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La présidentielle au Brésil vue depuis les groupes Telegram pro-Bolsonaro

Temps de lecture: 5 min

À São Paulo (Brésil)

Lors du premier tour de l'élection présidentielle au Brésil, ce dimanche 2 octobre, le sortant Jair Bolsonaro (extrême droite) a obtenu 43,3% des votes, contre 48,4% pour l'ancien président Lula (union de la gauche). Un résultat bien meilleur qu'anticipé par les sondages, et pourtant, dans les groupes Telegram de soutien à «Mito» (le mythe, surnom donné à Bolsonaro par ses sympathisants), c'est la colère qui prédomine.

Au moment où Luiz Inácio Lula da Silva passe en tête dans les estimations, il est un peu plus de 20h. Dans le groupe Jair Messias Bolsonaro 2022 (16.800 membres), Andreia écrit: «le voleur va continuer jusqu'à la fin du dépouillement, il va falloir aller dans la rue.» Le voleur, c'est Lula, et «aller dans la rue», c'est protester contre le résultat d'une élection reconnue propre et fiable par les plus grandes démocraties au monde. Andreia est loin d'être la seule à avoir cet avis. Sur les cinq messages suivants, on peut lire «fraude», «vol devant nos yeux», «c'est la même chose qu'aux États-Unis».

Le groupe Jair Messias Bolsonaro 2022 se place tout à fait dans la lignée d'autres groupes de cet acabit. Dans Direita Inteligente (16.700 membres), on lit «FRAUDE», ou encore «peu importe qui vote, l'important c'est celui qui compte les votes». Dans Mon vote est Bolsonaro 22 (São Paulo), Gomes tombe sur la tête: «Ça ne devaient pas être les miliaires qui faisaient le dépouillement?»

Sacro-saint sondage

D'où vient la certitude du supporter bolsonariste? Pour la comprendre, il faut remonter d'abord en 2018, où le candidat ultra-conservateur arrive au pouvoir en déjouant les sondages. Les médias mentent, les sondeurs mentent, seul Jair ne ment pas.

Retour au scrutin 2022: une nouvelle fois les plus grandes études statistiques du pays (Datafolha, Quaest, IPEC) donnent un avantage certain à Lula. Pourtant, de son côté, Jair Bolsonaro répète à l'envie qu'il sera élu dès le premier tour. La prédiction est ânonnée par ses relais religieux (leaders d'églises évangéliques) et par ses alliés politiques.

«Nous avons les moyens de prouver la fraude à notre président et aux forces armées.»
Message envoyé aux membres des groupes Mon vote est Bolsonaro 22 sur Telegram

Sur Telegram, on y croit aussi. On y croit d'autant plus qu'enfin, un sondage –alléluia– donne Bolsonaro en tête. L'étude vient d'un institut officiel, enregistré au TSE (Tribunal Supérieur Électoral): 41% pour le président-sortant, 37% pour Lula. L'institut de sondage s'appelle Equilibrio Brasil, il est immédiatement salué et repris sur tous les groupes de diffusion massive.

Après quelques recherches, on trouve aisément que Equilibrio Brasil a publié son tout premier sondage au mois de juin 2022. Par mail, la demande de détails concernant la méthode et l'origine de la commande du sondage reçoit une réponse rapide: M. Parizzi, directeur, n'a pas le temps pour une interview.

Samedi, veille du scrutin, le plus grand quotidien du pays, la Folha de São Paulo, fait évaluer la fiabilité de ce sondage par des experts. Tous répondent unanimement que la méthode –automatisée par téléphone– manque de sérieux (tous les candidats ne sont pas mentionnés, la question du vote préalable à l'élection de 2018 n'a pas été posée). Mais elle renforce le sentiment de victoire préalable des partisans de Jair Bolsonaro, elle va dans le sens de l'histoire, alors elle est vraie, pas comme les autres, qui sont fausses.

«La gauche va faire un coup d'État» / «Je suis bien nerveuse, quelqu'un d'autre comme moi?» / «On va au combat» | Capture Telegram

Tout cela procure une bonne dose d'optimisme aux membres de nos trois groupes test Telegram. La victoire au premier tour est en vue, Donald Trump envoie une vidéo de soutien à Jair Bolsonaro, Neymar Jr. aussi, et à la mi-journée de dimanche, arrivent les premiers résultats «officieux» venant des pays étrangers: «Au Japon on a voté à 80% pour Bolsonaro», s'extasie Elóy. Le résultat n'est évidemment pas officiel, aucun ne peut être divulgué avant la clôture des urnes partout au Brésil, à 17h, heure de Brasilia.

Arrivent alors les vidéos de la France, ces longues files de Brésiliens expatriés à Paris, avec des supporters de Lula particulièrement nombreux, visibles, bruyants. «Voilà des gens qui méritent de souffrir avec Macron», réagit Jordânia dans le groupe Direita Inteligente. Plus bas, Guilherme se contente d'un «bando de fdp» (traduction non nécessaire). On peut lire aussi que la France serait un «réduit communiste», mais la palme revient à Marcos et son cliché du Français sale (encore extrêmement présent au Brésil, pas seulement chez les bolsonaristes): «en France, déjà que personne ne prend de douches, maintenant ils n'ont plus de gaz, ça va sentir aussi mauvais qu'au siège du PT.» La poésie n'a pas de frontières.

Urnes électroniques et fake news

Malgré la bonne ambiance et la bienveillance générale, certains membres semblent inquiets. En effet, plus de 1.400 urnes ont été remplacées par le fameux TSE, Tribunal Supérieur Électoral. Les partisans de Jair Bolsonaro, comme le président-sortant lui-même, n'aime pas les juges des tribunaux supérieurs, que celui-ci soit électoral ou –encore pire– fédéral (STF). Ce sont-là des contre-pouvoirs auxquels ils s'attaque sans cesse. Les méchants juges du TSE essaieraient donc de truquer l'élection?

Dans une vidéo partagée la veille du scrutin, une habitante de Novo Friburgo, commune de l'État de Rio de Janeiro, affirme ceci: «hier des urnes sont arrivées, et elles contenaient déjà des votes pour Lula.» Au Brésil, les votes se font de manière électroniques, celles-ci ont été testées et ne présentent aucun point faible susceptible d'entraîner un risque de fraude.

Caricature d'Alexandre de Moraes (président du Tribunal Electoral Supérieur), en truqueur d'urnes, partagé sur un groupe Telegram. «Je vais compter les voix je reviens tout de suite.» | Capture Telegram

Dans son discours, aux environs de minuit, Jair Bolsonaro ne parle pourtant pas de fraudes, se félicite une nouvelle fois d'avoir déjoué les sondages, d'avoir remporté les autres élections. Effectivement, les Brésiliens votaient également pour élire les sénateurs, députés et gouverneurs: les bolsonaristes et alliés ont obtenu d'excellents résultats.

Sur Telegram, le discours présidentiel passe presque inaperçu. Le lundi matin au réveil, on s'insurge toujours de cette deuxième place, de cette fraude. «Si autant d'alliés de Jair Bolsonaro ont gagné, d'où sont apparus tous ces votes pour Lula?», se demande un article partagé sur le groupe Direita Channel, pourtant resté neutre durant une bonne partie de la nuit.

«FRAUDE» / «CRIME» / «Peu importe qui vote, l'important c'est qui compte les votes. Je n'ai pas confiance» | Capture Telegram

Les partages de vidéo se multiplient: untel analysant les résultats de manière simpliste, d'un autre témoignant «qu'une femme qu'[il] a croisé» n'a pas pu voter Bolsonaro parce que son vote avait déjà été enregistré. L'image la plus populaire, celle qui fait réagir c'est un relevé de l'évolution des scores de Jair Bolsonaro et Lula. On voit, au fur et à mesure du dépouillement, les courbes se croiser.

«GUERRA CIVIL»

Dans les faits, ça s'explique parce que les États du Nordeste, largement favorables à la gauche, ont été dépouillés plus tard. Dans la narration du Bolsogram, on y voit l'action d'un algorithme tant l'inversion de la tendance est régulière: «Regardez, à chaque fois que Lula gagne 1% JB perd 0,5%.»

Les milliers de membres du groupe tirent alors les conséquences de cette triche généralisée. D'abord, il faut absolument la prouver, ça tombe bien les électeurs de Bolsonaro sont regroupés dans les groupes Mon vote est Bolsonaro 22 (un par État dans le pays).

Sur chacun de ces groupes est envoyé un message: «Nous allons rouvrir ces groupes demain et nous vous demandons, à tous, d'envoyer une photo avec le reçu de votre vote pour Bolsonaro. Nous avons les moyens de prouver la fraude à notre président et aux forces armées.»

Dans une autre vidéo, on appelle le peuple bolsonariste à marcher: «créer une pression populaire pour obliger le Congrès à un vote d'urgence et avoir des bulletins imprimés au second tour». Il faut manifester, il faut se battre, au sens propre selon un des contributeurs: il écrit huit fois «GUERRA CIVIL», en majuscules. Il reste 27 jours avant le deuxième tour, le 30 octobre.