France
This article was added by the user . TheWorldNews is not responsible for the content of the platform.

Luc Rémont, l’homme qui doit sauver EDF et le nucléaire français

C'est une aventure palpitante mais aussi particulièrement difficile qui attend Luc Rémont, fraîchement nommé président directeur général d'EDF. Après de longues semaines de rumeurs, Bercy a enfin levé le voile sur la nouvelle gouvernance de l'électricien national. L'actuel numéro 2 de Schneider Electric, à la tête des opérations internationales du géant des équipements électriques et des automatismes industriels, va prendre le poste de PDG d'Electricité de France.

Ce polytechnicien, passé par les cabinets de Francis Mer, Nicolas Sarkozy, et Thierry Breton à Bercy de 2002 à 2007, puis par la banque d'investissements américaine Merrill Lynch, aura pour mission de remettre sur les rails un groupe éminemment stratégique dont l'Etat, déjà actionnaire à près de 84%, va bientôt reprendre le contrôle total. Objectif de l'opération : avoir les coudés franches pour mettre en musique la politique énergétique de la France, à l'heure où la guerre en Ukraine exacerbe la crise énergétique et souligne l'importance des enjeux de souveraineté dans ce domaine.

Mais le plus dur reste à venir car cette renationalisation n'est que la première étape d'une indispensable réforme en profondeur d'EDF. L'entreprise traverse une année noire et fait face à un mur d'investissements, alors même qu'elle est grevée par une dette monstre de plus de 40 milliards d'euros.

Mener à bien un projet industriel pharaonique

Fin connaisseur du monde industriel, rompu aux questions financières et coutumier des rouages de la sphère étatique, Luc Rémont coche bien toutes les cases du cahier des charges fixé par l'exécutif pour succéder à Jean-Bernard Lévy, avec qui les relations s'étaient fortement dégradées ces derniers mois. Reste que la tâche n'en sera pas moins colossale et délicate.

Cet ingénieur de formation devra, en effet, se révéler un chef d'orchestre hors pair pour mener à bien un chantier industriel colossal : celui qui consiste à faire construire six nouveaux réacteurs nucléaires (dit EPR 2) dans les vingt prochaines années, voire huit supplémentaires dans un horizon plus lointain, comme l'a annoncé Emmanuel Macron lors de son discours de Belfort le 10 février dernier. Soit, ni plus ni moins, le plus gros programme électronucléaire du monde occidental depuis une quarantaine d'années. Un projet pharaonique d'une complexité industrielle et financière considérable, et dont le coût l'est tout autant : plus de 50 milliards d'euros.

Le travail titanesque ne s'arrête pas là. Luc Rémont devra aussi remettre sur pied un parc nucléaire, ébranlé, entre autres, par un problème de corrosion (actuellement une trentaine de réacteurs sur 56 sont à l'arrêt), assurer le lancement de l'EPR de Flamanville, dont le chantier accumule plus de dix années de retard, ou encore s'attaquer à l'épineux dossier de l'entreposage des combustibles usés, dont les piscines s'apprêtent à déborder, tout en accélérant sur le champ des renouvelables où l'énergéticien accuse un net retard.

Composer avec la pression de l'Etat... et les puissants syndicats

La réussite de ces chantiers suppose que Luc Rémont parvienne à relever un défi majeur : faire en sorte qu'EDF renoue avec son excellence industrielle avec, au rendez-vous, la qualité de l'exécution et un respect strict des calendriers. Le prérequis pour cela ? Disposer de bras qualifiés en nombre. Un sujet particulièrement sensible et à l'origine d'une discorde entre Jean-Bernard Lévy et le chef de l'Etat, qui se sont récemment écharpés par échanges interposés. Le premier reprochant au second d'avoir manqué de vision stratégique pour la filière. De quoi déclencher la foudre d'Emmanuel Macron, qui a dénoncé des propos « inacceptables ».

Ces échanges acerbes ont le mérite de donner le ton à Luc Rémont : le nouveau capitaine d'EDF aura la délicate tâche de composer avec l'exécutif, qui exercera, il n'y a aucun doute, une très forte pression sur l'entreprise. Pis, il devra faire face à une situation inédite, Jean-Bernard Lévy ayant assigné en justice l'Etat, bientôt son seul actionnaire, pour lui réclamer 8,3 milliards d'euros, quelques semaines seulement avant de quitter la maison. Objectif de l'opération : indemniser l'entreprise lourdement pénalisée par le relèvement du plafond de l'Arenh, décidé par le gouvernement pour créer un bouclier tarifaire, et qui l'oblige à vendre davantage d'électricité à prix cassés à ses concurrents. Un héritage qui pourrait propulser Luc Rémont au cœur d'un vrai numéro d'équilibriste.

Mais la relation avec l'Etat ne sera pas la seule partition délicate à jouer pour Luc Rémont. L'industriel devra aussi tendre l'oreille aux puissants syndicats du groupe. Ces derniers s'attendent à ce que l'ancien de Schneider porte la voix du gouvernement. Même si certains s'interrogent sur sa connaissance du système électrique, c'est surtout la feuille de route industrielle qu'il dessinera qui sera jugée, et non son parcours, bien que sa participation à la privatisation d'EDF en 2005 « ne plaide pas en sa faveur », laisse-t-on échapper. « Un nouveau dirigeant s'apprête à prendre les rênes d'une entreprise qui a une âme très forte. En faire fi, c'est trouver beaucoup d'écueils sur sa route », prévient-on encore.