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Le sigle «LGBTIQ» est-il trop ou pas assez englobant?

Temps de lecture: 6 min

Vecteurs de changements politiques et sociaux, symboles de lutte contre les discriminations et porteurs de fierté, le sigle «LGBTIQ» et ses variantes sont désormais connus du plus grand nombre.

Six lettres, parfois plus et parfois avec un «+» pour réunir toutes les personnes non hétérosexuelles, non cisgenres et non dyadiques, le tout dans une palette de nuances.

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«L» pour «lesbiennes», « G» pour «gays», «B» pour «bisexuel·les», «T» pour «transgenres», «I» pour «intersexes» et «Q» pour «queer»: le sigle s'est imposé dans les mobilisations et les institutions à la fin des années 1990, et au début des années 2000 en Europe. L'idée était d'inclure et de rendre visibles les minorités sexuelles, sexuées ou de genre, alors que le terme «gay» dominait jusqu'alors. Un terme improprement parapluie «qui invisibilisait notamment les personnes transgenres et intersexes», note la sociologue Michal Raz, spécialiste des luttes intersexes.

Cette volonté s'exprime aujourd'hui encore avec parfois l'ajout de lettres comme «A» pour «asexuel·le/aromantique», «P» pour «pansexuel·le», ou un deuxième «Q» pour «en questionnement». C'est aussi un sigle sujet à des variations culturelles, comme au Québec et au Canada où «2E» ou «2B» précédent les autres lettres afin d'inclure les personnes bispirituelles.

Rassembleur

Sans idéaliser une communauté arc-en-ciel, pour beaucoup «LGBTIQ+» est, comme l'expose Florent Manelli, auteur et illustrateur qui a notamment signé 40 LGBT+ qui ont changé le monde et coordonné l'ouvrage collectif Pédés, un «terme de ralliement qui peut apporter de la chaleur à de nombreuses personnes».

La journaliste romande Christine Gonzalez, notamment coautrice du podcast Voyage au Gouinistan, confirme: «Il y a quelque chose qui se passe entre les différentes lettres, le partage d'un sentiment d'exclusion qui rassemble, une impression d'appartenance à quelque chose qui dépasse notre propre vécu.» C'est-à-dire, comme le signale Maud Royer, militante trans et féministe, «des communautés de vie et d'espace, des histoires communes de minorités relayées dans des marges».

«Le sigle LGBTI s'est construit sur la base d'alliances politiques. C'est un peu comme un programme politique.»
Maud Royer, militante trans et féministe

Car, de fait, la communauté LGBTIQ+ connaît des discriminations hétéro-cis-sexistes communes dans son quotidien. C'est ce qu'expose Axel Ravier, doctorant en sociologie et porte-parole de la Pride des Banlieues: «Nous nous battons contre les discriminations qui nous touchent au quotidien et qui font que nos identités nous empêchent d'avoir accès à certaines ressources et nous amènent à être discriminé·es, par exemple durant le parcours scolaire et professionnel, ou encore en matière d'accès à la santé.» Car cette communauté s'est construite dans la lutte contre un ennemi commun qu'est le système binaire, cis et hétéronormatif, vecteur de violences et créateur d'inégalités.

Mais à force d'englober, ce sigle inclusif ne risque-t-il pas de dissoudre les identités et les communautés singulières qu'il désigne, ou d'en invisibiliser certaines? «Il est vrai que lorsque les médias grand public invitent des personnes LGBTIQ+, ce sont généralement des hommes gays cisgenres blancs; c'est très révélateur de la difficulté à rendre visibles des identités qui le sont moins», regrette notamment Florent Manelli.

Pas une lettre de trop

Pourtant, pour toutes les personnes avec qui nous avons échangé pour cet article, chaque lettre compte. «Chaque lutte s'exprime avec ses propres enjeux mais nous nous battons contre des causes systémiques dont nous souffrons toustes», signale l'auteur et illustrateur. «Chaque lettre dit des réalités et des discriminations spécifiques dont il faut rendre compte. Et c'est à chacun·e de nous de faire exister chacune de ces lettres, sans pour autant parler à la place des personnes concernées», ajoute Christine Gonzalez.

De son côté, Maud Royer explique: «Le sigle LGBTI s'est construit sur la base d'alliances politiques. C'est un peu comme un programme politique: chaque lettre correspond à une série de revendications qui s'articulent toutes politiquement entre elles. Il est crucial de rappeler sans cesse ces alliances car aujourd'hui encore, trop d'associations oublient les personnes transgenres et/ou intersexes.»

Alors, si cette communauté LGBTIQ+ est un mouvement et non un parti où l'on s'encarte, et même s'il peut exister des dissensions internes et des désaccords, éprouver un sentiment d'appartenance à son égard oblige à une forme de solidarité avec toutes les personnes dans le même cas. Maud Royer confirme: «Appartenir à la communauté LGBTI, c'est soutenir celleux qui en ont le plus besoin.»

Florent Manelli signale: «Même au sein d'un groupe marginalisé, on n'est pas à l'abri des erreurs ou des violences. Il faut savoir se remettre en question et faire des mises à jour.» Il ajoute: «Il faut tendre vers des efforts visant à soutenir celleux qui n'ont pas accès à des droits basiques et qui ont besoin de s'exprimer. On ne saurait être gay [au sein de cette communauté, ndlr] sans soutenir les lesbiennes, les bi, les personnes trans et intersexes.» Tout cela sans que soit niée la «grande variété de rapports aux monde que recouvre le sigle, la galaxie de termes, les littératures particulières, etc.».

Même si cette solidarité et ce soutien mutuels sont sous-entendus et que des valeurs communes sont en principe partagées, certaines personnes pourtant gays, lesbiennes, bi, trans ou intersexes, peuvent se sentir exclues, ne pas éprouver de sentiment d'appartenance à la communauté LGBTIQ+ et ne pas s'identifier à elle.

«Il peut s'agir de personnes gays qui sont sensibles aux campagnes anti-genre de la droite et de l'extrême droite et qui ne se reconnaissent pas dans l'évolution du mouvement», signale Axel Ravier qui poursuit: «Il peut aussi s'agir d'hommes issus des banlieues et ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes, à qui le sigle ne parle pas parce qu'ils considèrent que leur identité sexuelle n'est pas leur identité politique ou ne résume pas leur vécu –ou bien encore parce qu'ils n'ont pas les ressources sociales requises par cette visibilité, parce qu'ils sont pris dans des rapports de domination ou parce qu'ils sont victimes de fétichisation.»

«C'est un sigle organique qui bouge, qui se modifie.»
Christine Gonzalez, journaliste

Pour sa part, Florent Manelli regrette qu'avec l'instauration du mariage pour tous et une certaine normalisation qui va de pair, «certaines personnes estiment qu'il n'y a plus besoin de politisation du mouvement. Pourtant les discriminations, les violences et les agressions demeurent.» De son côté, Michal Raz souligne également que «certaines personnes intersexes ne se disent pas LGBTI parce qu'elles ne se vivent pas comme telles. Elles peuvent alors se rassembler différemment, par exemple au sein d'associations de patients, pour quelque chose de moins politisé qui relève davantage du partage d'expériences.»

Libre, finalement à chacun et chacune de se reconnaître ou non dans le sigle LGBTIQ+ et d'en porter les combats communs comme singuliers –car l'autodétermination est une valeur essentielle de la communauté.

Pour quel sigle opter?

Reste à savoir quelle déclinaison de «LGBTIQ» utiliser aujourd'hui. «C'est un sigle qui a beaucoup évolué et qui évolue», explique Florent Manelli. «C'est un sigle organique qui bouge, qui se modifie», renchérit la journaliste romande Christine Gonzalez. Elle explique utiliser de manière privilégiée le sigle LGBTIQ+ car «c'est celui qui est utilisé dans les politiques publiques en Suisse», tout en regrettant «la lente dissolution du “A” alors même qu'il est difficile de vivre dans un monde ultra-sexualisé et ultra-romantisé».

En France, les choses sont un peu moins tranchées, et différentes déclinaisons du sigle se côtoient au sein des institutions, des associations et des pratiques journalistiques, parfois sans réelle réflexion politique et sociale. Il faut dire qu'il n'y a pas une instance qui décide des lettres à ajouter et que ce sont les usages collectifs, politiques, médiatiques qui font la norme.

Cela amène parfois des télescopages de sigles, comme dans ce communiqué du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères du 18 septembre 2023, où l'on peut lire «Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, a participé à l'événement de haut niveau célébrant le 15ème anniversaire du Groupe LGBTI des Nations unies» puis, deux lignes plus loin: «La ministre a annoncé à cette occasion l'ouverture d'un fonds de 2 millions d'euros pour que nos ambassades soutiennent celles et ceux qui défendent les droits des personnes LGBT+ au quotidien et partout dans le monde, parfois au péril de leur vie.»

S'il est impossible de trancher, on peut suivre Maud Royer et sa vision du sigle, où l'ajout de chaque lettre correspond à une alliance politique, en se disant qu'il conviendrait a minima d'utiliser les lettres LGBTI. On peut ensuite discuter si, au-delà des questions d'articulation politique, on souhaite visibiliser et inclure d'autres identités –tout en gardant en tête les dénominateurs communs que sont les discriminations exercées par un système cishétéronormatif binaire.