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La gauche freine curieusement sur l’éolien et le solaire... comme LR et le RN

C'est une situation pour le moins paradoxale : la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), favorable au déploiement massif des éoliennes et autres panneaux solaires en France, freine des quatre fers sur le projet de loi du gouvernement dédié à l'accélération des énergies renouvelables. Au point que Syndicat de défense de la filière, le SER, s'en inquiète : « On est vraiment surpris de tout ça. L'idée du texte était de simplifier les procédures, mais on risque de se retrouver avec plus de règles qu'avant », souffle à La Tribune son président, Jules Nyssen. « C'est très grave. Ce qu'ils proposent revient à reculer, plutôt qu'à permettre un bond en avant ! », abonde Cédric Philibert, consultant et ancien expert de l'Agence internationale de l'énergie.

Et pour cause, à rebours des dérogations demandées par l'exécutif, les députés de gauche agitent un argument phare, jusqu'ici plutôt martelé par la droite : les infrastructures éoliennes ou photovoltaïques risquent de mettre à mal la biodiversité locale. C'est en tout cas ce qui ressort des premières discussions à l'Assemblée nationale, alors que la lecture du texte y a démarré lundi après-midi, après son adoption par le Sénat début novembre.

La Nupes contre la présomption de raison d'intérêt public majeur

En effet, lors de l'examen en commission, les députés écologistes ont rejeté en bloc, aux côtés des Républicains (LR) et du Rassemblement national (RN), un dispositif central pour accélérer les procédures avant qu'un parc éolien ou solaire ne sorte de terre, pourtant approuvé par les sénateurs. Initialement, l'idée du gouvernement était d'affirmer que les projets d'installations d'énergie renouvelable répondent par principe à une « raison impérative d'intérêt public majeur » (RIPM) du fait de l'urgence climatique. Une manière de limiter la possibilité d'intenter des recours juridiques, et, surtout, de faciliter la demande de dérogation d'atteinte aux espèces protégées, en vertu de l'importance que revêt ledit projet. De fait, aujourd'hui, les énergéticiens doivent demander ce « label », et ne peuvent l'obtenir qu'après un long travail administratif.

C'est d'ailleurs l'option retenue par la Commission européenne, puisque la directive « Fit for 55 », approuvée par le Parlement européen, prévoit d'accorder aux projets éoliens et solaires ce fameux intérêt public majeur sans qu'ils aient à le prouver. En Allemagne, ceux-ci sont également considérés dans la loi comme étant « d'intérêt public » et servant « la sécurité nationale », afin de pouvoir accélérer leur déploiement.

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Mais pour la Nupes, franchir ce pas risquerait d'aboutir à ce que « la biodiversité trinque encore » :

« Chaque projet n'est pas d'intérêt public majeur ! Par exemple, en Nouvelle-Aquitaine, le projet Horizeo qui prévoit de supprimer 1.000 hectares de forêt pour installer du solaire photovoltaïque porte gravement atteinte à la biodiversité. [...] Il ne faut pas accepter la pagaille et l'improvisation sous couvert de l'urgence de la situation ! », a défendu en séance la députée LFI Clémence Guetté, déplorant des « dérogations à tire-larigot ».

Face aux oppositions de la droite comme de la gauche, le gouvernement avait d'ailleurs déjà retiré un article phare, qui permettait de relever tous les seuils à partir desquels les projets d'énergie renouvelable seraient soumis à évaluation environnementale.

Pénaliser les plus petits projets

De quoi crisper le président du SER. « Le fait de reconnaître la RIPM ne veut pas dire qu'on pourra porter atteinte à la faune et à la flore ! », s'agace Jules Nyssen. Car les opérateurs de parcs d'énergies renouvelables devront de toute façon respecter deux autres conditions s'ils veulent obtenir le droit de porter atteinte à un individu appartenant à une espèce protégée, rappelle-t-il : qu'il n'y ait « pas d'alternative ailleurs », et avoir « pris toutes les mesures possibles de conservation des espèces ».

D'autant que refuser d'accorder a priori la RIPM aux projets éoliens et solaires risque surtout de pénaliser les plus petits d'entre eux, estime Jules Nyssen. « Quand vous voulez construire une infrastructure immense comme le parc éolien en mer de Saint-Nazaire, c'est évident qu'il n'est pas compliqué d'obtenir la RIPM ! », lance-t-il.

« Ce serait un affichage désastreux de reculer sur ce point dans le texte final, en donnant du grain à moudre à ceux qui cherchent tous les prétextes pour s'opposer aux renouvelables », insiste de son côté Cédric Philibert, lequel a d'ailleurs cosigné une tribune publiée lundi dans Libération pour défendre le dispositif, avec, entre autres, le climatologue Jean Jouzel.

« Le changement climatique est reconnu comme l'une des cinq principales menaces qui pèsent sur la biodiversité, contrairement aux éoliennes et aux panneaux solaires, qui participent d'ailleurs à limiter ce changement climatique », rappelle par ailleurs le chercheur.

Retard sur les objectifs

« Pire », selon le Syndicat des énergies renouvelables : non satisfaits, les députés écologistes ont également voté en commission pour l'interdiction par principe de tout projet solaire photovoltaïque dans une zone forestière. « Cela reviendrait à rendre plus strict droit actuel, qui dispose déjà qu'on ne peut rien faire sur le sol forestier sans autorisation des services instructeurs », alerte-t-il.

« On risque finalement de ressortir des discussions avec encore plus de contraintes, alors que le projet de loi servait, de base, à accélérer des procédures trop longues », soupire le président du SER.

Alors que la France est le seul pays européen à ne pas avoir pas atteint ses objectifs de déploiement des énergies renouvelables, reste à voir si les députés de gauche assoupliront leurs positions lors de l'examen en séance. Car le temps presse : atteindre l'objectif de mi-parcours fixé en 2023 paraît désormais impossible. D'ici à un an, la France devrait en effet ajouter près de 6 gigawatts (GW) de puissance éolienne, soit près de 40% de la capacité totale cumulée à ce jour, et presque doubler la capacité solaire photovoltaïque (de 13 GW à 20,6), nécessitant de mobiliser plusieurs milliers d'hectares.

Même dans une optique de relance du nucléaire, d'ailleurs refusée par la Nupes (favorable au 100% renouvelable), l'Hexagone n'aura d'autre choix que de bâtir une cinquantaine de parcs éoliens en mer, et de multiplier par 7 au moins sa puissance solaire installée d'ici à 2050, s'il veut assurer sa sécurité d'approvisionnement sans dépendre des combustibles fossiles. « Dans ces conditions, on ne pourra pas avoir le beurre et l'argent du beurre : il faudra faire des choix clairs, et les assumer », conclut Cédric Philibert.

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