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Le mythe Marilyn à la moulinette Netflix

Robe rose bonbon sur tapis rouge : début septembre, l’actrice Ana de Armas, interprète de Marilyn Monroe dans Blonde, enflammait la Mostra de Venise. Quelques jours plus tard, la première projection française de ce pur produit Netflix (et produit par Brad Pitt), avait lieu au Festival de Deauville, manière d’accroître la visibilité et légitimité d’un film qui ne sortira pas en salles. Le long métrage d’Andrew Dominik, qui arrive sur Netflix le jour où sort au cinéma Sans filtre, palme d’or à Cannes, mérite-t-il sa réputation flatteuse ?

Il est rare que des chefs-d’œuvre de la littérature donnent de grands films. On en a une nouvelle fois la preuve avec  Blonde, adaptation clinquante du roman de Joyce Carol Oates, paru en 1999. S’inspirant de la vie de Marilyn Monroe, née Norma Jeane Baker en 1926, l’écrivaine américaine approchait le mythe par une narration éclatée, faisant l’hypothèse d’une personnalité clivée, presque schizophrénique, la femme regardant l’icône comme une extension bizarre d’elle-même. S’appuyant sur cette idée de contradiction entre la femme et l’actrice, le dedans et le dehors, Andrew Dominik tente de rester fidèle au roman en tenant à distance le biopic sans pouvoir faire l’économie des épisodes clés de la vie de l’actrice : l’enfance malheureuse, les débuts de starlette à Hollywood, les mariages avec l’ex-champion de base-ball Joe DiMaggio puis le dramaturge Arthur Miller, la liaison avec John Fitzgerald Kennedy, la mort tragique. Derrière la légende, Marilyn était une femme fragile, blessée par l’absence d’un père inconnu, l’alcoolisme puis la maladie mentale de sa mère, enfermée à vie dans un établissement spécialisé.

victime sacrificielle

Doté d’une distribution chic, avec notamment Adrien Brody (un Arthur Miller crédible), le film s’appuie sur les photos connues de la star, auxquelles il donne vie en en montrant le hors-champ : l’affiche de Sept Ans de réflexion et la robe blanche soulevée par le souffle d’une grille d’aération, Marilyn emmitouflée dans un gilet de laine, marchant sur une plage du Maine, l’actrice assistant aux cours de l’Actors Studio en col roulé noir et pantalon cigarette… Alternant couleur vintage et noir et blanc, Andrew Dominik soigne à l’extrême les détails et déploie une débauche d’effets. Tout est surligné, appuyé à coups de filtres, de zooms et de gros plans sur une clé qui tourne dans une serrure, un téléphone qui sonne pour annoncer une mauvaise nouvelle, la fleur rouge d’une robe envahie par le sang d’une fausse couche. Ce ne serait pas si grave si le réalisateur ne nous infligeait à trois reprises un gros plan sur un fœtus en images de synthèse (l’enfant que Marilyn n’aura jamais) et une vue en caméra subjective de l’intérieur du vagin de la star, ouvert par le spéculum du médecin qui l’avorte de force.

Si certaines scènes sont réussies – la foule qui engloutit l’actrice aux avant-premières, les retrouvailles sordides avec Kennedy à la Maison-Blanche –, le film sonne faux, cherchant constamment son chemin entre la reconstitution minutieuse et la tentative de déconstruire. Prisonnière d’une gangue formelle et d’une direction d’acteurs qui ne lui laisse aucun espace, Ana de Armas incarne une victime sacrificielle qui bat des cils et pleure tous les trois plans. Dans le roman éponyme, Joyce Carol Oates faisait de Norma Jeane un personnage tellement puissant qu’on oubliait presque qu’il s’agissait de Marilyn. Impossible de l’oublier ici tant tout est fabriqué, passé à la moulinette d’une image trop léchée, qui fascine et écœure à la fois. Un film boursouflé, étrangement peu adapté au petit écran.