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La spirale inflationniste est-elle créée par la hausse des salaires ou est-elle un symptôme de l'inflation ?

Les salaires n'évoluent pas aussi vite que l'inflation

Les Français subissent l'inflation d'une manière inégale. Pour certains foyers l'inflation est limitée à 2,5%, pour d'autres la hausse des prix atteint 8,4%, révélait en avril 2022 une note de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). D'après les études et les statistiques du ministère du Travail, de juin 2021 à juin 2022, l'indice du salaire mensuel de base a augmenté de 3,1%.

Avec une inflation à 6,2% d'après l'INSEE, pour maintenir le pouvoir d'achat, il parait normal d'augmenter les salaires au niveau de l'inflation. L'État ne pousse pas réellement dans cette voie, les entreprises jouent la montre et préfèrent miser sur les aides de l'État. De quoi les entreprises et le gouvernement ont-ils peur ? De la spirale "prix-salaire" ? Une étude du FMI parue le 5 octobre 2022 conclut qu'une hausse des salaires ne conduit pas à enclencher une spirale salaires-prix rendant l'inflation incontrôlable.

Pas de spirale des prix sans hausse de salaire

Dans les magasins d'alimentation, l'inflation atteint près de 10% selon NielsenIQ. Quelles en seraient les causes ? Une distorsion entre offre et demande, la guerre en Ukraine, le reconfinement en Chine, des relocalisations, la crise énergétique ou l'augmentation des salaires ? Pour la Banque centrale européenne, une explication habituelle est la hausse des salaires. En juillet 2022, la Présidente de la BCE expliquait son souhait d'éviter :

"Une spirale salaire-prix, comparable à celles qui par le passé ont conduit à une spirale incontrôlable".

Jean-Claude Trichet, ancien Président de la Banque centrale européenne et ancien Gouverneur de la Banque de France, expliquait en juillet 2022 :

"Nous devons être dans une situation où il faut faire comprendre aux partenaires sociaux, syndicats de salariés, entrepreneurs et à nos concitoyens que la stabilité des prix doit être anticipée : le déclenchement d'une spirale d'inflation des prix et des salaires n'est pas dans l'intérêt de personne. De ce point de vue compenser l'inflation immédiate par des primes, et non par des augmentations de salaire récurrentes est la meilleure solution, car elle permet d'éviter l'inflation permanente, meurtrière pour les plus démunis et la croissance à terme".

Mais d'où vient ce dogme ? Des "réformes structurelles" établies lors du traité de Maastricht ou la peur de réduire la rentabilité du capital : "nous ne sommes pas dans une économie administrée", répondait le Président à ceux qui réclamaient une indexation des salaires sur l'inflation.

Des "réformes structurelles"

Pour faciliter l'intégration à l'Union économique et monétaire UEM, des contraintes budgétaires ont été mises en place, des fonds de soutien seront payés en contrepartie de "réformes structurelles" : une réduction drastique des dépenses publiques, une baisse du coût du travail et une ouverture à la concurrence des secteurs protégés. Des réformes issues des critères de convergences établis lors du traité de Maastricht.

La rigueur budgétaire a été suspendue depuis le début de la crise sanitaire en mars 2020 et ne sera de retour qu'au début 2024. Il paraît aujourd'hui très difficile de réduire les dépenses publiques. Reste l'ouverture à la concurrence des secteurs protégés et la limitation de la hausse des salaires.

Le FMI arrive-t-il aujourd'hui à la même conclusion que Karl Marx ?

Les économistes occidentaux continuent à affirmer que des hausses de salaire globales entraîneront une hausse de l'inflation et créeront une flambée des salaires et des prix. La récente déclaration d'Andrew Bailey, le gouverneur de la Banque d'Angleterre :

"Je ne dis pas que personne n'obtient une augmentation de salaire, ne vous méprenez pas. Mais ce que je dis, c'est que nous devons faire preuve de retenue dans les négociations salariales, sinon cela deviendra incontrôlable".

29 jours après l'étude du FMI, le 3 novembre 2022, Jason Furman, ancien conseiller économique du Président américain Obama et également professeur de pratique de la politique économique à la Harvard Kennedy School, concluait :

"Sur des périodes plus longues, il existe un lien étroit entre la croissance de la rémunération horaire et la croissance des prix".

Curieusement Jason Furman utilise exactement le même argument que Thomas Weston a donné il y a plus de 150 ans :

"Demander une augmentation des salaires était vain, car tout ce qui se passerait serait que les employeurs augmenteraient leurs prix pour maintenir leurs profits et que l'inflation rongerait rapidement le pouvoir d'achat; les salaires réels stagneraient et les travailleurs reviendraient à la case départ en raison d'une spirale salaires-prix".

À cette époque c'est Karl Marx qui répondit à Thomas Weston dans "salaire, prix et profit" : premièrement, "les hausses de salaire se produisent généralement dans le sillage des hausses de prix précédentes" - c'est une réponse de rattrapage, non due à des demandes "excessives" et irréalistes de salaires plus élevés de la part des travailleurs. Deuxièmement, "ce ne sont pas les hausses de salaire qui causent la hausse de l'inflation".

Le FMI a ainsi présenté une analyse complète des données sur le mouvement des augmentations des salaires et des prix, qui réfute à la fois la Présidente de la BCE, l'ancien Président de la BCE, le Président français, le gouverneur de la Banque d'Angleterre et l'ancien conseiller économique du Président Obama, etc. Cet organisme supranational aborde ces questions en créant d'abord une définition empirique d'une spirale prix-salaires, puis en l'appliquant à une base de données historique des économies avancées depuis les années 1960.

Ainsi, ce qui s'est passé dans de nombreux pays pendant soixante ans a été analysé économétriquement. La conclusion du FMI :

"Nous concluons qu'une accélération des salaires nominaux ne doit pas nécessairement être vue comme le signe de l'installation d'une spirale salaires-prix".

Réduire la rentabilité du capital

Il faut espérer que, pour donner suite à l'étude du FMI, les autorités économiques officielles arrêteront d'affirmer que l'augmentation des salaires est le principal risque d'une inflation soutenue. En réalité une augmentation générale du taux des salaires peut entraîner une baisse du taux général de profit, mais n'affectera pas les prix des marchandises. En d'autres termes, les hausses de salaire sont beaucoup plus susceptibles de réduire la part des revenus allant aux bénéfices. Pour la BCE c'est en premier lieu sauvegarder la zone euro.

Pour les Banques centrales en général c'est d'imposer une "modération salariale" afin de protéger et de maintenir les profits. C'est la raison pour laquelle elles soutiennent en priorité les hausses des taux d'intérêt pour freiner l'inflation au lieu des mesures de resserrement de la politique monétaire. Des taux, s'ils ne sont pas maitrisés, pousseront les économies dans une récession. La Commission européenne prévient :

"La zone euro va entrer en récession en fin d'année".

Jean-François Perret, Vice-président du groupe de réflexion Étienne Marcel, a peut-être raison d'écrire : "L'ensemble des salaires doit évoluer au rythme de la hausse générale des prix, au moins jusqu'à fin 2023", Tribune publiée dans Le Monde.