France
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La sobriété, ce nouvel objet du désir

Transports, rénovation industrielle, végétalisation… En 2023 Libé explorera la thématique de la transition écologique lors d’une série de rendez-vous inédits. Objectif : trouver des solutions au plus près des territoires. Première étape, Bordeaux, les 4 et 5 février (entrée libre sur inscription). Un évènement réalisé en partenariat avec la ville de Bordeaux, le département de la Gironde, l’université de Bordeaux, le Crédit coopératif, Velux, La Plate-forme d’observation des projets et stratégies urbaines (Popsu).

L’être humain n’aime pas se restreindre, voir ses horizons rétrécis, ou renoncer. Sa nature est plutôt en expansion. C’est le sens de la parole de Pascal, faisant le constat que «tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer au repos dans une chambre». Qu’est-ce qui les en empêche ? Le désir et la nécessité. Longtemps c’est la nécessité qui a propulsé l’être humain hors de sa caverne pour aller quérir sa pitance et assurer sa survie. Et puis au fil du temps long, pendant qu’une partie de l’humanité restait rivée à sa quête primaire de survie, l’autre s’en affranchissait et ouvrait la porte au désir. C’est une longue histoire, dans laquelle l’artisanat, le commerce, puis la société marchande et industrielle, et enfin le libéralisme économique se sont engouffrés, créant des choses, des objets à foison, alimentant le désir. Le désir est un ogre polymorphe : il a pour nom confort, mobilité, beauté, santé… Il se nourrit des grands rêves de l’humanité. Il est difficile de faire le procès du désir, tant c’est lui qui met l’humanité en mouvement, vers le pire comme vers le meilleur. Et il n’y a pas de vie sans désir. Le nouveau-né en a déjà. Alors que va-t-on faire ?

L’urgence climatique ne faisant plus débat, nous voilà face à l’impérative nécessité de réorienter le désir.

La première question qui se pose est : vers quoi ? Qu’est-ce qui est bien ? Où sont les fausses routes ? On voudrait une carte aussi précise et fiable que possible de l’itinéraire. Clarifions. Faut-il améliorer le nucléaire qui a de très loin le meilleur «rendement» énergétique ou consteller le pays d’éoliennes, qui produisent une énergie 100% renouvelable mais à faible rendement et contribuent à épuiser d’autres ressources ? Ou bien les deux mais alors dans quelle proportion ? Sur l’alimentation, on change les critères du nutriscore et cela rebat les cartes : des produits classés A repassent en C et vice versa. A quoi se fier ? Faut-il rouler en voitures électriques peu «polluantes», mais lourdes donc énergivores dans leur fabrication comme dans leur utilisation ? Ou faut-il arrêter les SUV hybrides et inventer des voitures à moteur thermique légères et économes en matière et en énergie, produites chez nous ?

Prêts à la sobriété

Il faut redonner à la Science et aux scientifiques une place forte dans les arbitrages, un espace d’expression, et autoriser que leurs voix portent davantage, auprès de nos enfants, de la jeunesse (je suis affolée par un sondage Ifop qui constate qu’un sixième des 10-24 ans pense que la terre est plate). La pédagogie simple et claire de la «bonne route» pour la transition, en particulier énergétique, est cruciale désormais. Cette France qu’on dit indisciplinée, n’est-elle pas capable de faire siens des comportements qui conjuguent sens, responsabilité, économie, changement, lorsqu’on l’y invite et qu’on la persuade ? Je crois que si et que cela a commencé depuis déjà un moment.

Car les Français sont prêts pour la sobriété : selon la récente étude Prosumers (1) – Sobriété réalisée par BETC /Havas en France en novembre 2022, ils pensent à 82% que la réduction de l’empreinte carbone est l’enjeu majeur dans notre société, et surtout 80% d’entre eux disent qu’ils pourraient être heureux dans un monde plus sobre. Ils n’en veulent même pas aux générations précédentes mais disent que les plus responsables du problème sont les citoyens (donc eux-mêmes) à 37%, les entreprises à 28%, et les plus riches à 14% (alors qu’en réalité les 10% les plus riches sont responsables de 50% des émissions des ménages et que 100 entreprises dans le monde seraient responsables de 71% des rejets de gaz à effet de serre imputables à l’activité humaine (rapport de l’ONG Carbon Disclosure Project 2017).

Attention : les Français ne sont pas naïfs, ils s’aperçoivent tout de même que les entreprises, en particulier les grandes, ont les clés de la transition et ne sont pas allées au bout de ce qu’elles peuvent faire : quand on leur demande «qui aujourd’hui agit le plus pour lutter contre le dérèglement climatique ?», les entreprises n’arrivent qu’au cinquième rang avec seulement 5% des répondants.

Porte grand ouverte

En fait les Français sont finalement très sympas. Ils veulent bien prendre leur part et même un peu plus. À condition qu’on ne leur présente pas la transition comme une longue série de sacrifices, ni même comme un renoncement à la croissance, car c’est déprimant : 72% des «prosumers» pensent qu’«il est important de garder la croissance au cœur de notre modèle parce que ça garantit l’emploi pour tous».

Ils énoncent déjà la transition comme consommer mieux (à 63%), comme l’arrêt du gâchis (à 75%), et des achats dont on n’a pas besoin (à 74%). Ils sont fans du local, de la seconde main, de la réparation, qui génèrent des pics de recherche sur Google.

Une porte est donc grande ouverte pour faire de la sobriété un style de vie et de consommation «cool», que l’on aspire à adopter. Nos congénères disent déjà admirer ceux qui y arrivent.

Bien sûr une transition aussi massive que celle qu’il nous faut opérer comporte une part de complexité, le besoin de nuancer, d’agir avec finesse, doigté, et les Français vont vers elle avec toutes leurs différences. Certains seront adeptes des mobilités douces et d’autres d’invétérés locavores. Chacun fera ce qu’il pourra. Une transition qui préserve les libertés et la démocratie, c’est cela qu’il faut tenter, dès maintenant. Evitons ce qui pourrait la faire rejeter : les radicalités, les injonctions paradoxales. Evitons d’angoisser les gens. Les contraintes existent et sans doute il y aura à l’avenir des interdictions nouvelles, mais on s’engage tellement plus et mieux dans ce qui est choisi. Dans ce qui est profond et sensé. Dans ce qui ne change pas tous les jours. La sobriété en consommation s’imposera aussi par une sobriété de communication : celle qui donne aux marques un cap, un point de vue, fait des pubs durables et de qualité, qu’on peut utiliser plusieurs années, ne se répand pas inutilement dans les réseaux sociaux, évite l’intrusion, ne change pas tous les quatre matins, et crée du désir pour une consommation plus réfléchie et plus calme.

(1) Les études Prosumers sont des études quantitatives réalisées par BETC-Havas, qui permettent à la fois de sonder la population générale et d’isoler selon un algorithme propriétaire les consommateurs les plus avancés, prédictifs des perceptions et comportements qui deviendront dominants à échéance de six à dix-huit mois.