Plus de six mois ont passé. Plus de six mois qu’Emmanuel Macron a exprimé, en convoquant l’avocate féministe Gisèle Halimi à laquelle il rendait hommage le 8 mars, son «souhait» d’inscrire «dans notre texte fondamental cette liberté» de recourir à une IVG. Des promesses et puis rien, l’attente, aucun calendrier. A l’occasion de la journée mondiale pour le droit à l’avortement, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) vient rappeler l’urgence de mettre fin à ces atermoiements. Cette institution indépendante, créée en 1947, a adopté ce jeudi un avis appelant à «protéger [ce] droit humain de portée universelle» en l’inscrivant «sans délai» dans le marbre de notre Constitution.
La CNCDH vient ainsi compléter une forme de consensus, en emboîtant le pas au Conseil économique, social et environnemental (CESE) et au Haut Conseil à l’égalité (HCE). L’opinion publique y est, elle aussi, très majoritairement favorable. La reprise en main de ce dossier par le chef de l’Etat en mars marquait l’aboutissement d’un long chemin parlementaire. Un texte de compromis, adopté à une large majorité le 24 novembre 2022 par les députés, visant à inscrire que «la loi garantit l’effectivité et l’égal accès au droit à l’interruption volontaire de grossesse», avait ensuite été votée le 1er février au Sénat avec une formulation controversée «la loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse.»
«Traduire l’attachement du peuple»
Jean-Marie Burguburu, président de la CNCDH, remarque auprès de Libé que «la Constitution a une fonction expressive, inscrire le droit à l’IVG dans ce texte fondamental est un moyen de traduire l’attachement du peuple français à une garantie maximale de ce droit. Par ailleurs, cela contribuera à renforcer sa protection juridique». Dans un contexte de remise en cause de ce droit fondamental à l’étranger (Etats-Unis, Pologne, Hongrie, Italie…), cette constitutionnalisation enverrait un signal fort dans le reste du monde. Une mise en cohérence avec la diplomatie féministe que la France s’engage à porter depuis plusieurs années.
Aux arguments maintes fois débattus dans les deux chambres d’une inscription cosmétique au regard d’une jurisprudence jugée assez solide du Conseil constitutionnel - c’est-à-dire une décision de 2001 qui considère que la loi sur l’IVG assure un juste équilibre entre le respect de la dignité humaine et la liberté de la femme - le président rétorque : «le Conseil constitutionnel prend également le soin de préciser qu’il ne dispose pas d’un pouvoir d’appréciation comparable à celui du législateur».
Si on peut «raisonnablement penser», selon lui, qu’une suppression de ce droit serait jugée non conforme par l’institution, «sa décision de 2001 réserve néanmoins au législateur une marge de liberté pour éventuellement modifier certaines dispositions, revenir par exemple dans une certaine mesure sur la durée du délai légal, ou sur la possibilité pour les sages-femmes de pratiquer une IVG médicamenteuse». En résumé : «la jurisprudence du Conseil Constitutionnel ne garantit donc pas la préservation de l’état du droit existant». Son entrée à la plus haute hiérarchie des normes lui conférerait, indique cet avis, «une valeur supra législative».
Une formulation «garantissant» ce droit
Ne se contentant pas de se prononcer sur le bien-fondé d’une telle entreprise, la Commission tranche aussi sur les modalités. A commencer par la formulation, sur laquelle les deux chambres n’ont pas réussi à se mettre d’accord. Celle retenue par le Sénat «n’apporte rien par rapport à la situation actuelle : c’est déjà ce que fait le législateur. Cette formulation ne «sécurise» pas le droit à l’IVG alors qu’il faudrait justement le garantir de telle sorte que le législateur ne puisse pas le restreindre», appuie Jean-Marie Burguburu. La CNCDH insiste dans cet avis sur la nécessité d’utiliser une formulation «consacrant et garantissant [ce] droit».
L’emplacement de ces quelques lignes est lui aussi d’une importance majeure. Les différentes options envisagées par le parlement «ne sont pas satisfaisantes», pour le président de l’instance. L’article 34, soit la version du Sénat, n’est consacré qu’«au champ de compétence du législateur», quant à la création d’un article 66-2 elle «pose des problèmes de cohérence : que ferait «un droit à l’IVG» dans un titre consacré à «l’autorité judiciaire»», souligne-t-il.
L’article 1er, traitant des «valeurs de la république, la liberté, l’égalité, la fraternité», serait l’emplacement le plus approprié. «J’entends bien la critique selon laquelle un droit aussi spécifique n’aurait rien à faire dans un article de portée générale. Mais je rappelle que la révision constitutionnelle de 2008 a déjà infléchi cette vocation généraliste en introduisant une disposition sur l’égal accès des femmes et des hommes aux élections ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales», désamorce Jean-Marie Burguburu. Si le président a esquissé le 8 mars une présentation de cette inscription dans le cadre d’une réforme constitutionnelle de plus grande ampleur «dans les prochains mois», la Commission insiste sur la nécessité d’un «texte dédié», ayant de plus grandes chances d’aboutir.