France
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Mélenchon et la Révolution française : oui, le ridicule tue

De quoi est-il question cette fois ? Vendredi, le fondateur de La France insoumise a voulu célébrer l'anniversaire des journées révolutionnaires d'octobre 1789, quand les Parisiennes avaient marché sur Versailles pour protester contre la rareté et la cherté des produits de première nécessité, journée au terme de laquelle la famille royale a été conduite à Paris « sous contrôle populaire », comme l'écrit notre homme politique. Jusque-là, pas de problème. C'est ensuite que ça coince.

En effet, Jean-Luc Mélenchon se complait d'ajouter que, le 16 octobre prochain, date prévue d'une manifestation orchestrée par les Insoumis contre la vie chère et le réchauffement climatique, les « femmes » (supposées du peuple) devraient s'animer à nouveau de rage et « faire mieux » que leurs ancêtres de 1789. Se faisant, Jean-Luc Mélenchon dessine et appelle à un mouvement insurrectionnel de grande ampleur. Mais deux choses pêchent cruellement dans sa comparaison, et je voudrais les rappeler en deux mots.

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Famine

D'abord, le mouvement populaire des 5 et 6 octobre 1789 est essentiellement causé par la misère et le coût insupportable de la vie depuis des semaines en France, forçant les Parisiennes des Halles et des faubourgs à faire la queue aux portes des boulangeries depuis le milieu de la nuit pour quelques bouchées de pain afin de nourrir leurs enfants. Et encore le pain était pourri. Le 5 octobre, 53 sacs de farine seulement ravitaillent la capitale. Du riz est distribué, mais cela ne suffit guère. Marat, qui vient de créer mi-septembre son journal L'Ami du peuple, décrit : « Toujours les boutiques de boulangers assiégées ! Toujours les horreurs de la famine à redouter ! Toujours le gouvernement accaparant les grains et nous enlevant ceux du royaume pour nous vendre ceux de l'étranger, pour nous faire acheter à poids d'or du pain qui nous empoisonne ! »

Le 5 et le 6 octobre 1789 les femmes marchent sur Versailles contre la vie chère. Elles ramènent le roi la reine et le dauphin de force à Paris sous contrôle populaire. Faites mieux le 16 octobre.

— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) October 6, 2022

Bref, je doute fort que les ravages causés par la crise de l'automne 1789 aient quelque chose à voir avec la hausse des prix de l'énergie actuelle et la pénurie de quelques produits. Aujourd'hui, les gens mangent à leur faim, Monsieur Mélenchon, et grâce à l'intervention de l'État et des associations, la chaîne de solidarité évite massivement le fléau de la misère (on voudrait qu'elle ne frappe personne bien sûr). Votre comparaison ne tient donc pas. Elle est même très insultante, je dois dire, pour celles qui voyaient mourir leurs enfants sous leurs yeux depuis le début de l'été 1789. Il faut comparer ce qui est comparable.

Ensuite vient le sujet de l'insurrection populaire proprement dite. La grande originalité de la Révolution française est d'être à la fois un mouvement impulsé par une élite éclairée, voulant faire advenir les principes des Lumières, et le surgissement de la foule comme acteur de la politique, faisant d'elle un élément nouveau, inattendu et incontournable désormais de l'histoire des démocraties. Mais cette entrée en guerre du peuple, notamment lors de la prise de la Bastille, a été spontanée. On n'a pas dit aux insurgés parisiens de prendre la Bastille le 14 juillet prochain. On ne leur a pas demandé de le faire. On ne leur a pas suggéré de faire preuve de courage ce jour-là précis. Ils se sont dressés spontanément et ont pris leurs armes sur le coup, parce que cela a paru, dans le chaudron des événements de juillet, une impérieuse nécessité.

Les hommes de 1789 n’ont pas été téléguidés par des leaders révolutionnaires organisés et résolus, comme ce fut le cas à Saint-Pétersbourg lors de la prise du Palais d’hiver.

Pareille spontanéité se retrouve le 5 octobre 1789. Ce matin-là, à l'heure où chantent les coqs, la place de l'Hôtel-de-Ville était encore tranquille. Le thermomètre affichait aux alentours de 7 degrés. Le bâtiment médiéval était presque vide. Les Parisiennes en avaient assez de faire la queue aux portes des boulangeries. Certaines n'ont pas mangé depuis trente heures. Une jeune fille des Halles, s'étant emparée d'un tambour plus gros qu'elle dans un corps de garde, ameuta les mères qui firent cortège derrière elle. On demande du pain aux autorités de la ville. La poignée d'irréductibles de l'aube avait été rejointe par des centaines, et finalement des milliers. Puis, ce sera la marche sur Versailles.

La soudaineté de l'action, c'est justement ce qui lui confère toute sa beauté. C'est là d'ailleurs la grande différence entre la Révolution française et celle des bolcheviks de 1917. En octobre aussi, l'étrange hasard ! Les hommes de 1789 n'ont pas été téléguidés par des leaders révolutionnaires organisés et résolus, comme ce fut le cas à Saint-Pétersbourg lors de la prise du Palais d'hiver. En 1789, il n'y a pas de Trotski attendant qu'on lui passe le téléphone pour lui apprendre que l'opération a réussi. À Paris, il n'y a pas de plan concerté d'insurrection, pas de violence légitimée avant qu'elle ne devienne nécessaire au moment où l'action se déroule.

Mélenchon montre qu’il est davantage un homme d’octobre 1917 qu’un tribun de 1789.

Or, ce que nous révèle Jean-Luc Mélenchon, par ses tweets d'un courage forcé, c'est qu'il y a une volonté d'organiser en amont le mouvement populaire, lui donner son impulsion, ses codes, sa rhétorique, ses arguments, lui dire tel jour tu frapperas à tel endroit. Alors Jean-Luc Mélenchon désigne du doigt l'Élysée comme s'il s'agissait de rejouer la marche des femmes sur le château de Versailles pour enfin libérer le « peuple » en emprisonnant le « tyran ». En vérité, l'ancien sénateur montre qu'il est davantage un homme d'octobre 1917 qu'un tribun de 1789. Apparatchik mimant la Révolution, par désespoir de ne pas la faire pour de vrai, il est dépourvu de cet art français de la révolte, qui est tout spontanéité et jaillissement, et dont il n'a que les mots à défaut d'en avoir l'étoffe. En ce sens, Jean-Luc Mélenchon me fait un peu penser à Trotski, apprenant par ce fameux coup de téléphone la prise du château des tsars : loin du théâtre des opérations, sa main tremblait, c'était une émotion trop forte pour lui ; il voulut alors fumer une cigarette qu'on lui alluma ; il avait arrêté de fumer depuis quelque temps ; la première bouffée de tabac lui fit l'effet d'un choc, et il perdit connaissance. Mieux valut en effet pour lui qu'il se tint à distance des affrontements, car, là, les gens se battaient pour de vrai.

La vérité est que monsieur Mélenchon ferait mieux de ne pas se couvrir de ridicule en donnant sa vision communiste de la Révolution française, car pas plus les bolcheviks de 1917 que nos modernes démagogues d'octobre 2022 ne méritent d'être mis sur le même plan que les Poissardes d'octobre 1789. Ou bien, s'ils les aiment tant, ils n'ont qu'à lire les livres retraçant leur histoire, au risque de se trouver minuscules.

Vous me pardonnerez donc de retourner à l'écriture de mon prochain essai que je regrette déjà d'avoir suspendu, une heure durant, pour disserter sur cet homme qui veut faire une révolution pour la révolution.

* Historien spécialiste de la Révolution. Dernier ouvrage paru : « Danton et Robespierre, le choc de la Révolution », éd. Passés Composés, septembre 2021, 480 pages, 25 euros.