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Les lycéens contre la réforme des retraites : «Je n’ai pas envie de voir mon père travailler encore plus longtemps»

«Je ne parle pas de la réforme des retraites comme ça. Je pense avoir une petite idée de la valeur travail. C’est pour ça que je ne veux pas travailler trop longtemps», défend Hudayfa, tracts de la Voix lycéenne en main. Cet élève de première à Chelles, responsable fédéral du syndicat lycéen en Seine-et-Marne, fait parfois des déménagements avec son père, dont c’est le métier. «Prendre des armoires de plus de 100 kilos avec un père qui va peut-être être opéré du dos tellement c’est dur pour lui, c’est compliqué», souffle l’adolescent. Son stage de troisième, il l’a fait dans un entrepôt pharmaceutique, à se lever à 4h50 tous les matins pour aller porter des caisses de médicaments. «Je n’ai pas la version bureaucrate du travail, je n’ai que la version sueur», résume-t-il.

Alors que quelque 150 lycées étaient bloqués ce mardi, en protestation contre la réforme des retraites, qui prévoit notamment l’allongement de la durée de cotisation et un report de l’âge légal à 64 ans, le jeune militant tracte et manifeste pour faire entendre sa voix. «C’est avant tout par solidarité intergénérationnelle avec nos aînés. Je n’ai pas envie de voir mon père travailler encore plus longtemps, affirme celui qui hésite sur son orientation, entre le droit, le journalisme et les sciences politiques. Aujourd’hui, le premier emploi stable arrive à 27 ans et on est dans une société qui nous pousse à faire toujours plus d’études, donc si on recule encore, on ne va jamais s’en sortir.»

Entre 15 et 18 ans, les expériences professionnelles sont souvent restreintes, allant d’un stage d’observation de troisième pour les uns – quand il n’a pas été annulé pour cause de Covid – à des petits boulots d’été, des missions d’intérim ou du baby-sitting pour les autres. L’image du travail, les lycéens interrogés la tiennent surtout de leurs proches, parents en tête. Mais qu’elle soit positive ou pas, ils sont unanimes : il est impensable de défendre une société dans laquelle on s’esquinte à la tâche, physiquement ou psychologiquement, jusqu’à 64 ans minimum.

«C’est important de voir ce qu’est un travail pénible»

Pablo rêve d’être photojournaliste, comme son père, 49 ans. «Il dit que c’est fatigant, qu’on peut l’appeler à n’importe quel moment et qu’il ne peut pas prévoir de choses, mais qu’il aime bien son métier, indique l’élève de seconde. Aller en manifestation quand tu as 60 ans, devoir marcher, faire attention aux violences qu’il peut y avoir, ça risque d’être extrêmement fatigant.» Travailler jusqu’à 64 ans voire au-delà ? «Ce n’est pas très humain de faire ça», assure-t-il. Pour autant, il fait le distinguo selon les métiers, les milieux. «Si tu fais quelque chose que tu aimes, ça peut être très cool le monde du travail. Mais par exemple, les caissiers que j’ai côtoyés me disent que ce n’est pas très plaisant à faire, que c’est très fatigant de rester des journées entières derrière la caisse», raconte Pablo.

Gwenn, en terminale, aimerait justement mieux comprendre cette réalité d’un boulot difficile, physique, ingrat, le temps pourquoi pas d’un job d’été. Lui qui aspire à faire de la politique – il est déjà président de la Fédération indépendante et démocratique lycéenne (Fidl) du Val-de-Marne – ou du «journalisme engagé» estime que «c’est important pour ne pas devenir complètement con de voir ce qu’est un travail pénible. Ça permet de comprendre la réalité des choses. Beaucoup de politiques sont déconnectés de la réalité». Le jeune homme considère que le travail, «ça peut nous amener à nous émanciper. Ça permet de faire des connaissances, de se sentir utile dans la société. Mais il faut que ce soit dans de bonnes conditions, avec un salaire et une retraite dignes, pas à 64 ans».

Chayma, elle, se demande quand et dans quel état son père va terminer sa carrière. Pilote de production à la Poste, «il est sur des machines, il trie toute la journée des lettres, c’est un travail très manuel», explique l’élève de terminale à l’aube de ses 18 ans. Depuis un an et demi, il est en arrêt maladie. Son travail a amoché ses muscles et ses articulations, il a déjà subi deux opérations et en attend encore deux. Quant à la mère de Chayma, elle est aide-soignante dans un Ehpad. «Les aides-soignantes sont très, très, très concernées par la réforme, juge la jeune fille. Quand on sait comment elles travaillent, c’est très dur. La seule chose que ma mère souhaite faire quand elle rentre, c’est aller se reposer.»

«Avec le réchauffement climatique, on n’arrive pas à imaginer notre futur»

Chayma a pour rêve ultime de devenir diplomate – «Ce serait dingue si j’y arrive.» Mais, dit-elle, «la nouvelle génération, avec le réchauffement climatique, on n’arrive pas à imaginer notre futur. Je sais que je travaillerai, mais je sens que ça sera compliqué de trouver à la fin des études. J’ai des contacts qui n’arrivent pas à trouver de travail après cinq ou huit ans d’études parce que les plus âgés gardent les places.»

Félix, en seconde, a hâte de commencer à bosser. «A l’école, tous les jours on se lève à la même heure, on fait presque la même chose. J’imagine que le travail sera plus intéressant», confie-t-il. Mais il va devoir s’armer de patience : il souhaite devenir astrophysicien et devra pour cela décrocher un bac + 7 minimum. «Je veux quand même faire des études pour avoir un bon travail que j’aime faire», éclaire-t-il.

Noémie, en première, a l’impression que le boulot occupe une trop grande place dans la vie des gens. En témoigne par exemple cette amie magistrate, qui «travaille vraiment tout le temps. Parfois, elle sort à 21 heures». Elle-même aimerait devenir journaliste, une activité «qui a un sens» : «Puisqu’on va devoir travailler longtemps, il faut vraiment faire un métier qui nous plaît.» Pour autant, elle voit bien que la réforme des retraites cristallise les mécontentements, y compris chez les personnes qui aiment ce qu’elles font. «Si les gens râlent parce qu’ils vont devoir travailler plus longtemps, ça montre qu’il y a un problème. Est-ce que c’est vraiment normal de devoir trimer pour subvenir à ses besoins primaires ?»