France
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Loi immigration : à Menton, une frontière sous pression

Le train en provenance de Vintimille vient de s’arrêter en gare de Menton-Garavan, la première après la frontière franco-italienne, quand l’annonce est diffusée par les haut-parleurs. « Mesdames et messieurs, afin de faciliter les opérations de contrôle, veuillez préparer votre pièce d’identité et votre passeport. » Aussitôt, des policiers montent dans la rame. Quelques minutes plus tard, ils en font descendre un couple. L’homme a une casquette sur la tête, la femme a les cheveux recouverts d’un foulard. Ils sont accompagnés d’une fillette. Le TER repartira sans eux.

Le couple n’a pas de documents valables pour entrer en France. « Visiblement, vous n’avez pas compris la leçon, hier, leur lance une policière. On vous a dit de ne pas revenir, vous n’avez pas le droit de venir en France. » Le voyageur débarqué insiste. « On fait ce qu’on nous dit de faire », lui répond la fonctionnaire en uniforme. Un peu plus tard, les trois passagers indésirables seront reconduits au poste-frontière du pont Saint-Louis, à Menton, puis renvoyés en Italie avec une notification de « refus d’entrée ».

Cet autre couple a été obligé de descendre d’un train précédent et attend un bus pour repartir à Vintimille, distante de 8 kilomètres. Tous deux sont originaires du Liberia et ont deux enfants en bas âge, nés en Libye durant leur long périple entamé en 2019. Moussa, le père, ne comprend pas pourquoi sa famille est coincée dans ce paysage de carte postale. En contrebas, il aperçoit les eaux bleues de la Méditerranée : « On est venus de Tunisie en bateau pour aller en France. On croyait qu’une fois en Europe c’était bon. » Sauf que la liberté de circulation a été suspendue par la France en 2015 sur cette frontière, et jamais rétablie depuis.

Un flux migratoire multiplié par quatre

Les contrôles ont même été renforcés ces derniers mois, alors que l’Italie a vu fortement augmenter les arrivées de migrants à Lampedusa. Cette pression migratoire se répercute sur Menton et son arrière-pays. Selon un arrêté du préfet des Alpes-Maritimes, publié le 10 mai pour autoriser l’usage de drones par les forces de l’ordre, le « flux migratoire en provenance de l’Italie a été multiplié par quatre » et « plus de 9 000 individus en situation irrégulière » ont été interceptés dans cette « zone géographique » depuis le début de l’année.

Le flux devrait encore augmenter avec l’été, une saison favorable aux traversées maritimes. La France a d’ailleurs déployé des renforts, avec l’envoi sur place de 150 CRS et gendarmes supplémentaires. Leur présence est fortement visible sur l’autre poste-frontière de Menton, situé au bord de la mer. Systématiquement, des militaires jettent un coup d’œil sur les banquettes arrière, ouvrent les coffres des fourgonnettes et fouillent les camions. Parfois, des mineurs non accompagnés réussissent à franchir l’obstacle et à faire valoir leur droit à être protégés.

À leur propos, Charles-Ange Ginésy, président LR du conseil départemental des Alpes-Maritimes, parle de « déferlement ». « À la date du 23 mai, nous en avions accueilli 2 381, contre 5 000 pour toute l’année 2022, détaille-t-il. Il y en a 30 à 50 qui arrivent chaque jour. À ce rythme-là, nous en serons à 7 000 ou 8 000 en fin d’année. C’est un flux difficile à absorber. »

L’élu a calculé que la facture globale de cette prise en charge, assurée via l’Aide sociale à l’enfance, devrait grimper de 15 millions en 2022 à 20 millions en 2023 : « Le conseil départemental ne peut plus être le seul à la manœuvre, il faut que l’État prenne ses responsabilités. »

Les militants associatifs, eux, dénoncent des procédures « expéditives » dont elles contestent la légalité et « l’instrumentalisation » du contexte par les politiques. «C’est toujours un peu la même routine », relativise Agnès Lerolle, chargée de projet à la Coordination d’action aux frontières intérieures (Cafi), qui regroupe cinq associations, dont le Secours catholique. « En ce moment, il y a plus de monde à la frontière, notamment des mineurs et des personnes originaires d’Afrique de l’Ouest, reprend-elle. Mais cela a toujours été très fluctuant. Les projets migratoires passent par la France, pas forcément pour s’y installer. Certains veulent aller ailleurs. »

Pour les ONG, il ne s’agit pas d’une « invasion »

Coté italien, Cecilia Meoni, chargée de plaidoyer à Médecins sans frontières Italie, ne dit pas autre chose. « Ce n’est pas une invasion », insiste-t-elle depuis le parking du poste de contrôle du pont Saint-Louis. L’ONG y installe chaque matin une clinique mobile pour accueillir les personnes refoulées par la France qui pourraient avoir besoin de soins, et elle voit de près la mécanique bien huilée des refoulements. «Ce sont seulement quelques dizaines de personnes chaque jour, constate-t-elle. Certains essayent une fois, deux fois, trois fois, quatre fois… »

D’autres déjouent les contrôles grâce à des passeurs, cachés dans des véhicules ou marchant de nuit sur des sentiers escarpés, sans que les associations les voient jamais. « Bien sûr qu’il y a des gens qui passent, sinon nos locaux déborderaient », souligne Christian Papini, directeur du centre Caritas à Vintimille.

Loi immigration : à Menton, une frontière sous pression

Au poste frontière entre l’Italie et la France, les gendarmes procèdent a l’inspection des véhicules, à Menton, le 26 mai. / Frédéric Pasquini pour La Croix

Cet éducateur tatoué et barbu s’occupe de migrants depuis 2015, ceux qui sont refoulés et ceux qui s’accordent une pause : « Il n’y a rien de neuf. La plupart de ceux qui arrivent jusqu’ici ne veulent pas rester en Italie, et tout ce déploiement policier ne change rien. Tu mets juste un jour de plus à franchir la frontière et cela devient plus dangereux. » Selon le décompte des ONG, une quarantaine de migrants ont perdu la vie dans le secteur depuis 2015.

En l’absence de toute prise en charge par les pouvoirs publics italiens, Caritas a créé un accueil de jour et a regroupé plusieurs associations italiennes dans un bâtiment situé près de la gare. Des repas y sont servis, et les cuisiniers ont eux aussi senti monter la pression migratoire à la frontière. De 100 repas par jour à préparer, ils sont passés à 180 ces dernières semaines.

« Mais on en était à 700 au maximum en 2016 et 2017 », rappelle Christian Papini. « S’il y a plus de monde en ce moment, c’est peut-être parce qu’il y a eu plus d’arrivées en Italie, poursuit Maurizio Marmo, responsable local de l’organisation chrétienne. Mais c’est peut-être aussi parce qu’il y a plus de contrôles en France. »

Adama, qui tue le temps sur le parking de Caritas, vient de le constater. Il est ivoirien, se dit mineur et a été refoulé deux fois. Il est prêt à recommencer : « Je suis fatigué, j’ai pris beaucoup de risques, mais je vais essayer encore, je ne suis pas découragé. Je veux aller en France pour travailler et avoir une vie meilleure, pas pour faire des bêtises. Si Dieu le veut, je vais passer. »

Le soir, des repas sont distribués par une vingtaine d’autres associations sur un parking, bordé par un pont. Des hommes dorment sous cette voie rapide, partageant les lieux avec des ordures et des sangliers. L’un d’entre eux titube. « Ce n’est plus un migrant, explique Filippo Lombardo, membre de l’association Scuola di Pace. Maintenant, c’est un sans-abri, avec des problèmes d’alcool. » La frontière s’est refermée sur lui.

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46 000 arrivées de migrants en Italie

46 000 personnes ont débarqué sur les côtes de l’Italie depuis le début de l’année, soit quatre fois plus que les chiffres enregistrés sur la même période en 2022, selon les statistiques du ministère de l’intérieur italien. Un peu moins de la moitié (40 %) viennent de pays francophones (Côte d’Ivoire, Guinée, Tunisie, Burkina Faso).

33 000 personnes ont fait l’objet d’une procédure de non-admission à la frontière franco-italienne en 2022 dans le département des Alpes-Maritimes, selon la préfecture. Les contrôles ont été rétablis à cette frontière en juin 2015, lors de la forte vague migratoire connue par l’Europe cette année-là.