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Les prix du gaz menacent l’unité de l’UE

La crise du gaz rend le climat explosif en Europe. Samedi dernier, à Bologne, en Italie, on a vu des manifestants brûler leurs quittances de gaz face à un magasin d’ENI, l’entreprise nationale d’hydrocarbures. Des scènes similaires, inspirées du mouvement britannique « Don’t pay », ont été vues dans d’autres villes de la péninsule. « Nous avons lancé une grève des factures », explique à l’Humanité Kino (1), porte-parole du collectif « Nous ne payons pas », résidant à Milan. « Nous voyons des augmentations du prix du gaz qui parfois dépassent 200 à 300 % par rapport aux factures de l’an passé. Nous cherchons donc à créer une forte pression populaire, avec un mouvement qui rassemble toutes les couches les plus en difficulté », avance-t-il. Le collectif, dans lequel on trouve le syndicat autonome USB et des mouvements écologistes, souhaite « un moratoire sur l’augmentation des prix pour revenir aux niveaux d’avant la guerre et la pandémie ». Cela coûte « 50 milliards par an, qu’il faut trouver là où ils se trouvent, dans les profits exceptionnels réalisés ces dernières années par les entreprises de l’énergie, et dans un impôt sur le patrimoine ». Dans beaucoup de pays, la contestation penche à gauche, comme en Belgique et en France, où les syndicats ont organisé une grève et des manifestations respectivement les 9 et 29 septembre. Dans d’autres pays, c’est l’extrême droite qui a pris l’ascendant. Ainsi l’Alternative pour l’Allemagne est bien placée dans les manifestations du lundi dans certaines villes germaniques.

La question est épineuse pour les gouvernements, qui sortent à peine de la gestion de la crise liée à l’épidémie de Covid. Le 30 septembre, les ministres de l’Économie de l’Union européenne (UE) ont choisi d’apposer des rustines, faute de remettre en cause le sacro-saint fonctionnement du marché unique. La première mesure serait une réduction volontaire de 10 % de la consommation électrique cet hiver, avec au moins 5 % de baisse en heures de pointe. Pour faire face au mécontentement populaire, les Vingt-Sept s’accordent à consacrer une partie des « superprofits » des entreprises de l’énergie aux foyers et entreprises victimes de la hausse des prix. Enfin, le prix du mégawattheure des producteurs d’électricité à base de nucléaire, d’énergie solaire et thermique est capé à 180 euros. Cela devrait alléger les factures d’électricité mais ne répond nullement à l’augmentation du prix du gaz. Or, dans de larges parties de l’Europe, le chauffage au gaz est de rigueur, et de larges pans de l’industrie (acier, verre, chimie), quel que soit le pays, en dépendent également. Quarante pour cent du gaz naturel venaient de Russie avant l’invasion de l’Ukraine et les sanctions prises par l’UE. Il ne représente plus que 9 % des importations, grâce à de nouvelles filières d’approvisionnement (Amérique du Nord et Afrique).

Les Vingt-Sept, qui se réunissent ce vendredi à Prague, se refusent pour l’heure à fixer un prix maximal au prix d’achat du gaz. C’était pourtant une demande de la Pologne, de l’Espagne, de l’Italie, de la Belgique et de la France. Ces pays n’ont pas été suivis par les champions traditionnels de l’austérité. « La disponibilité du gaz et la sécurité de l’approvisionnement (sont) plus importants que les prix », a justifié, le 30 septembre, Riina Sikkut, ministre sociale-démocrate de l’Économie de ­l’Estonie. Même ton du côté de la Commission européenne, pour laquelle cela pourrait dissuader les « partenaires fiables » de l’UE, ou de la part de Mark Rutte, premier ministre néerlandais, pour qui le risque est que le gaz soit fourni « à l’Asie » plutôt qu’à l’Europe.

Les États partent en ordre dispersé

Pour faire diminuer le prix pour les ménages et les entreprises, les États partent en ordre dispersé. Ce qui est d’autant plus problématique que, en vertu du marché de l’énergie, les tarifs de l’électricité et du gaz sont liés. Une situation qui bénéficie avant tout à l’industrie allemande, au détriment de pays comme la France, avec sa large composante d’énergie nucléaire. Seuls l’Espagne et le Portugal, gérés par des gouvernements de gauche, ont obtenu, après un bras de fer avec Bruxelles, une dérogation qui leur permet de limiter les frais pour les ménages en déconnectant les prix du gaz et de l’électricité.

Chaque État y va, séparément, de ses aides aux ménages et aux entreprises. Le chancelier Olaf Scholz a mis sur la table, unilatéralement, un paquet de 200 milliards d’euros, soit un montant de 5 % du PIB allemand, pour faire baisser les prix. « La crise énergétique demande de la part de l’Europe une réponse qui permette de réduire les coûts pour les familles et les entreprises (…) Face aux menaces communes de ces temps-ci, nous ne pouvons pas nous diviser en fonction des marges de nos budgets nationaux », a réagi Mario Draghi, premier ministre italien sur le départ. Thierry Breton, commissaire européen au Marché intérieur, interviewé par BFMTV ce jeudi, a invité les États à « faire tout ce qu’il faut pour aider les secteurs industriels », mais à « le faire de manière coordonnée, car le marché intérieur fonctionne parce que nous avons des règles à peu près similaires partout ». Et c’est là que le bât blesse. De l’aveu même de Thierry Breton, tous les États doivent « emprunter » pour faire face à ces nouveaux coûts. « Il est important que tous les États aient le même accès à l’endettement », prévient-il.

Ce n’est clairement pas le cas. Or, la dernière fois que les États membres ont eu à affronter une crise de la dette, après 2008, l’UE a risqué d’imploser. Jeudi, le taux d’intérêt sur la dette d’État italienne à dix ans était de 4,42 % ; celui de l’Espagne, à 3,22 % ; et celui de l’Allemagne, à seulement 2,01 %. Berlin, première puissance industrielle du continent, bénéficie donc d’un avantage concurrentiel pour aider ses entreprises. Ce qui n’est pas le cas de son principal concurrent, Rome, deuxième économie industrielle européenne. Cette divergence entre les taux risque de miner les efforts de convergence entre les économies européennes et pourrait transformer celles périphériques en déserts d’emploi. Pour la seule Italie, ce sont pas moins de 300 000 entreprises, correspondant à 3 millions d’emplois, qui sont menacées par les prix de l’énergie. Déjà cet hiver, de nombreux hôtels ferment, ne pouvant faire face à la hausse des coûts.