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La phobie d'impulsion, cette peur obsédante d'attaquer quelqu'un

Temps de lecture: 4 min

«J'avais, dans ma tête, des images de moi en train de commettre un acte violent envers quelqu'un. J'avais la peur constante qu'à tout moment, je pouvais perdre le contrôle et le faire. Alors que je n'en avais évidemment aucune envie. Cela me faisait faire des crises d'angoisse et ça m'empêchait régulièrement de dormir la nuit.» Ce que décrit Laura*, 22 ans, est de l'ordre de la phobie d'impulsion.

Bien que cela soit appelé «phobie», c'est en réalité un trouble obsessionnel compulsif (TOC), caractérisé par des obsessions agressives. Ce n'est pas le signe d'une psychose ou d'hallucinations. Ce sont comme des flashs visuels, des pensées répétitives d'un acte violent, immoral ou sexuel qui s'imposent à la personne, entraînant de l'anxiété et des compulsions.

Autrefois considérée comme un trouble anxieux, la phobie d'impulsion est un trouble psychiatrique à part entière d'après le manuel de référence, le DSM-5 – Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. Parmi les 2 à 3% de la population atteinte de TOC, 24,2% ont des pensées intrusives à caractère agressif, 30,2% à caractère sexuel ou religieux et 43% à caractère moral.

«0% de passage à l'acte»

Les actions vues en pensée sont toujours égodystoniques, c'est-à-dire contraires à ses propres valeurs ou croyances. Et parce que cela ne correspond pas aux principes du patient, il ne passe jamais à l'acte. «C'est vraiment la maladie du doute. Le fait d'avoir peur montre que les personnes atteintes ne vont pas le faire. Les mères infanticides n'ont pas peur de tuer leur enfant. Elles le font. Quelqu'un qui présente ce TOC va douter, mais il y a 0% de passage à l'acte», confirme Delphine Py, psychologue cofondatrice de Psynergy, une application de psychologie en ligne.

À force de voir ces projections sans cesse, la personne va, en effet, finir par remettre en question son envie de le faire. «J'ai l'impression d'être à une micro-seconde d'une décision cruciale, en particulier quand ce sont des pensées qui semblent trop faciles à réaliser. C'est atroce et dans ces moments-là, la peur prend très vite le dessus», raconte Alice*, 29 ans, ingénieure informatique, atteinte depuis qu'elle a 8 ans.

Un TOC a deux spécificités: les obsessions et les compulsions. Les premières sont des images mentales intrusives et récurrentes. Il y a de nombreux types de phobies d'impulsion, comme la peur de blasphémer, de ne pas aimer son ou sa partenaire, ou encore l'obsession d'être homosexuel ou hétérosexuel sans l'être réellement.

«J'ai toutes sortes de pensées:
battre, étouffer, poignarder
mon compagnon ou mon chat.
Hurler un juron à quelqu'un.
Ou tirer les cheveux d'un inconnu…»
Alice*, 29 ans, ingénieure en informatique, atteinte de phobie d'impulsion

Mais concernant la violence, il y a la pensée de se faire du mal à soi-même par mutilation, suicide ou autre. Gabriel, 24 ans et touché par des phobies d'impulsion depuis environ huit années, explique: «Quand je prenais un couteau, j'avais le sentiment que j'allais me le planter dans les yeux ou dans les parties génitales. Lorsque je devais prendre le train, j'avais peur de me jeter sur les rails.»

Cela peut aussi être des images où l'on blesse physiquement ou psychologiquement autrui de n'importe quelle manière. «J'ai toutes sortes de pensées: battre, étouffer, poignarder mon compagnon ou mon chat. Hurler un juron à quelqu'un. Ou tirer les cheveux d'un inconnu… Et il y a aussi les pensées d'ordre sexuel», énumère Alice. En effet, certains voient des images où ils commettent des agressions sexuelles, pédophiles, incestueuses ou zoophiles.

Avec les obsessions, viennent les compulsions. Ce sont des actes réalisés pour calmer l'angoisse suscitée par les pensées agressives. «J'ai déjà eu des mamans qui s'attachaient les mains la nuit pour être sûre qu'elles n'allaient pas tuer leurs enfants, qui mettaient des clochettes sur les portes en disant: “Si je me réveille la nuit, ça me permettra de me rendre compte de ce que je fais”», détaille Delphine Py. Cela peut être des évitements comme mettre hors de portée les couteaux, ne plus sortir pour ne croiser personne, ne pas rester seul avec des enfants.

Il y a aussi la distraction, comme pratiquer un sport à outrance ou regarder des séries en binge-watching. D'autres vérifient par remémoration ou par actions réelles, comme faire demi-tour sur la route, une compulsion commune à ceux qui craignent de renverser quelqu'un par inadvertance.

Pour se rassurer, certains vont également lire plusieurs fois par jour des informations sur le trouble pour se prouver qu'il n'y a pas de risque. D'autres vont demander régulièrement à leur psy ou à leurs proches s'ils sont vraiment incapables des actes qui se présentent à leur esprit.

«J'ai commencé à me répéter des phrases-clés dans ma tête»

Les compulsions peuvent aussi prendre la forme de rituels mentaux comme des prières, comptages ou répétitions de phrases spécifiques. «J'ai commencé à me répéter des phrases-clés dans ma tête tous les jours. “C'est un trouble”, “ces pensées ne reflètent pas ce que tu es”. Et surtout, cette phrase de la page Wikipédia qui m'a profondément marquée: “Dans la phobie d'impulsion typique, le risque de passage à l'acte est considéré comme nul”», confie Laura, qui a sévèrement souffert de ce TOC pendant dix-huit mois.

Pour traiter les TOC, la thérapie comportementale et cognitive (TCC) a montré son efficacité. Elle sert à examiner la façon dont le patient interprète les pensées agressives et y réagit. Dès qu'un schéma négatif est repéré, il est analysé puis modifié.

Parmi les nombreux exercices que comprend la TCC, il y a la thérapie par exposition. Cela se fait de manière encadrée et progressive. «En séance, ça m'arrive de sortir un couteau pointu, de le poser sur la table puis de demander aux patients de le prendre dans leur main pour observer ce qui se passe au niveau des émotions et des pensées, illustre Delphine Py. Cela permet de voir que ce n'est pas parce qu'il y a un couteau pointu qu'il se passe quelque chose de grave.» ​Peu à peu, il y a une diminution des réponses émotionnelles et des compulsions.

Grâce à la thérapie, le patient va pouvoir prendre de la distance avec ses pensées. Il va, au fur et à mesure, intégrer qu'il n'est pas obligé de décortiquer, comprendre, croire et surtout obéir à ses pensées par compulsion. Il n'a même plus besoin d'essayer de les bloquer. «Plus on s'interdit de penser à quelque chose et plus ça va être présent, affirme la psychologue. L'idée est de se dire: “Je ne suis pas obligé d'y croire, je ne suis pas obligé d'y prêter attention, je peux laisser passer cette pensée comme je laisse passer un nuage dans le ciel.”»

*Les prénoms ont été changés.