Les sécheresses récurrentes affaiblissent des individus qui croissent de moins en moins vite. "Partout en France, les arbres meurent du fait de la hausse des températures sans que cela fasse de bruit, si bien que nous parlons, nous forestiers, de tempête silencieuse", assène Albert Maillet, directeur forêt et risques naturels à l’Office national des forêts (ONF).
Ce 25 septembre 2023, le conseil de la planification écologique a annoncé l’octroi de 500 millions d’euros supplémentaires pour préparer la forêt à une hausse des températures bien trop rapide pour les capacités d’adaptation des arbres dont la durée de vie oscille entre 50 ans et plusieurs siècles. Pour contrer donc cette "tempête silencieuse"
Ces nouvelles aides succèdent au plan de reboisement et de soutien à la filière bois du plan "France relance" doté de 200 millions d’euros. Le président de la République Emmanuel Macron a même lancé comme objectif la plantation d’un milliard d’arbres d’ici à dix ans, ce qui paraît très ambitieux pour les professionnels du secteur. Dans un climat changeant, les forestiers savent désormais qu’il leur faut réfléchir à installer la bonne essence sur le bon sol, au bon endroit et dans des conditions de température et d’humidité adéquate. Une démarche qui demande du temps.
Une augmentation de 30% d'arbres morts de moins de 5 ans
A l’ONF, on estime ainsi qu’à la fin du siècle, la moitié de la forêt française basculera dans des conditions d’existence inadaptées. La croissance des arbres ralentit déjà. Ceux-ci doivent en effet faire des arbitrages entre la préservation de leur teneur en eau vitale pour eux et le stockage de CO2. Les deux fonctions passent en effet par le même chemin, des petits trous appelés stomates à la surface des feuilles.
Il suffit de regarder les mesures effectuées par le Citepa, l’association en charge du calcul des bilans de gaz à effet de serre de la France et des outremers. "Le puits de carbone était estimé à environ -50 millions de tonnes de CO2 dans les années 2000, il n’est plus aujourd’hui que d’environ -20 millions de tonnes de CO2, notamment en raison de l’effet couplé de sécheresses à répétition depuis 2015, de maladies affectant le taux de mortalité des arbre, et d’une hausse des récoltes de bois", constate Colas Robert, chef d’unité forêt et utilisation des terres au Citepa.
La principale source du diagnostic, c’est l’inventaire forestier national. "On constate une augmentation de 30% du stock d’arbres morts de moins de 5 ans, un dépérissement de certaines essences, une baisse de la production de bois", confirme Manuel Fulchiron, directeur adjoint à l’Institut géographique national (IGN) dans IGN Magazine. C’est une très mauvaise nouvelle : pour atteindre la neutralité carbone en 2050, la France compte sur un puits forestier en absorbant 80 millions de tonnes.
Les plus belles chênaies d'Europe dans le bassin de la Loire
La forêt doit donc changer de visage. Mais à sa vitesse. Devant la parcelle 242 de la forêt de Moulière, Kévin Claveau, technicien forestier territorial couve des yeux une futaie de chêne représentative de ce qu’est une forêt de plaine du centre de la France.
Les arbres massifs ont tous été plantés il y a 135 ans environ. Leurs longs troncs sans branches voisinent avec un sous étage de hêtres, de charmes qui incitent les chênes à pousser droit. "Le bassin de la Loire regroupe les plus beaux peuplements de chênes d’Europe et peut-être même du monde", affirme-t-on à l’ONF.
Les conditions météo locales, la disponibilité en eau, la qualité du sol font que cette futaie régulière est bien adaptée à son milieu et qu’elle ne devrait pas souffrir des chocs thermiques annoncés. "Ces chênes sessiles continuent de bien se porter et ont une taille exceptionnelle malgré des conditions plus sèches si bien que les graines provenant d’ici sont très recherchées par les gestionnaires de massifs situés plus au nord et qui veulent bénéficier de ces qualités pour leurs replantations" explique Kévin Claveau.
Ces 12 hectares sont inclus dans le dispositif de recherche Renecofor, qui évalue depuis 25 ans la réaction des écosystèmes forestiers aux évolutions du climat.
Un chêne de la futaie régulière de la parcelle 242. © ONF
La remarquable parcelle 242 n’est qu’un des éléments des 6000 hectares de Moulière. D’autres endroits ont un sol plus pauvre ou plus acide, une orientation vis-à-vis des vents dominants différente, des essences qui ont une histoire autre. Ainsi, la parcelle 237 a un passé plus agité. Ici, les chênes sessiles et pédonculés ont toujours été mélangés à des châtaigniers. Mais ceux-ci ont dépéri, atteints par une maladie fongique, le chancre. Les forestiers ont alors accompagné la régénération naturelle par l’alisier, le charme, le hêtre, le bouleau, le frêne et procédé à des plantations pour compléter une mosaïque d’espèces plus résilientes. "Cette régénération intervient par la coupe de quelques individus par hectare tous les 8 à 12 ans qui provoque des espaces de lumière favorables aux repousses", explique Albert Maillet.
La forêt mosaïque selon l'ONF. Cliquez sur l'image pour l'agrandir. © ONF
Les interventions deviennent complexes : il s’agit de comprendre comment les essences vont se relayer dans le temps, à quelle vitesse elles vont croître, comment elles vont cohabiter.
Cette biodiversité assistée et surveillée que l’ONF a baptisé "forêt mosaïque" a toujours pour objectif la production de bois. Et cette stratégie est gagnante. Selon le réseau de recherche TreeDivNet, les forêts en mélange produisent 50% de biomasse de plus que les forêts monospécifiques, vraisemblablement en raison d’un meilleur partage de la ressource en eau et de la matière organique du fait de racines qui exploitent des strates plus ou moins profondes des sols.
Des stratégies différentes devant l'impact du changement climatique
L’ONF mais aussi les acteurs privés du Centre national de la propriété forestière ont établi la même stratégie de réponse graduelle et proportionnelle au changement climatique qui se traduit en trois itinéraires techniques. La recombinaison consiste à favoriser la régénération des espèces les plus résistantes. La transformation implique l’injection de "sang neuf" dans l’écosystème forestier en plantant des végétaux provenant de zones méridionales plus chaudes et plus sèches.
Le scénario de rupture consiste, lui, à prendre conscience que les espèces locales ne sont plus adaptées et qu’il faut aller chercher à l’étranger des essences qui s’adapteront à la région. "Ici à Moulière, nous testons le chêne pubescent, le cèdre de l'Atlas, le pin de Turquie", avoue Antoine Bled, directeur ONF pour l’ex-région Poitou-Charentes.
Il est bien loin le temps du fonds forestier national créé en 1946, dissous en 2000, qui finançait les plantations en rang serré de la même essence pour maximiser les profits au détriment de la biodiversité. Il en reste une trace à Moulière, où des pins maritimes ont été plantés sur des zones humides d’un grand intérêt écologique que l’on tente aujourd’hui de réhabiliter après la coupe de ces arbres plantés dans les années 1970.
A la suite des Assises de la forêt et du bois qui se sont déroulées d’octobre 2021 à mars 2022, l’IGN en charge de l’inventaire forestier national a créé un "observatoire de la forêt et du bois" en partenariat avec l’ONF, le CNPF, les acteurs industriels de la filière bois et de l’Office français de la biodiversité (OFB) pour justement mettre en commun les constats de la catastrophe latente et des méthodes pour la contrer.
L’objectif est de mettre en commun des données forestières de plus en plus précises. Car la technologie du Lidar a complètement transformé la connaissance du couvert végétal, en France comme dans le monde. Couplé à l’imagerie satellitaire notamment des Sentinel 1 et 2 du programme européen Copernicus, les gestionnaires connaissent désormais l’occupation du sol, la hauteur des différentes strates de végétation et même la litière des premiers centimètres de sol.
Ce sont des survols aériens qui donnent l’imagerie Lidar de la forêt française, aboutissant à une cartographie plus fine produite en partie par Intelligence artificielle. L’IGN a lancé le programme Lidar haute définition qui devrait aboutir d’ici à 2025 à une cartographie en trois dimensions de l’ensemble du territoire français.
Une évaluation du stockage de carbone par la végétation de plus en plus précis
Mais toute cette technologie n’efface en rien les visites des forestiers sur le terrain sur des placettes positionnées en moyenne tous les 20 km². Là, les hommes mesurent le diamètre des arbres, évaluent la vigueur des végétaux de sous-bois, prélèvent par des tarières des carottages de troncs pour calculer la vitesse de croissance grâce aux cernes. "En combinant les données de terrain de l'IGN, les produits cartographiques d'occupation du sol issus de l’imagerie satellitaire du programme européen Copernicus, des mesures des stocks de carbone dans les sols, nous sommes désormais en mesure de mieux estimer les flux de carbone sur le territoire, à haute résolution", se félicite Colas Robert.
Cette mesure du CO2 stocké suit aujourd’hui une méthodologie bien établie que l’on retrouve tous les ans dans l’inventaire des émissions Secten du Citepa. L’occupation des sols par les végétaux est corrélée à des tonnes de carbone stockée par un guide de conversion construit par le Giec et qui est le seul accepté par la comptabilité carbone de la convention onusienne sur le climat
Pour suivre les changements d’affectation, le Giec a par ailleurs découpé les territoires en six usages différents : forêts, terres cultivées, prairies, zones humides, zones artificielles, autres terres. C’est à partir de cette nomenclature définie par des seuils de présence des végétaux que sont appréhendés les changements d’affectation comme la conversion d’un champ en prairie ou d'un bois en zone urbanisée.
Si la forêt en France continue de gagner des surfaces, les forestiers sont aujourd’hui confrontés à un autre enjeu majeur : l’exploitation du bois. "Le degré de mobilisation de la biomasse forestière (pour usage de bois matériau, bois industrie, bois énergie) et les stratégies de maintien ou d’accroissement du rôle de puits de carbone des forêts françaises représentent des enjeux scientifiques et politiques forts", écrit ainsi le Citepa.
La planification écologique que va désormais piloter le Premier ministre devra entre autres faire des arbitrages entre l’utilisation du bois énergie et la préservation de l’efficacité du puits de carbone forestier. L’enjeu touche aussi aux questions de biodiversité dont l’affaiblissement accélère le changement climatique. Jamais il n’a été aussi crucial que de planter toujours plus d’arbres. "Les espèces actuelles stockent de moins en moins de carbone, alors il n’y a pas d’autres solutions que d’en augmenter le nombre", résume Albert Maillet.