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Manifestations en Iran : La révolte peut-elle se terminer par une victoire du peuple ?

La jeunesse dans la rue, l’Etat est-il foutu ? Des manifestations d’ampleur envahissent au quotidien les villes iraniennes depuis le 16 septembre. Soit la date de la mort à l’hôpital de Mahsa Amini, 22 ans, trois jours après son arrestation à Téhéran pour non-respect du code vestimentaire pour les femmes en République islamique, qui doivent se couvrir les cheveux.

Douze jours, sans interruption, à défier la violente répression de la police, laquelle a déjà fait environ 60 morts selon les chiffres officiels, et plus de 75 selon l’ONG Iran Human Rights (IHR). Outre l’usage d’armes, parfois de balles réelles, les autorités ont coupé Internet pour tenter d’étouffer les cris de la population, qui réclame la chute du régime autoritaire. Pas de quoi dissuader une jeunesse déterminée à vivre en liberté.

Nouvelle colère profonde contre la République islamique

L’Iran a déjà connu des mobilisations d’ampleur en 1999, en 2009, en 2017-2018 ou encore en 2019-2020. Mais pour Mahnaz Shirali, sociologue spécialiste de l’Iran et auteure de Fenêtre sur l’Iran (Les Pérégrines) interrogée par 20 Minutes, c’est un tout autre élan qui mène les flots de citoyens dans les rues aujourd’hui. En 2019, dit-elle, il s’agissait essentiellement de classes sociales défavorisées, qui protestaient contre l’augmentation du prix du carburant dans un contexte de crise économique et de récession. Mais aujourd’hui, c’est une contestation « d’une autre ampleur et d’une autre durée », car « cette fois, ce n’est pas qu’une partie de la société qui défile, pas seulement ceux que l’on a appelés les "pieds nus", mais la jeunesse venue de tous les milieux sociaux, explique-t-elle. Ils ont tous reconnu leur sort dans celui de cette jeune femme, et cela a eu un effet déclencheur sur un terrain déjà fertile », abonde la spécialiste.

Mais pour Amelie-Myriam Chelly, iranologue chercheure au Centre d’analyse et d’intervention sociologiques (CADIS) et auteure de Iran, autopsie du chiisme politique (éd. du Cerf), des expressions de la colère profonde du peuple ont déjà eu lieu sans aboutir pour autant. En 2009, par exemple, avec le mouvement Vert, la chute du régime semblait atteignable. Il s’est pourtant achevé dans une répression sanglante avec plus de 150 morts, des milliers d’arrestations, dont celles de figures de l’opposition, et des accusations de torture.

Par ailleurs, la contestation actuelle a de particulier que de nombreuses femmes y participent, exprimant leur colère, brûlant leur hijab et coupant leurs cheveux. Ces mêmes femmes opprimées par la police des mœurs, laquelle a interpellé Mahsa Amini pour une mèche qui dépassait de son voile. Mais ce ne sont pas seulement des femmes qui se battent pour leur droit, car les hommes manifestent à leurs côtés. « Une solidarité hommes/femmes qui n’avait pas lieu avant », souligne Mahnaz Shirali. Pour Amelie-Myriam Chelly, si la présence d’autant de femmes « représente beaucoup d’espoir pour la population iranienne, ce n’est pas forcément ce qui permettra de renverser les choses. Ce n’est pas ce qu’il y a de plus redoutable pour le régime en place », estime-t-elle.

La révolte jusqu’à la révolution ?

Quelle forme pourrait alors prendre une victoire du peuple ? L’arrivée au pouvoir d’Ebrahim Raïssi, en 2021, s’est traduite par un tournant conservateur. Une partie de la population rêve alors aujourd’hui de la fin du port du voile obligatoire, d’un assouplissement de la politique de mœurs. Mais cette éventualité « reste impossible tant que la République islamiste sera en place, affirme Amelie-Myriam Chelly. Cela fait partie de son ADN ». Au-delà du voile, si une majorité de la population « rêve d’un changement de régime, on est davantage actuellement dans une volonté d’internationaliser le mouvement », ajoute-t-elle.

Pour Mahnaz Shirali, il n’y a pas d’ambiguïté, la réponse se trouve au cœur même des slogans scandés : « Le voile est un prétexte, notre but est la chute du régime ». Et même s’il est impossible de prédire l’avenir, « l’espoir est toujours permis, tout peut arriver dans un mouvement de foule aussi spontané et extrêmement profond », développe la sociologue.

D’autant que cette jeunesse est déterminée en plus d’être « entraînée ». « Elle a accès aux nouvelles technologies, aux réseaux sociaux, trouve des moyens d’accéder à Internet malgré la coupure grâce à des VPN. Et parvient à résister aux soldats de la République islamique de manière très efficace. Ils ne supportent plus qu’on leur impose des lois moyenâgeuses de l’islam ». « La République islamique vit la pire crise qu’elle n’a jamais vécue », tranche-t-elle. Un régime qui risque de sombrer dans une répression toujours plus violente « même s’il se sait aux abois », ajoute Amelie-Myriam Chelly.

Pour quelle alternative ?

Si toute opposition politique est aujourd’hui réduite au silence, selon Mahnaz Shirali, la jeunesse, éduquée, cultivée, a les moyens de reprendre en main le pays « dont l’écosystème, l’économie, ont été détruits par une bande de cleptocrates », accuse-t-elle. L’Etat iranien est vieillissant. Pourtant, même si le régime est composé de personnes âgées, « il y aura toujours un vieux qui va prendre la place d’un autre ».

« Aucun régime ne peut résister à la volonté de son peuple. Mais tombera-t-il aujourd’hui ou demain ? », s’interroge enfin Mahnaz Shirali.