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La bataille pour l'honneur de Jacques Fesch, guillotiné... et enfin réhabilité ?

C’est une véritable première. « On avance en terra incognita », dit Patrice Spinosi. Au nom de son client Gérard Fesch, l’avocat saisit aujourd’hui la Cour de cassation d’une requête insolite. Il réclame la réhabilitation d’un mort, Jacques Fesch, guillotiné le 1er octobre 1957 à la prison de la Santé. Jacques avait 27 ans.

Cette exécution, Gérard y pense tous les jours. Ça le prend à n’importe quel moment, en conduisant, en cuisinant, en regardant la mer. Il se dit : mais comment a-t-il pu supporter cela ? S’avancer calmement vers la guillotine. Savoir que, dans un instant, les deux types qui vous escortent vont vous jeter à l’horizontale. Que cette lame, là, va vous couper en deux. Deviner ces gens tout autour, ces regards qui vous dévorent. Le col de la chemise découpé. La nuque offerte. La lumière froide du petit matin. Et le bourreau, immobile et grave. Concentré. Le bourreau qui vous attend.

Il braque un agent de change pour s’offrir le bateau de ses rêves

Trente ans qu’il imagine ainsi la fin de son père. Jacques Fesch, fils paumé d’une famille bourgeoise, rêvait de prendre la mer, de tout quitter. Pour s’offrir le bateau de ses rêves, lui qui n’avait jamais navigué ni eu affaire à la police, il entreprend de braquer un agent de change. Le hold-up tourne mal. Jacques s’enfuit.

Poursuivi par un policier, il perd ses lunettes. Le voilà acculé. L’agent tire quatre balles. Il réplique. Un seul coup part, au jugé, à travers la poche de son imperméable, dans le flou de son regard myope. Le brigadier Jean-Baptiste Vergne, père d’une fillette de 4 ans, s’effondre. « Assassinat », conclut la justice.

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Conçu trois semaines avant ce désastreux braquage, Gérard n’a pas connu son géniteur. Il est né à l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul, juste en face de la prison où Jacques Fesch, bientôt touché par la foi, écrira des centaines de pages dévotes. Trois livres (1), vendus par dizaines de milliers d’exemplaires autour du monde, susciteront des dizaines de conversions. Modèle de rédemption, le braqueur guillotiné fait aujourd’hui l’objet d’une procédure en béatification. Son fils, profondément athée, réclame de son côté à la justice un « pardon laïc » (2).

Ni amnistie ni révision

Du jamais-vu. La réhabilitation est définie comme « le rétablissement du condamné dans son honneur et sa probité par l’effacement de la condamnation et de toutes les déchéances et incapacités qui peuvent en résulter », rappelle Patrice Spinosi dans sa requête. Ni amnistie ni révision, cette mesure rarement accordée permet la « réintégration du condamné dans le corps social » ainsi que la restauration de « son honneur et celui de sa famille ».

Problème : le juge, pour se prononcer, prend en compte le « comportement et les gages d’amendement » du condamné. Impossible dans le cas d’un condamné à mort. « Une fois qu’il a purgé sa peine, il est exécuté, il n’existe plus », résume Patrice Spinosi.

Arguant de cette injustice, Gérard Fesch a d’abord saisi la justice d’une question prioritaire de constitutionnalité que la Cour de cassation, fin 2019, a transmise au Conseil constitutionnel. « Le législateur serait fondé à instituer une procédure judiciaire ouverte aux ayants droit d’une personne condamnée à la peine de mort dont la peine a été exécutée », ont statué les sages. L’année suivante, la loi du 9 octobre 1981 abolissant la peine de mort est modifiée en ce sens. L’héritier d’un guillotiné peut désormais, lui aussi, réclamer sa réhabilitation. D’où la requête de ce jour.

Gérard a dû récupérer son dossier, établir sa filiation

Jacques Fesch a toujours su qu’il avait un fils. « J’attends le jour heureux où il me sera donné la possibilité de faire sa connaissance en Dieu », dit son écriture sage, posée sur des lignes bien droites, la veille de son exécution. « C’est le seul à s’être jamais préoccupé de moi, affirme Gérard, placé très jeune à l’assistance publique. La veille de mourir, il devait avoir pourtant pas mal de choses à penser. » Lorsqu’il l’évoque, il ne dit jamais « papa ». Il dit « mon père » ou « Jacques ».

Quand ce n’est pas l’image terrifiante de la guillotine, lui revient celle d’un long jeune homme aux joues pâles, aux yeux tristes, assis menotté dans un couloir du palais de justice. « La première photo que j’ai vue de lui. » Le cliché, publié dans l’Express en avril 1994, avait fait sursauter une de ses amies. « C’est ton portrait craché. » Jacques, 1,92 mètre. Gérard, 1,68 mètre. L’un filiforme, l’autre trapu. Mais la copine avait raison. L’auteur de l’article le confirme à Gérard. Ce jour-là, il naît une seconde fois.

Il lui a fallu récupérer son dossier, établir sa filiation, puis gagner le droit de porter son nom : des années de bataille. Aujourd’hui, le fils veut laver l’honneur du père. « Que mes enfants n’aient pas honte de lui. » Souvent, il se pose la question. S’ils avaient pu se connaître, de quoi auraient-ils parlé ? « De musique », pense Gérard.

Comme instrument, les deux avaient choisi la trompette. Jacques était mordu de be-bop. Gérard fou de chanson française. Dans les années 1950, le premier fréquentait les caves enfumées de Saint-Germain. Vingt ans plus tard, son fils accompagnait Serge Lama et Mike Brant en tournée. Quand l’envie lui prenait de jouer, Jacques s’éloignait avec sa trompette au fond du parc familial. Gérard, quand il voulait souffler dans la sienne, devait s’isoler dans une cabane. « Tu nous casses les oreilles », leur disait-on. « On a vécu le même rejet. »

Des « non » biffés et transformés en « oui »

« Ce procès m’a profondément bouleversé. » Henri Leclerc a 21 ans quand Jacques Fesch comparaît devant les ­assises de Paris. Avocat depuis un an et déjà farouche adversaire de la peine de mort, le futur président de la Ligue des droits de l’homme se souvient des quatre jours d’audience comme si c’était hier. « La salle était pleine à craquer, hostile. »

Dans le box, Fesch ne nie pas les faits, n’essaie pas de se disculper. « Il reconnaissait avoir agi pour de l’argent. Mais il avait tiré sans viser. Ce n’était pas un assassinat. » Au moment du verdict, « je ne me souviens pas qu’il ait réagi, dit Henri Leclerc. Il n’y a pas non plus eu d’applaudissements, comme j’en ai vu dans d’autres procès. » Le jeune avocat entre aussitôt dans une colère noire. « Dans les salons mondains, certains trouvaient ça très bien, la peine de mort sanctifiait le condamné. Ça me rendait fou. »

Un halo de mystère entoure la sentence. La veille du verdict, le président des assises a dîné avec l’avocat de l’accusation. Sur la feuille des délibérés, les jurés ont refusé de voter les circonstances aggravantes, ce qui aurait dû épargner la guillotine à Jacques Fesch. Étrangement, leurs « non » ont été biffés et transformés en « oui ». La Cour de cassation, saisie d’un pourvoi, confirme pourtant le verdict.

« Sois courageux petit frère ! »

Ne reste alors qu’un espoir : la grâce présidentielle. Sous la pression des syndicats de policiers, René Coty la refuse. « Dites bien à votre client qu’il a toute mon estime et que je désirerais beaucoup le gracier, mais si je le fais, je mets en danger la vie d’autres agents de police, se défausse le président de la République. Dites à Jacques Fesch que je lui serre la main pour ce qu’il est devenu. »

Le jour de l’exécution, « vers 3-4 heures du matin », le prisonnier André Hirth entend des « pas feutrés ». Jacques Fesch, son voisin de cellule, est conduit vers son destin. « Sois courageux petit frère ! » glisse André à Jacques. « C’était dur de voir partir un copain comme ça. J’avais envie de crier : on est tous des assassins, mais qu’est-ce que ça signifie ? »

« Que de mal ai-je pu faire autour de moi par mon égoïsme et mon inconscience », écrit Jacques Fesch dans une de ses nombreuses lettres. « Il avait pris conscience de ses actes. Il espérait réintégrer la communauté des hommes », insiste Patrice Spinosi, pour qui « le cheminement personnel de Jacques Fesch est un des exemples d’amendement les plus aboutis. Des cas comme le sien, je n’en vois aucun autre ».

Soixante-cinq ans se sont écoulés depuis l’exécution de Jacques Fesch. Quarante ­depuis l’abolition de la peine de mort. « Le réhabiliter, ce serait remettre en cause le processus judiciaire de l’époque mais, puisque la peine de mort est abolie, ça n’aurait pas une incidence majeure », explique Henri Leclerc. « Les juges, parfois, savent faire preuve d’audace. »