France
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La démocratie sous logique néolibérale mortifère

Marie-Jean Sauret  Psychanalyste et auteur 

La Constitution française date du 4 octobre 1958, elle a été révisée 24 fois. Elle serait démocratique par son contenu et parce qu’elle a été adoptée par référendum, il y a cinquante-cinq ans. Pensons-nous la même chose que nos grands-parents ? Les révisions, la proposition d’une nouvelle Constitution et au minimum d’une nouvelle République prouvent que non. La Constitution constitue-t-elle une garantie absolue contre les dérives étatiques ? Non, il suffit que le renouvellement compose un conseil de réactionnaires pour que le pire soit légalement possible. L’épisode états-unien autour de l’avortement montre qu’une constitution pourrait résister aussi peu que les lois fondamentales en Israël. 

Les Français ont d’ailleurs élu un président avec une minorité de voix, et une Assemblée nationale dont la majorité sert aujourd’hui d’autres intérêts que ceux de la majorité des citoyens, cf. les retraites. Peut-on dire que la nation est mieux servie par la gestion à flux tendu – rentabilité, économie (pour qui ?) obligent –,  avec les résultats que l’on sait – pénurie de médicaments, freins à la recherche, dégradation de la recherche et de l’enseignement, débâcle de l’hôpital public, faillite des services publics, etc. ?  

« Vous avez voté pour nous. Maintenant, rentrez chez vous, on s’occupe de tout. De toute façon, vous ne comprenez rien. On vous fait mal ? Oui, mais pour votre bien. » Cette démocratie-là ne respecte pas notre voix. Une véritable démocratie s’en déduit : elle doit doubler la représentation nationale par un débat public permanent et se doter de dispositifs adéquats pour cela. Sans débat, la démocratie ne mérite pas son nom : puisqu’elle sert la volonté d’asservissement de l’État au lieu d’être la contestation du pouvoir établi quand il vise à confisquer les espaces de liberté conquis par les citoyens. Les conséquences de cette absence de démocratie sont désastreuses. 

Beaucoup en font l’expérience : après la pénurie de vaccins, de gel antiseptique, de masques, de blouses sanitaires, des médicaments de première nécessité sont en rupture de stock. Qui dira les complications de la vie ordinaire et les dégradations de la santé – parfois jusqu’à la mort ? L’allongement du temps de travail de deux années supplémentaires : serait-il possible d’envoyer chaque élu passer deux ans dans un emploi pénible ? Deux ans payés à ramasser les ordures, alimenter les incinérateurs, s’occuper de personnes dépendantes, tenir la caisse d’un supermarché, prendre la place de manœuvres dans les travaux publics ou le bâtiment, entretenir la voirie, autoroutes comprises, hiver comme été, contrôler dans le train, renforcer la police en ville et en dehors, durant les manifestations, les événements à protéger, etc. ?  

Peut-être prendraient-ils au sérieux non seulement la demande des salariés relative à la pénibilité, mais les accidents qui en résultent et la mortalité au travail. Avec deux morts par jour dans le privé et un autre dans le public, l’allongement proposé signifie l’envoi à la mort de 2 100 personnes supplémentaires. Le terme « assassin » lancé par un député au ministre du Travail serait plus violent que cela ? Plus violent que ce dont ont à souffrir les victimes de violences policières, que les coups portés contre les femmes et autres ? 

La logique néolibérale a des conséquences délétères directes sur les individus qu’elle écrase ; elle en formate d’autres jusqu’à ce qu’ils en deviennent violents, de gré ou de force. Ici aussi, seraient requis des dispositifs de parole qui permettent d’interroger le rapport de chacun avec sa propre colère, sa violence, tout ce qui fait sa singularité et qui le pousse à rejeter l’altérité (racisme, antisémitisme…). Seulement le néolibéralisme ne peut comprendre cela, faute de prendre au sérieux la voix de chacun. Et au fond, seule une démocratie authentique le peut. 

Celui qui méprise la voix méprise la vie.