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Les critères du Vatican pour une finance éthique

Le document était attendu depuis des années, il a fini par sortir. Le Saint-Siège a publié, vendredi 25 novembre, un texte établissant des critères éthiques pour les investisseurs financiers. Ces 50 pages, signées par l’Académie pontificale des sciences et des sciences sociales, et intitulées « Mensuram Bonam », entendent énoncer des « mesures cohérentes avec la foi pour les investisseurs catholiques ».

Le Vatican propose pour la première fois, explicitement, une série de critères dont les investisseurs sur les marchés financiers devraient tenir compte. S’il ne s’agit pas de dresser une liste des actions ou des valeurs permises ou autorisées, Mensuram Bonam estime que « 24 catégories » doivent constituer des « alertes », voire des « interdits » pour les investisseurs catholiques.

Des critères pour investir

Parmi eux, on retrouve des critères classiques de la Doctrine sociale de l’Église comme la promotion de l’avortement, des armes – nucléaires ou non —, mais aussi de la peine capitale, de la contraception ou de la pornographie. Mais d’autres sont moins fréquentes, comme « l’ingénierie génétique » (comprenant notamment le secteur des OGM), les « jeux vidéo et les jeux déshumanisants », ou encore la « violation des droits des peuples indigènes ». Les « expérimentations sur les animaux » font aussi partie des « critères d’exclusion » publiés par le Vatican. Le soutien aux entreprises exploitant des énergies fossiles, notamment aux entreprises pétrolières, n’est en revanche pas mentionné.

Le pape invite à avoir le « courage » « d’abandonner les sources d’énergie fossile »

Au-delà de cette liste, le Saint-Siège énonce des valeurs, plus générales, invitant les investisseurs à se questionner. La personne humaine, le bien commun, la justice sociale et la solidarité sont quelques-unes d’entre elles, de même que l’écologie intégrale et l’inclusion des plus faibles. « La gouvernance donne-t-elle un pouvoir de décision à la communauté ? », « les intéressés ont-ils voix au chapitre ? », « cet investissement augmentera-t-il ou fragilisera-t-il la confiance sociale ? », « les politiques d’investissement tiennent-elles compte de leçons apprises de la part des plus faibles ? »… Autant de questions qui doivent constituer, selon le document, des boussoles permettant de faire les bons choix sur les marchés financiers, et d’évaluer la valeur éthique d’un portefeuille d’actions.

« Engagements de foi »

Il faut aussi, demande le Vatican, intégrer les principes de la doctrine sociale de l’Église dans tout le processus d’investissement d’une entreprise dans des contextes de plus en plus complexes. « Les marchés sont toujours agités et peuvent donc affaiblir l’attention », peut-on lire dans Mensuram Bonam. « Chaque investisseur aura ses propres objectifs et mettra en jeu, à sa manière, ses engagements de foi dans ses décisions et ses pratiques », poursuivent les auteurs du document.

Entamée en 2016, la réflexion qui a abouti à Mensuram Bonam est le fruit d’un travail de plusieurs années. Et d’une prise de conscience : pour les catholiques, le rendement ne peut être l’unique critère de choix d’un placement financier. Une quinzaine d’économistes ont directement travaillé à son élaboration, dont les Français Pierre de Lauzun et Antoine de Salins, mais aussi le président de l’IOR, la « banque du Vatican », Jean-Baptiste de Franssu. Plus largement, une soixantaine d’autres ont été consultés.

2 000 milliards d’euros « d’argent chrétien »

Sur le point d’être publié en 2020, ce texte avait été jugé par certains, au Vatican, trop proche d’une ligne libérale, ce qui avait poussé à la révision du projet. En janvier 2022, le dicastère pour le développement humain intégral avait également prévu sa publication, avant qu’elle ne soit reportée au dernier moment, après le départ inattendu de son préfet, le cardinal Peter Turkson. Mais le prélat ghanéen, devenu entre temps chancelier de l’Académie pontificale des sciences et des sciences sociales, aura emporté le texte dans ses bagages, et publié le document quelques mois plus tard.

Si la réflexion n’en est qu’à ses tout débuts, l’enjeu est considérable, et dépasse de loin l’enjeu des placements financiers opérés par les communautés religieuses. Certaines études estiment en effet que plus de 2 000 milliards « d’argent chrétien », émanant d’institutions chrétiennes mais aussi de croyants, sont investis dans le monde. Aux États-Unis, certains experts chiffrent à 800 milliards le montant de l’épargne des diocèses, des institutions liées à l’Église catholique, mais aussi de l’épargne des catholiques pratiquants.

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Des sommes faramineuses qui sont la preuve, pour les rédacteurs de Mensuram Bonam, qu’il est possible d’utiliser les marchés de capitaux pour promouvoir la doctrine sociale de l’Église, et d’exercer une pression pour encourager les entreprises et les pratiques vertueuses. Ce texte, qui ne fait pas à proprement parler partie du magistère de l’Église catholique, constitue néanmoins une étape importante. Laissant espérer à certains un document plus officiel sur le sujet, directement signé, cette fois, par le pape François lui-même.