France
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« Le serment d’Hippocrate ou le “Tu ne tueras point” de la Bible ne doivent pas altérer la réflexion sur l’euthanasie »

Le 9 décembre commencent en France les travaux de la concertation nationale sur la fin de vie. La France est-elle en retard par rapport à ses voisins ? L’Européen que je suis dirait que comparaison n’est pas raison, mais que force est de constater que dans de nombreux pays européens la jurisprudence et les parlements ont permis de faire évoluer la législation sur la fin de vie. Avec chacun leurs exceptions et leurs spécificités, ils sont arrivés, à travers leurs parcours constitutionnels et culturels, à atteindre des résultats similaires.

Il n’en demeure pas moins que, depuis l’Antiquité, l’euthanasie divise et demeure un sujet éminemment complexe qui ne supporte que nuance et subtilité. Ainsi, le « Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement les agonies. Je ne provoquerai jamais la mort délibérément »d’Hippocrate ne doit pas venir altérer la réflexion, pas plus d’ailleurs que le « Tu ne tueras point » de la Torah ou de la Bible, ni le « Ne tuez point la vie qu’Allah a rendue sacrée » du Coran.

Simplismes, dogmatismes

Pourquoi ? Parce que, d’une part, le serment traditionnellement prêté par les médecins a été rédigé au IVe siècle avant J.-C. et a beaucoup évolué depuis sa première version… Et, d’autre part, parce que depuis 1905, un 9 décembre d’ailleurs, une loi a promulgué la séparation de l’Église et de l’État, faisant de la France un État laïc.

Toutes les interrogations autour du suicide assisté et de l’euthanasie n’autorisent aucune réponse simple voire simpliste. Ni dogmatique. Quoi de plus difficile, en effet, que de regarder la mort en face ? Même les membres du Comité consultatif national d’éthique ont montré, pour la première fois depuis 2013, des divergences.

Face à la souffrance de nos contemporains, nous ne pouvons être unanimes que sur seul un point : la reconnaissance du travail exceptionnel des médecins et des accompagnants souvent bénévoles en soins palliatifs et la nécessité de leur octroyer plus de moyens.

Valeurs et hiérarchie

Loin du précipice, nous reconnaissons tous que la vie et la liberté sont des valeurs cardinales. Le problème réside dans la hiérarchisation que chacun de nous en fait. Aux portes de la mort, cette hiérarchisation de valeurs devient la seule vérité. Certains considèrent le respect de la liberté comme l’aspect le plus « important » de la vie, les amenant à vouloir légaliser l’euthanasie. D’autres, au contraire, mettent le respect de la vie au sommet et s’y opposent. Les deux positions sont audibles.

À titre personnel, ce sont mes voyages à travers l’Europe qui m’ont permis de rencontrer toutes les parties prenantes et de me forger une opinion sur cette hiérarchisation si douloureuse. J’ai en mémoire de nombreux exemples. Je pourrais évoquer celui de Vincent Lambert qui a divisé la France, mais je me sens plus légitime à parler d’Eluana Englaro, cette jeune femme italienne plongée dans un coma végétatif irréversible à la suite d’un accident de voiture, survenu en janvier 1992 alors qu’elle avait 20 ans. Nous étions en 2009, cela faisait donc 17 ans qu’elle était maintenue dans cet état… Je me suis battu avec d’autres élus italiens pour respecter les volontés de sa famille qui souhaitait son départ. Cette décision parlementaire a divisé l’Italie. Mais, si elle avait pu se déplacer, je suis intimement persuadé qu’Eluana aurait certainement pris le chemin de la Suisse pour exercer son ultime liberté de choix.

Véritable démocratie

Dès lors, il faut laisser nos élus légiférer comme ils l’ont fait avec brio pour la loi Veil sur l’avortement. Cette loi n’a en aucune manière résolu le problème éthique. Cette loi ne dit pas si l’avortement est bien ou mal. Mais elle permet à quiconque de lui indiquer où se situent les rives du légal par rapport à celles de l’illégal, au-delà des croyances ou convictions personnelles.

Dans un monde où les démocraties illibérales de plus en plus nombreuses engourdissent et les peuples dans leurs amphigouris, réjouissons-nous de vivre dans de véritables démocraties. Réjouissons-nous que les courants religieux, le milieu médical, le Comité consultatif national d’éthique et tous ceux qui le veulent puissent faire entendre leurs opinions.

Des garde-fous stricts

Mais réjouissons-nous surtout de savoir que nos parlementaires peuvent voter en toute liberté. J’entends déjà les plus critiques dire qu’en légiférant notre société, frappée par les crises, essoufflée par les coûts, étranglée par l’inflation… pourrait considérer les personnes en fin de vie comme des inutiles coûtant trop cher. C’est un débat réel, qu’on a vécu et qui continue de s’alimenter à travers certains cas nationaux, il suffit de regarder celui qui se déroule en Belgique ou aux Pays-Bas. Il ne faut pas se voiler la face. C’est un danger qu’il ne faut pas minimiser.

Mais, loin de vouloir porter un jugement définitif sur les différents cas nationaux, je crois qu’il serait très utile de bien évaluer les forces et les faiblesses des solutions déjà adoptées en Europe. La seule solution qui revient au législateur consiste à mettre en place une loi encadrée par des garde-fous stricts.

Liberté, mot-clé

À l’heure de tous les excès, il demeure dès lors crucial de rapporter ces mots de Voltaire : « Usez, n’abusez point. » À mes yeux, chacun devrait avoir la liberté de pouvoir prendre la décision de sa fin de vie, suivant des principes et des conditions partagées par sa communauté. Cette tribune n’est pas rédigée pour égrener des exemples mais, de toute évidence, la loi Claeys-Leonetti ne peut couvrir le prisme de toutes les douleurs dont l’homme peut souffrir dans sa chair…

Liberté est pour moi le mot-clé. Et même si l’article premier de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 nous rappelle que « tous les êtres humains sont égaux en droits et en dignité », je crois que la légalisation de l’euthanasie ou du suicide assisté est une question de liberté.