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« La dissuasion nucléaire a permis de limiter le risque de guerre totale »

La guerre imposée depuis plus d’un an par la Russie à l’Ukraine a rappelé au monde la réalité de la peur atomique, régulièrement brandie par le Kremlin, au risque d’une redoutable escalade. À chaque fois que Moscou a agité le chiffon rouge de la bombe, il faut souligner à l’inverse la maîtrise des puissances dotées que sont les États-Unis, la France et le Royaume-Uni, ne répliquant pas aux menaces russes.

À l’agitation moscovite, c’est bien le principe de la dissuasion qui a fonctionné tel qu’il a été conçu depuis les années 1950, puisque les dirigeants russes n’ont pas osé aller au-delà de ces effets de manche, les obligeant à chaque fois à faire machine arrière, malgré les rugissements apocalyptiques prononcés sur leurs plateaux de télévision prévoyant la destruction totale de Londres et Paris.

La sécurité apportée par l’Otan

De la même façon, c’est bien la réalité de la dissuasion qui empêche Moscou d’élargir son champ d’action en Europe, sachant très bien que le risque est trop grand de vouloir s’en prendre aux pays de l’Est européen, en raison de l’article 5 de l’Otan et de l’appartenance à l’Union européenne. Cette double sécurité est en effet supportée in fine par l’arme nucléaire.

De fait, l’agression d’un pays non doté par un pays disposant de l’arme nucléaire risque d’accélérer la prolifération. En effet, en l’absence d’une telle arme, un État peut se sentir menacé et donc va chercher à remédier à ce déséquilibre stratégique. C’est le cas de la Corée du Nord, disposant déjà de cette capacité, et de l’Iran, dont le programme militaire progresse inexorablement. Mais c’est aussi ce que fait la Chine en construisant de nouveaux silos de missiles balistiques susceptibles de frapper d’autres continents.

On doit également constater que, depuis plusieurs années, c’est bien le rapport de force et l’expression d’ambitions impériales qui façonnent les relations internationales avec la remise en cause des principes du droit patiemment construit depuis des décennies. Que vaut aujourd’hui une résolution de l’ONU ? Au mieux apparaît-elle comme une forme de sondage de l’opinion internationale. Moscou le sait parfaitement et en joue pleinement.

Le rôle des chrétiens

Alors quel rôle pour les chrétiens face à ce risque d’Armageddon nucléaire ? L’Église de France doit-elle s’abstenir de participer à ce débat ? Doit-on remiser l’épée au fourreau et tendre la joue ? Tout d’abord, et contrairement à ce qui a été écrit dans la tribune publiée le 13 mars, la Conférence des évêques de France a actualisé sa pensée sur ce sujet en 2018-2019 avec des travaux approfondis auxquels j’ai personnellement participé, associant notamment Pax Christi et Justice et Paix, et qui tenaient déjà compte d’un net durcissement des tensions internationales. La CEF ne cesse depuis lors d’être tenue informée et de dialoguer au meilleur niveau de cette question plus que jamais complexe et sensible.

Mon constat à l’époque, comme aujourd’hui, est que certes le désarmement est le but ultime et souhaitable, mais que, en l’état actuel des choses, renoncer à la dissuasion ne serait d’aucun effet, si ce n’est celui d’affaiblir notre propre sécurité collective.

Le nucléaire immoral ?

Bien entendu, il serait tellement facile de rejoindre la pensée « mainstream » autour du désarmement nucléaire avec le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (Tian). Et ainsi se donner bonne conscience à bon prix : le nucléaire, c’est immoral. Et ensuite ? Proposer que la France soit le bon élève en renonçant à l’arme en espérant que cela fasse école ? Nos démocraties sont spontanément sensibles aux sirènes du désarmement : moins d’argent pour la bombe, plus d’argent pour les hôpitaux. Or, remarquons que Moscou ne s’est jamais privé de bombarder les hôpitaux syriens ou ukrainiens…

Soyons conscients de la gravité de la période. Comment ne pas mentionner dans un texte sur le nucléaire militaire les États qui affichent ouvertement des ambitions de conquête et de menaces ? Mais il est vrai qu’il est beaucoup plus aisé de manifester devant Balard (siège du ministère des armées) que d’aller protester à Moscou, à Téhéran ou à Pyongyang, qui se moquent bien de leur opinion publique. Faudrait-il ne laisser l’arme nucléaire qu’aux seuls États totalitaires ?

Il ne s’agit pas pour autant de baisser les bras. Bien au contraire, il s’agit de poursuivre ou plutôt d’essayer de reprendre les discussions sur la limitation des armes, de remettre en place des mécanismes de contrôle. À cet égard, les Églises ont un rôle de facilitation à jouer. Mais en restant réalistes et fermes face à ceux qui, eux, « jouent » avec la bombe. Ne nous trompons pas de combat : aujourd’hui et demain aussi, l’honnêteté est de reconnaître que – malgré sa dimension amorale – la dissuasion a permis de limiter le risque de guerre totale, y compris en Europe, comme l’illustre actuellement la guerre d’agression conduite par la Russie contre l’Ukraine.