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Liaison gazière BarMar : pourquoi c’est primordial pour la filière hydrogène en Occitanie et Nouvelle-Aquitaine

Passera ou passera pas par l'Occitanie ? Si l'on s'en tient aux annonces faites par le Président de la République Emmanuel Macron le 20 octobre dernier, la France, l'Espagne et le Portugal créeront un pipeline sous-marin entre Barcelone et Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône). Baptisée BarMar (pour Barcelone-Marseille), cette liaison gazière sera destinée à acheminer du gaz naturel dans un premier temps, puis de l'hydrogène vert vers le marché européen (l'Allemagne notamment). Un projet qui s'inscrit dans les objectifs du plan européen Repower UE. Emmanuel Macron, le chef du gouvernement espagnol Pedro Sanchez et le Premier ministre portugais Antonio Costa doivent se retrouver au Sommet EuroMed, les 8 et 9 décembre prochains à Alicante (Espagne), pour entériner cet accord de corridor sous-marin.

La Région Occitanie, qui mise gros sur la filière hydrogène, ne l'entend pas de cette oreille et sa présidente Carole Delga, a écrit au chef de l'Etat pour lui demander « d'évaluer la pertinence d'un tracé intégrant les infrastructures et dessertes déjà présentes dans les régions Nouvelle-Aquitaine et Occitanie ».

LA TRIBUNE - En Occitanie, l'annonce de la création future d'un corridor gazier sous-marin entre Barcelone et Fos-sur-Mer pour, à terme, acheminer de l'hydrogène vers l'Europe, a fait l'effet d'une petite bombe puisque ce pipeline ignorerait superbement l'Occitanie en passant au large de ses côtes. France Hydrogène (association française de la filière hydrogène, 12 délégations régionales, 250 membres) a-t-elle été concertée ? L'annonce vous a-t-elle surpris ?

Nicolas AZAN, délégué régional adjoint de France Hydrogène en Occitanie, plus spécifiquement en charge des questions de logistique et d'infrastructures (également président de l'entreprise EureTeq* à Tarbes) - A priori, il n'y a pas eu de concertation régionale sur le sujet. S'il n'y a pas de position officielle de France Hydrogène à ce jour, je peux quand même dire que le projet BarMar est salué car il va clairement dans le sens du développement de la filière hydrogène française qui participera à l'atteinte des objectifs de réduction des émissions de CO2 que s'est fixés la France. Nous avons besoin d'infrastructures de transport de ce type. Les seules réserves émanant de France Hydrogène portent d'abord sur le fait que le projet propose une phase transitoire de transport de gaz naturel : mais que veut-on dire par "transitoire" ? Le pipeline ne sortirait pas avant 2030 ou 2035, ce qui pourrait nous amener à 2040 pour y faire transiter de l'hydrogène ! Par ailleurs, la délégation Occitanie de France Hydrogène a fait remonter ses inquiétudes au niveau national de l'association, considérant qu'un pipeline totalement offshore qui ne desservirait pas le bassin hydrogène sud-ouest - comprenant l'Occitanie et la Nouvelle-Aquitaine - lèserait le développement de la filière hydrogène sur ce territoire.

Quel est l'enjeu technique derrière cette connexion du futur pipeline à l'Occitanie ?

La bataille de l'hydrogène se fait avec deux composantes : les consommateurs d'hydrogène et la production d'hydrogène qui ont réciproquement besoin l'une de l'autre. Une telle infrastructure permet de régler une partie du problème qui se pose aux consommateurs d'hydrogène car elle consolide l'approvisionnement en hydrogène. Pour le bassin sud-ouest, le pipeline tel qu'annoncé retire cette possibilité à disposer d'une source d'hydrogène massive et sûre. Et elle lèse aussi potentiellement les acteurs qui développent des sites industriels de production d'hydrogène - par exemple Qair à Port-la-Nouvelle mais d'autres projets qui se profilent également - car on leur enlève un exutoire possible. Il est difficile de développer une production industrielle si on n'a pas de lisibilité du marché, en l'occurrence de l'écosystème hydrogène final. Prévoir une liaison avec l'Occitanie leur donnerait un exutoire possible en plus de ceux déjà identifiés mais restant à confirmer : la perspective de pouvoir injecter leur production ou leur sur-production via le pipeline.

L'enjeu du tracé de cette infrastructure gazière BarMar est-il aussi financier ?

Oui, car si l'on compare un projet offshore VS un projet terrestre, on est dans une logique de coûts globalement multipliés par cinq, une estimation pouvant être dépassée selon la difficulté de l'offshore... Un élément poussant à écarter un BarMar par voie terrestre est le manque d'acceptabilité sociétale et les crispations qui avaient été rencontrées lors du projet MidCat (pipeline de transport de gaz naturel de 190 kilomètres allant d'Hostalric, au nord de Barcelone, à Barbaira, à l'est de Carcassonne, et traversant les Pyrénées, visant à relier les réseaux gaziers français et espagnol, NDLR). Ce refus était principalement motivé par l'investissement que représentait ce projet dans une infrastructure d'énergie fossile. Dans le cas du projet BarMar, l'ouvrage est destiné à transporter de l'hydrogène vert. Si la phase transitoire de transport de gaz via BarMar peut être abandonnée, on lève le principal sujet de crispation et au contraire, on répond par un projet nécessaire à la décarbonation de notre industrie... Ne perdons pas de vue également que les projets offshore en France peuvent aussi rencontrer des difficultés d'acceptabilité sociétale. L'impact environnemental lié à la pose d'une canalisation terrestre est réduit car les tracés sont travaillés pour éviter les zones sensibles, ces impacts résiduels sont à comparer à ceux d'une pose de pipeline offshore sur la biodiversité marine.

Quel tracé préconisez-vous pour BarMar ?

Si le franchissement des Pyrénées par une canalisation terrestre pose un problème, il pourrait être envisagé une solution mixte : d'abord un pipeline offshore pour éviter les Pyrénées, avec un atterrage autour de Port-la-Nouvelle, permettant la desserte du bassin hydrogène sud-ouest. Et ensuite, rejoindre les tracés des canalisations de transport de gaz existantes sur des réseaux Terega à l'ouest et GRTgaz à l'est (opérateurs de transport de gaz, NDLR), reliant d'ouest en est le sud de la France. Aujourd'hui, ces canalisations transportent du gaz naturel. Leur conversion au transport d'hydrogène est à l'étude, études qui doivent notamment répondre aux problématiques techniques spécifiques au transport d'hydrogène mais également de maintien des capacités du réseau gazier. Il reste néanmoins plus pertinent de longer des pipelines existants.

Que se passerait-il pour l'Occitanie si le corridor filait directement de Barcelone à Fos-sur-Mer ? Comment cela peut-il freiner les ambitions de la filière hydrogène régionale ?

Cela retarderait son développement et ça n'enverrait pas de bons signaux aux industriels et aux collectivités territoriales, tant sur la production que sur les usages ! Il faut garantir l'approvisionnement si on veut développer les usages, et il faut garantir les exutoires si on veut développer une production d'hydrogène. Certains bassins ont des capacités de stockage, comme le bassin sud-ouest du côté des Landes, d'autres des capacités de production : il faut des infrastructures pour connecter les différents écosystèmes et garantir le développement de l'ensemble de la chaîne de valeur de la filière d'une façon cohérente entre les territoires.

Avez-vous bon espoir d'infléchir le projet BarMar tel qu'il a été présenté d'ici les 8 et 9 décembre ?

Il s'agit d'optimiser le tracé de cette infrastructure BarMar pour relier ces deux points tout en préservant les intérêts du sud-ouest. Cette proposition d'optimisation peut être relayée par France Hydrogène auprès du gouvernement français. Que ce soit pour le développement de la filière hydrogène dans le sud-ouest, pour l'aspect technique ou pour l'aspect économique, cette solution nous semble à regarder.

* EureTeq est un bureau d'études spécialisé dans l'ingénierie des infrastructures de transport de type pipelines, avec une expertise historique sur l'ingénierie du transport d'hydrogène.