippe Goetzmann.

Diminution des références sur un même produit

Si l’inflation persiste, une autre tendance pourrait aussi s’imposer à l’avenir : la fin de l’hyper-segmentation des rayons et la multiplication des références sur un même produit. Le fameux râpé de jambon fumé au bois de hêtre… Dans son grand plan stratégique, Carrefour évoque une réduction de 20 % des références proposées en hypermarchés d’ici à 2026.

« Avec la crise énergétique, les industriels comme les distributeurs ne vont plus pouvoir poursuivre sur cette logique de différenciation à outrance, explique le spécialiste de la grande distribution Olivier Dauvers. Une logique qui avait d’ailleurs sans doute atteint son point de paroxysme. » L’inflation des prix aura donc peut-être cette vertu de limiter l’inflation des produits en rayons.

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6,2 % d’inflation en novembre

Les prix à la consommation ont augmenté de 6,2 % sur un an en novembre, selon l’estimation provisoire réalisée en fin de mois par l’Insee. Sur un mois, la hausse est de 0,4 %, après + 1 % en octobre.

Ce sont les prix de l’énergie qui ont le plus augmenté sur un an en novembre, avec une progression de 18,5 %, qui ralentit légèrement par rapport à octobre (+ 19,1 %) du fait du moindre dynamisme du prix du pétrole.

Les prix des produits alimentaires ont progressé de 12,2 % (+ 12 % en octobre).

La flambée des prix des produits frais constatée en octobre (+ 17,3 %) ralentit mais reste élevée, à 12,5 %.

L’inflation des produits manufacturés s’est établie en novembre à 4,4 %, et celle des services s’est élevée à 3 %.