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Loi Climat : Paris et Bruxelles s'accordent sur l'interdiction des vols intérieurs

Après plus d'un an d'attente, le gouvernement français et la Commission européenne ont fini par tomber d'accord sur les modalités pour interdire les vols intérieurs en cas d'alternative en train de moins de deux heures et trente minutes. Après avoir retoqué la première version du décret d'application présenté par Paris, suite à des plaintes et des doutes émis sur la conformité du texte avec le droit européen, Bruxelles a officiellement validé la nouvelle mouture du texte ce 2 décembre. Cela ouvre désormais la voie à la mise en place de cette mesure, issue des propositions de la Convention citoyenne pour le climat et votée dans le cadre de la loi Climat et résilience, dont l'impact environnemental réel fait débat. Selon le ministère des Transports, le décret va être désormais soumis « à la consultation du public, puis au Conseil d'Etat, avant son adoption, le plus rapidement possible ».

« Les services réguliers de transport aérien public de passagers concernant toutes les liaisons aériennes à l'intérieur du territoire français dont le trajet est également assuré sur le réseau ferré national sans correspondance et par plusieurs liaisons quotidiennes d'une durée inférieure à deux heures trente » vont donc être interdits, comme inscrit dans la loi du 22 août 2021 dite « Climat et résilience ».

Si cette grande ligne était déjà connue et a priori entendue du côté de la Commission européenne, le point d'achoppement portait sur les modalités d'application.

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Quatre conditions pour juger si l'alternative ferroviaire est suffisante

Le nouveau décret présenté par Paris et validé par Bruxelles pose ainsi quatre conditions pour juger si l'alternative ferroviaire est suffisante.

Il faut tout d'abord que la liaison ferroviaire soit naturellement assurée dans les deux sens dans le temps imparti « entre des gares desservant les mêmes villes que les aéroports concernés », à un détail près. Le texte prévoit que « lorsque l'aéroport le plus important de la liaison, en termes de trafic, est directement desservi par un service ferroviaire à grande vitesse, la gare retenue pour le calcul du service ferroviaire alternatif est celle desservant cet aéroport ». Dans les faits, cela s'applique exclusivement à Paris-CDG et Lyon-Saint-Exupéry, les deux seules plateformes qui disposent de gares TGV, afin de consacrer leur caractère intermodal.

Cette prise en compte des gares aéroportuaires est somme toute logique, mais surtout très importante pour définir quels sont les vols concernés ou non par la mesure.

Dans leur première version, les autorités françaises avaient inclus des dérogations sur le trafic en correspondance - les lignes avec plus de 50% de passagers en connexion sur un autre vol n'étaient pas concernées par l'interdiction -, principalement pour protéger le hub d'Air France à Paris-CDG. Mais, au nom de la sacro-sainte concurrence, la Commission européenne a demandé la levée de ces dérogations afin de ne pas entraîner de distorsion potentiellement préjudiciable aux compagnies point-à-point.

Cela introduit une distinction majeure entre les deux aéroports parisiens. Dans le cas d'un trajet entre Bordeaux et Paris-CDG, c'est donc la liaison ferroviaire allant de Bordeaux à la gare TGV de l'aéroport francilien qui sera retenue, soit 3h45 environ, et non celle entre Bordeaux et la gare Montparnasse à Paris, qui met les deux villes à moins de 2h10. Le principe est le même pour Nantes. Les vols entre Paris-CDG et les deux métropoles de la façade Atlantique sont donc pleinement protégés.

En revanche, pour Orly, ce sont les trajets vers les gares parisiennes qui seront évalués, et ils n'échapperont donc pas à l'interdiction.

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Une offre ferroviaire nécessaire mais pas suffisante

Les conditions suivantes établissent que la liaison ferroviaire doit être directe, « sans changement de train », être opérée « plusieurs fois par jour, avec des fréquences suffisantes et des horaires satisfaisants ». Enfin, elle doit permettre « plus de huit heures de présence sur place dans la journée », ce qui nécessite donc des départs matinaux et des retours en soirée.

Là encore, le fait pour Paris-CDG et Lyon-Saint-Exupéry de disposer d'une gare TGV les protège. Certes la gare de Paris-CDG est à moins de 2h30 de Lyon et de Rennes, ce qui fait entrer ces vols dans le périmètre de la mesure d'interdiction, mais le service peut être considéré comme insuffisant à plusieurs titres. Pour Rennes, il y a plus d'une quinzaine de TGV qui rejoignent la gare Montparnasse mais seulement trois qui vont à Paris-CDG. De même, le premier train arrive à Paris-CDG à 9h10 et le dernier part à 16h03, ce qui fait moins de 8 heures sur place. .

Pour Lyon, une autre subtilité entre en jeu. Une trentaine d'allers-retours en TGV sont disponibles chaque jour entre Paris et Lyon intra muros avec la SNCF et Trenitalia, contre moins d'une dizaine entre Lyon et Paris-CDG. Ce qui peut être potentiellement considéré comme insuffisant. Ce manque d'offre ferroviaire devient moins évident si s'y ajoutent les cinq TGV circulant directement entre les plateformes de Lyon-Saint-Exupéry et de Paris-CDG. Mais le texte précise bien que seule la gare de l'aéroport le plus important doit être prise en compte, ce qui exclut donc ces cinq allers-retours supplémentaires.

La dernière ligne concernée est le Lyon-Marseille avec une liaison ferroviaire de 1h30 environ, mais seulement deux TGV reliant l'aéroport lyonnais et la cité phocéenne et une amplitude horaire insuffisante.

Comme le rapporte la Commission européenne, les autorités françaises ont clairement indiqué que ces trois liaisons « pourront tomber dans le champ d'application de l'interdiction dès qu'un opérateur ferroviaire aura amélioré les conditions de ses services (principalement en termes d'horaires proposés) » ou à l'inverse « qu'une liaison précédemment interdite pourra être à nouveau desservie si la qualité du service ferroviaire change et ne remplit plus les conditions d'un service satisfaisant ».

L'offre ferroviaire sera donc étudiée deux fois par an, en amont de chaque saison aéronautique, grâce à « un ensemble plus détaillé de conditions pertinentes et objectives ».

En attendant, avec ces différents tours de passe-passe, Paris conserve l'essence de sa mesure, tout en préservant les intérêts de la compagnie nationale et les principes libéraux de Bruxelles.

« Je me félicite de la décision de la Commission qui permettra de lancer de nouvelles étapes dans l'interdiction effective des lignes aériennes quand il y a une alternative de moins de deux heures trente en train. C'est une avancée majeure et je suis fier que la France se montre pionnière en la matière », a déclaré Clément Beaune, ministre délégué chargé des Transports.

La mesure dure trois ans

L'autre changement majeur est l'affirmation du caractère temporaire de cette mesure. Comme annoncé la semaine dernière dans La Tribune, Bruxelles a fait reculer Paris sur ce point afin que le décret d'application français soit pleinement conforme avec le droit communautaire. « Le règlement européen qui permet de prendre ce type de mesure est très clair, cela ne peut être que des mesures temporaires », déclarait ainsi Olivier Jankovec, directeur général de la branche européenne du Conseil international des aéroports (ACI Europe) qui avait déposé un recours contre cette mesure d'interdiction.

Le décret sera donc bien valide pour une période de trois ans à compter de son entrée en vigueur. C'est une avancée pour les opposants à cette mesure, qui pourront espérer voir la situation évoluer par la suite, mais ce n'est pas une victoire pour autant. L'interdiction pourra ainsi être prorogée après « une évaluation de la mesure 24 mois après son entrée en vigueur » par les autorités françaises. Selon l'accord conclu avec Bruxelles, « ce réexamen tiendra compte, en particulier, des effets de la mesure sur l'environnement, y compris sur le changement climatique, et sur le marché intérieur des services aériens ».

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Des effets réels en débat

Justement, les effets réels de la mesure pour lutter contre le réchauffement climatique sont sans doute l'un des points qui suscitent le plus l'ire des opposants.

L'interdiction posée par la loi Climat et résilience est normalement permise au titre de l'article 20 du règlement européen CE n° 1008-2008, « lorsqu'il existe des problèmes graves en matière d'environnement » à condition que les mesures de limitation du trafic ne soient « pas plus restrictives que nécessaire pour résoudre les problèmes ».

Les trois associations professionnelles ayant déposé plainte auprès de la Commission européenne contre le texte initial, à savoir l'Union des aéroports français (UAF), l'ACI Europe, et le Syndicat des compagnies aériennes autonomes (Scara), avaient alors dénoncé l'absence d'étude d'impact suffisamment conséquente pour justifier ce recours à l'article 20, s'appuyant pour cela sur un avis consultatif du Conseil d'Etat, faisant état « d'insuffisances notables de l'étude d'impact en ce qui concerne certaines mesures du projet de loi ».

De même, Olivier Jankovec a émis des doutes sur « l'efficacité et la proportionnalité de la mesure ». Selon les calculs avancés par l'UAF et l'ACI Europe, les lignes concernées ne représentent que 0,24 % des émissions de CO2 du transport aérien intérieur français, soit 0,04 % des émissions des transports en France. Les supprimer « n'a pas grand sens » pour Olivier Jankovec, qui rappelle que la loi Climat et résilience impose de compenser les émissions de CO2 des vols domestiques à hauteur de 50% en 2022 et 100% en 2024.

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Bruxelles pense la mesure efficace

Sur ces points, Bruxelles a tranché en leur défaveur. La Commission a estimé « que la France est en droit de considérer qu'il existe un problème grave en matière d'environnement dans la situation en cause, qui inclut la nécessité urgente de réduire les émissions de gaz à effet de serre ». Elle ajoute que « la mesure examinée est susceptible de contribuer à court terme à la réduction des émissions dans le secteur du transport aérien et à la lutte contre le changement climatique », précisant tout de même qu'elle « évaluera si ladite mesure permet d'atteindre l'objectif ».

Selon les calculs apportés par Paris, la fermeture des liaisons Orly-Bordeaux, Orly-Lyon et Orly-Nantes « aboutit à une diminution totale des émissions de CO2 dues au transport aérien de 55.000 tonnes » sur la base du trafic de 2019. Trois lignes qui ont déjà été fermées par Air France en 2020, en compensation des aides reçues par l'Etat, mais qui ne pourront plus être opérées par des concurrents non plus.

Sur Orly-Bordeaux, la baisse potentielle des émissions de CO2 avec la fermeture de la ligne a été évaluée entre 48% (report modal proportionnel entre le rail et la route) et 98% (report modal intégral vers le rail).

Enfin, les autorités françaises estiment que la fermeture des liaisons entre Paris-CDG, Lyon et Rennes, ainsi qu'entre Lyon et Marseille, pourrait permettre de supprimer l'émission de 54.900 tonnes de CO2 supplémentaires.