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Le Festival d’Angoulême 2023 sort les femmes coloristes de l’ombre

« Quand on s’habille le matin, comment fait-on ? C’est tout simple, le choix des couleurs. » Isabelle Merlet, coloriste de renom, cultive la modestie de son art. Elle a pourtant travaillé sur plusieurs dizaines d’albums signés par les plus grands noms de la bande dessinée : Catherine Meurisse, Blutch, Jean-Marc Rochette et même le célèbre mangaka Katsuhiro Otomo.

Certaines des planches sur lesquelles elle a œuvré étaient exposées au Festival d’Angoulême, au sein d’un parcours sur le métier de coloriste. « J’ai pris conscience que coloriste de bandes dessinées était un métier, 15 ans après avoir commencé à le faire », s’est-elle étonnée, lors d’une masterclass organisée en marge de l’exposition.

Labeur de l’ombre, souvent effectué par des femmes cantonnées dans cette tâche, la mise en couleurs est destinée à rendre à la lumière sa pleine liberté d’expression. « Je joue avec les couleurs comme avec un instrument, en ajustant les décors, en faisant vibrer le trait, explique Isabelle Merlet. Le plus gros travail est de savoir lire un dessin, et ensuite de savoir masquer les erreurs, les détails qui n’ont pas d’importance. »

« C’est un truc de marteau, quoi ! »

Son art tient donc de l’intuition, du geste sûr de celle qui, jusqu’à l’arrivée des tablettes graphiques et des logiciels de retouche numérique, n’avait pas le droit à l’erreur, sous peine de faire refaire toute une planche par le dessinateur !

« Au bout de trente pages, je suis installée dans la densité de l’air, je sens sa température, sa moiteur, le degré de transparence de la lumière. C’est une question d’intensité de couleurs juxtaposées, un jeu de contrastes déterminé par l’œil en quête de la bonne vibration. C’est un truc de marteau, quoi ! » s’exclame Isabelle Merlet, face à un auditoire aussi fasciné qu’amusé.

L’admiration est à son comble quand elle raconte comment elle a proposé au duo Ruppert et Mulot de colorer Sol Carrelus (L’Association, 2008) avec un dégradé de gris !

« Bonne poire »

« Quand l’auteur reçoit les couleurs, il est parfois surpris, car il ne retrouve pas toujours son dessin. Il y a des ajustements, notamment pour revoir les problèmes de contrastes liés à l’impression », reconnaît Isabelle Merlet. Interrogée sur la raison pour laquelle des dessinateurs sachant colorer font appel à elle, à l’instar de Catherine Meurisse, elle plaisante : « Parce que je suis une bonne poire ! »

Reste que ce métier si particulier n’est pas reconnu à sa juste valeur. Payés entre 50 et 150 € la planche, les coloristes ne sont pas considérés comme des auteurs et ne touchent donc pas de droits sur les ouvrages auxquels ils ont contribué. « Nous réclamons 1 % aux éditeurs depuis des années. En vain ! » s’indignent Isabelle Merlet et toutes les grandes coloristes présentes dans la salle, dont Brigitte Findakly, qui a donné leurs couleurs au Lapinot de Lewis Trondheim et au Chat du rabbin de Joann Sfar.