France
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« La justice restaurative est complémentaire de la justice pénale »

Je verrai toujours vos visages, de Jeanne Herry, France, 1 h 58

Dispositif méconnu qui permet la rencontre de victimes et de délinquants dans un processus encadré et sécurisé de dialogues, la justice restaurative sert de toile de fond à Je verrai toujours vos visages, le troisième long métrage de Jeanne Herry. Dans une intrigue à deux pans entrelacés, se croisent des victimes d’inceste, de vol avec violences, de home-jacking ou de braquage avec des hommes condamnés pour ce genre de délit. Entre eux, des bénévoles et des professionnels tentent d’instaurer un échange constructif. Une œuvre passionnante aux multiples personnages, en forme d’éloge de l’écoute.

Ce titre, Je verrai toujours vos visages, vous place délibérément du côté des victimes. Quelles sont les raisons de ce choix ?

Ce titre me semblait très cohérent à pleins d’endroits différents. Le versant traumatique de cette phrase revient très souvent dans la bouche des gens marqués par le visage de leur agresseur. Son versant réparateur n’est pas seulement prononcé par les victimes mais aussi par les auteurs à la fin des rencontres entre les détenus et les victimes. Ils s’accordent sur le fait que ces rencontres sont importantes pour le reste de leur vie. C’est également très cohérent avec mon expérience de réalisatrice et celle du spectateur. Filmer des visages a été l’essentiel de mon tournage et c’est peut-être de cela que se souviendront les spectateurs.

En quoi réaliser un film autour de cette problématique de la parole et de l’écoute constitue-t-il une forme de résistance à la culture du clash et du buzz ?

Je m’y suis aussi immergée parce que, à l’extérieur, il y a un tumulte et un chaos très blessants, pénibles et un peu décourageants. Ils ne donnent plus très envie de discuter parce qu’un désaccord peut potentiellement mal tourner, virer à l’affrontement. On souffre partout des mêmes maux avec, d’emblée, la disqualification de la parole de gens qui n’appartiennent pas au même clan ou au même camp. La puissance est du côté de la nuance et non de la radicalité. Faire ce film était un refuge. Se saisir collectivement des outils de la justice restaurative nous ferait du bien collectivement.

Comment avez-vous travaillé avec les comédiens ?

Je leur donne une partition. Je suis assez rigide sur la façon dont je leur demande d’apprendre le texte et de ne pas le changer. Ils n’ont pas le choix des mots, ni de la trajectoire de leur personnage. Là où ils deviennent coauteur de leur personnage, c’est que ce qu’ils sont, leur sensibilité, lui donne vie. Par exemple, Fred Testot joue Thomas, un personnage qui, à l’écriture, était beaucoup plus fermé et misanthrope, avant de s’ouvrir. Sans changer une virgule, Fred a incarné un Thomas tendre dès le départ. C’est ce qui fait que c’est notre personnage à tous les deux. Je propose un cadre de jeu rigide et, je l’espère, libérateur.

Quelle place occupe le son, en particulier dans la prison ?

Quiconque a été en prison est toujours marqué par ces bruits de portes incessants, qui claquent et résonnent. Il y a des horaires de la journée où les détenus se mettent à crier aux fenêtres. Je fais des films avec l’oreille encore plus qu’avec les yeux, des castings de voix et pas que de visages. Une scène est bonne si elle sonne juste.

Que raconte le film de la justice ?

On se trompe sur la justice pénale. Elle n’est pas faite pour les victimes. Elle n’a pas à avoir une dimension thérapeutique. Elle est là pour mettre de l’ordre dans la société et dire si les faits sont caractérisés. S’ils le sont, ça vaut tant. La justice restaurative est complémentaire. Ce qui crée du lien entre les victimes et les auteurs, c’est qu’ils ont tous souffert du parcours judiciaire. Ils peuvent s’accorder sur le fait qu’ils sont, de part et d’autre, tombés sur un juge dégueulasse, qu’ils se sont sentis mal considérés, mal écoutés. La justice pénale fait ce qu’elle peut, mais comme dans tous les autres domaines de la société, le manque de moyens ne nous permet pas de la rendre correctement. C’est pour cela qu’il y a une justice restaurative.

Vous êtes aussi coprésidente de l’ARP, la Société civile des auteurs, réalisateurs et producteurs… Pourquoi vous impliquez-vous dans une association de créateurs ?

Il y a beaucoup de combats à mener. Je suis bien entourée. J’apprends petit à petit. En ce moment, nous devons résister collectivement pour préserver notre système. Il serait affreux que notre modèle périclite, qu’il y ait moins de diversité. Nous sommes le dernier cinéma indépendant au monde, avec toutes les formes qui s’expriment. Je ne veux pas qu’on le perde. L’ARP et les organisations interprofessionnelles du cinéma comme la SRF sont la proue pour se battre et accueillir les plateformes dans notre système sans le déstabiliser. Pour continuer à avoir de l’argent pour la création, protéger les sorties en salles, le droit moral, la souveraineté culturelle française.

Comment envisagez-vous l’avenir de la création cinématographique en France ?

Dans la diversité. Il faut que les hommes, les femmes trouvent une nécessité à chacun des films qu’ils mettent en route, dans tous types d’économie. Il y a beaucoup de vitalité, je ne vois pas pourquoi elle s’arrêterait. Il faut continuer à produire justement les films. Trop de films ont de très beaux scénarios mais pas assez d’argent. Du coup, ils sont à la peine pour transformer l’essai. Et puis, il y a des films surproduits, où l’ambition artistique n’est pas au rendez-vous. Il devrait y avoir plus de films du milieu. Ce serait plus juste et cohérent. Les quinze films célébrés aux Césars sont tous tellement différents, intéressants et à leur place. Je suis fière de cette diversité du cinéma français. Je ne veux pas que le cinéma français soit formaté. Parfois, on fait des films qui ne sont pas bien. Ça ne va pas. Mais au moins, on a tenté quelque chose. Donc, continuons le combat.