La feuille de route est sciemment actualisée, à deux mois de la COP28. Deux ans après la publication de son rapport crucial (et inédit) sur les mesures indispensables à engager pour atteindre, d’ici 2050, un système énergétique mondial «zéro émission nette», l’Agence internationale de l’énergie (AIE) dévoile, ce mardi 26 septembre, une mise à jour des objectifs et des calendriers de son document référence. Histoire de faire monter la pression avant le grand sommet climatique annuel, qui se tiendra aux Emirats arabes unis à partir du 30 novembre. «Pour que l’objectif de limiter le réchauffement de la planète à 1,5°C reste d’actualité, il faut que le monde se mobilise rapidement, prévient Fatih Birol, le directeur exécutif de l’AIE. La bonne nouvelle, c’est que nous savons ce qu’il faut faire, et comment le faire. Mais nous avons également un message très clair : pour réussir, une coopération internationale forte est cruciale. Les gouvernements doivent séparer le climat de la géopolitique, compte tenu de l’ampleur du défi à relever.»
Malgré une année 2022 tristement record, durant laquelle les émissions mondiales de CO2 liées à l’énergie ont atteint plus de 36,8 milliards de tonnes (une hausse de 0,9 % par rapport à 2021), l’édition revisitée du guide Net Zero Roadmap («Feuille de route vers l’objectif zéro émission nette de CO2») de l’AIE ne tombe pas dans le défaitisme. Certes, l’organisation intergouvernementale chargée de faciliter la coordination des politiques énergétiques des pays membres de l’OCDE avait anticipé, à tort, une baisse des émissions dès 2021, alors que ces dernières restent incontestablement sur une trajectoire «préoccupante» et que les investissements dans les combustibles fossiles n’ont pas stoppé leur course. Mais «l’adoption des technologies d’énergie propre s’est accélérée à un rythme sans précédent au cours des deux dernières années», constate l’organisation internationale.
Les capacités photovoltaïques ont augmenté de près de 50 % et sont actuellement «en avance» sur la trajectoire envisagée dans la version 2021 du rapport de l’AIE. Les ventes de voitures électriques ont progressé de 240 % depuis 2020. Autant de progrès qui «reflètent les réductions de coûts des principales technologies d’énergie propre», en chute de près de 80 % entre 2010 et 2022, selon l’AIE. Progrès qui permettent de «maintenir ouverte la voie pour limiter le réchauffement climatique à +1,5°C»
Pour entretenir l’espoir «à portée de main», l’Agence internationale assure que la capacité mondiale de production d’énergie renouvelable doit encore «tripler d’ici à 2030». Et les dépenses associées passer de 1 800 milliards de dollars en 2023, à 4 500 milliards de dollars annuels au début de la prochaine décennie. Dans le nouveau scénario des trajectoires de l’AIE, une «augmentation considérable des capacités en matière d’énergies propres sous l’impulsion des pouvoirs publics» pourrait faire baisser la demande de combustibles fossiles de 25 % d’ici à 2030, «ce qui réduirait les émissions de 35 % par rapport au niveau enregistré en 2022.» Pour réussir ce pari ambitieux, «une coopération internationale équitable et efficace est nécessaire de toute urgence pour débloquer les investissements dans les énergies propres au sein des marchés émergents et des économies en développement autres que la Chine», insiste le rapport révisé.
C’est là un point fondamental de l’actualisation du travail de l’AIE : reconnaître les inégalités en matière d’émissions de CO2 et mettre l’accent sur les enjeux de justice climatique, à l’image du secrétaire général de l’ONU, António Guterres. Ainsi, les «économies avancées» vont devoir atteindre leurs objectifs de neutralité carbone «plus tôt» afin de «laisser plus de temps aux économies émergentes et en développement», affirme l’Agence internationale de l’énergie. Les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l’Union européenne, par exemple, sont désormais exhortés à avancer leur date du «zéro émission nette» de cinq ans, passant d’une ligne d’horizon de 2050 à 2045. La Chine, elle, est sommée d’y parvenir en 2050 et non plus en 2060. Comme s’est officiellement engagé à le faire le Brésil il y a deux ans, à l’occasion de la COP26.
Sans une «mise en œuvre accélérée» de la baisse des émissions, la planète serait alors «tributaire» du déploiement massif de technologies d’élimination du carbone dans l’atmosphère, alerte l’AIE, qui estime que cette option «coûteuse» n’a pas «encore fait ses preuves à grande échelle». «Dans le cas d’une action retardée, si l’on ne parvient pas à développer les énergies propres assez rapidement d’ici à 2030, il faudra retirer de l’atmosphère près de 5 milliards de tonnes de dioxyde de carbone par an au cours de la seconde moitié de ce siècle, conclut l’Agence de l’énergie. Si les technologies d’élimination du carbone ne parviennent pas à atteindre une telle échelle, il ne sera pas possible de ramener la température à 1,5 ̊ C.»