Roger-Pol Droit
Pascal Bruckner passe au crible le renoncement au dehors dans son nouvel essai.
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« Le Sacre des pantoufles. Du renoncement au monde », de Pascal Bruckner, Grasset, 160 p., 18 €, numérique 13 €.
LA TENTATION DU RABOUGRI
La pandémie a amplifié le mouvement, mais ne l’a pas provoqué. Avant les couvre-feux sanitaires, les assignations à résidence et le télétravail, le grand confinement avait déjà commencé. Ses armes : écrans connectés, livraisons à domicile, streaming et cocooning. Ses alliés : voyages de plus en plus coûteux, rendus chaotiques par la désorganisation des gares et des aéroports, culpabilisés par le bilan carbone. Son résultat : une existence au ras du sol, calfeutrée, frileuse, dolente. Comme si le monde s’était finalement rétracté aux dimensions du salon ou de la chambre à coucher. La vie, naguère, était faite d’explorations, de rencontres, de déceptions et d’émerveillements. Elle se contente à présent de rester au lit, affalée, smartphone à la main.
Ce renoncement au dehors, Pascal Bruckner le passe au crible dans son nouvel essai, Le Sacre des pantoufles, au fil de pages percutantes et caustiques. Le ton évoque une conversation au temps des Lumières, fustigeant nos travers tout en éclairant leur genèse et leur sens. Car la charentaise triomphante est évidemment, plus qu’un détail vestimentaire, le symbole d’une époque faisant de l’intimité son horizon, du chez-soi sa protection. Les pieds ne marchent plus, chaussés en conséquence, pour arpenter la terre. Ils dorment dans la feutrine, alanguis et stagnants. Avec son habituel talent, l’écrivain brosse le portrait doux-amer d’une humanité recroquevillée, ratatinée, qui juge que moins veut dire mieux. Changer la vie ? Oui… pour la réduire !
Pour rien
La vie publique se rétrécit comme peau de chagrin, la vie privée prend toute la place. Chacun s’emploie à se terrer entre quatre murs, où les autres existent seulement en images, à moindres risques. Croire facile et reposant ce culte du canapé serait une grave erreur. La vie entre réalité diminuée et virtualité augmentée se révèle aussi harassante qu’inconsistante. Il faut continûment vérifier à l’écran que l’on n’a rien raté de neuf, même si toute véritable nouveauté est improbable, voire impossible. La course au futile épuise, l’inaction fatigue, l’accélération immobile essouffle. L’existence se consume intensément, pour rien.
Bruckner ne se contente pas de décrire, il replace le présent dans le temps long. Ainsi rappelle-t-il, par exemple, comment les peintres flamands, peignant les gestes familiers et les intérieurs protégés, furent les premiers à magnifier la splendeur du banal, le sublime du quotidien. Les classiques anglais inventèrent notamment le confort, et les Russes la paresse de l’extrême, avec le personnage d’Oblomov, incapable de quitter son lit. Le rabougrissement vient donc de loin. Il a ses lettres de noblesse, son histoire, et même ses héros. Parmi les grands ancêtres, on croise Xavier de Maistre, auteur du Voyage autour de ma chambre (1795), ou Henri-Frédéric Amiel (1821-1881), explorateur infatigable, au fil d’un journal de milliers de pages, de ses variations d’humeur infimes et insignifiantes.
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