L’élection surprise au Sénat d’un indépendantiste kanak, et la défaite de la secrétaire d’État à la citoyenneté, ont rebattu les cartes alors que se discute le futur statut pour l’archipel.
L’élection surprise au Sénat, dimanche 24 septembre, d’un indépendantiste kanak, et le revers essuyé par la secrétaire d’État à la citoyenneté Sonia Backès, largement battue, sont un message fort envoyé à l’Etat, alors que se discute le futur statut pour la Nouvelle-Calédonie. Selon les informations du Monde Mme Backès a remis mercredi 27 sa démission à Emmanuel Macron qui l’a acceptée.
Le choc a été dur à encaisser pour les non-indépendantistes les plus fervents. Sur le papier, avec quelque 330 grands électeurs loyalistes contre moins de 230 indépendantistes, l’élection était « imperdable » pour les partisans du maintien du territoire dans la France. Mais c’est bien Robert Xowie, candidat unique du Front de libération kanak et socialiste (FLNKS), qui s’est imposé au deuxième tour devant la cheffe de file des loyalistes Sonia Backès. Un deuxième séisme, après l’élection au 1er tour du dissident (LR) Georges Naturel, qui quelques heures plus tôt s’est offert le luxe d’une victoire à la majorité absolue.
L’élection a pris la forme d’un hold-up pour la vice-présidente du Rassemblement-Les Républicains. Mme Backès avait présenté un ticket avec le sénateur sortant (LR) Pierre Frogier, victime lui aussi du coup de balai. Ni Georges Naturel ni Robert Xowie ne s’en cachent, c’est bien leur alliance, conclue en toute discrétion, qui leur permet d’accéder au Palais du Luxembourg. Il a aussi sûrement manqué à Mme Backès des grands électeurs de Nouméa, la ville dirigée par Sonia Lagarde, membre du parti présidentiel Renaissance.
« On a fait perdre notre première ministre calédonienne »
« Sur son nom, Georges Naturel ne rassemble que 118 voix côté loyalistes, il arrive derrière Sonia Backès et Pierre Frogier », regrette Virginie Ruffenach la cheffe du Rassemblement, qui a dénoncé « une trahison ». « On a fait perdre notre première ministre calédonienne depuis des décennies à un moment de notre histoire où, à Paris, elle orientait les choses pour la famille loyaliste », a pesté le député Renaissance Nicolas Metzdorf dès mardi sur la radio RRB.
C’est tout le paradoxe de la Nouvelle-Calédonie, terre bipolaire, où la politique se construit au quotidien sur l’opposition entre partisans et opposants à la dépense, mais où les paris transpartisans se révèlent bien souvent gagnants. Ainsi les voix de l’Eveil océanien, jeune parti communautaire wallisien qui se revendique « ni-ni, ni indépendantiste, ni non-indépendantiste », permettent depuis cinq ans à Roch Wamytan (Union calédonienne-FLNKS) de se faire réélire à la présidence du Congrès au nez et à la barbe des non-indépendantistes, pourtant majoritaires. Idem pour le gouvernement, présidé par un autre indépendantiste, Louis Mapou. Au tournant des années 1980, la Fédération pour une nouvelle société calédonienne (FSCN), ne se reconnaissant ni dans l’un ou l’autre camp, avait pendant trois ans joué les pivots, avant que le début de la guerre civile en 1984 ne condamne l’initiative.
Le résultat de dimanche sanctionne une pensée jugée trop binaire et des « méthodes » loyalistes dont les adversaires dénoncent la virulence. « Dans ce pays, il faut qu’on se respecte, et la manière de faire de la politique depuis deux-trois ans, ce n’est pas la bonne manière pour la Calédonie », lance Georges Naturel. Si les deux nouveaux élus au Sénat dépassent les clivages, c’est parce qu’ils se connaissent très bien : Robert Xowie a été président d’une association de maires, comme Georges Naturel, leurs communes respectives de Lifou et Dumbéa étant jumelées.
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Au Sénat, M. Xowie devrait rejoindre le groupe communiste, la décision sera connue lundi. M. Naturel siégera lui chez LR, parti appelé à fournir l’appui indispensable à la future réforme constitutionnelle sur la Calédonie, souhaitée par Emmanuel Macron début 2024. Le nouvel élu demande qu’une place soit accordée aux deux sénateurs calédoniens à la table des négociations politiques en cours avec l’Etat. Ce que refuse Virginie Ruffenach, arguant que seuls les groupes constitués au Congrès mènent les discussions.
« Réponse au discours néocolonial du président Macron »
Le vote sénatorial sanctionne-t-il aussi le chef de l’Etat ? La victoire de dimanche, « c’est la réponse au discours néocolonial du président Macron qui persiste à ignorer que notre pays est engagé dans un processus irréversible de décolonisation. Le président le plus mal aimé de la France n’a pas hésité à dénigrer le FLNKS, pensant sûrement, sur les conseils de sa secrétaire d’Etat, que notre pays pourrait se construire sans nous », écrit le bureau politique du FLNKS dans un communiqué publié mardi.
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« Ce dont on devrait se réjouir, c’est que le vote de dimanche est l’illustration que l’esprit de Nainville [la première rencontre réunissant en 1983 indépendantistes et non-indépendantistes] et de la poignée de main [entre le leader loyaliste Jacques Lafleur et l’indépendantiste Jean-Marie Tjibaou, cinq ans plus tard] est toujours vivant », estime l’historien Louis-José Barbançon. Une unité que la société calédonienne réclame en effet.
Reste à savoir comment l’Etat va entendre le message, « alors qu’il a toujours refusé d’entendre celui de la majorité des Kanak qui ne sont pas allés voter au troisième référendum », s’interroge M. Barbançon. Ce dernier trace un parallèle avec le référendum de 1987, validé par l’État malgré le boycott indépendantiste, et qui avait conduit un an plus tard à la prise d’otages d’Ouvéa. Fin 2021, seuls 44 % des Calédoniens s’étaient en effet rendus aux urnes pour s’exprimer une troisième et dernière fois contre l’indépendance, alors que les deux premiers scrutins avaient réuni plus de 80 % des électeurs. Une date qui restera comme celle de « l’humiliation du peuple kanak », martèle, au nom de l’UC, Gilbert Tyuiénon.
A Paris, l’exécutif laisse entendre que le calendrier des discussions ne change pas, avec une visite de Gérald Darmanin prévue vers la fin octobre et l’espoir d’un accord conclu en fin d’année sur le prochain statut du territoire « dans la République ». Le préfet Rémi Bastille, chargé à Nouméa de conduire, dans l’ombre, les discussions, intègre « pour quelques mois » le cabinet du ministre de l’intérieur comme directeur adjoint - une décision prise avant l’élection sénatoriale, a-t-il assuré mercredi sur la radio RRB.
Charlotte Mannevy et Nathalie Guibert
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