France
This article was added by the user . TheWorldNews is not responsible for the content of the platform.

Mission parlementaire sur la réforme de la police : l’occasion d’un rapprochement avec la justice ?

En apparence, c’est une nouvelle pierre sur le sinueux chemin de la révolution à venir de la police nationale. Le rapport de la mission d’information de la commission des lois de l’Assemblée nationale «sur la réforme de la police judiciaire dans le cadre de la création des directions départementales de la police nationale» a été rendu public ce mardi soir. Menée par les députés Ugo Bernalicis (LFI) et Marie Guévenoux (LREM), cette mission a été lancée à la suite d’une forte mobilisation de policiers et de magistrats contre le projet de «départementalisation» de la police nationale, l’été dernier. Hier encore, dans vingt villes, des enquêteurs se rassemblaient devant leur service, en signe de protestation. Le projet contesté vise notamment à placer, dans chaque département, tous les effectifs de police sous l’égide d’un unique directeur départemental de la police nationale (DDPN). Une organisation qui a déjà cours en sécurité publique – auprès de laquelle servent la majorité des fonctionnaires – mais qui est très éloignée des fonctionnements actuels de la police aux frontières (PAF) et de la police judiciaire (PJ), chargées des enquêtes les plus complexes.

Dans les faits, le rapport de la mission parlementaire n’est pas détonant – à quelques recommandations près. Le diagnostic dressé par les députés, au fil de la centaine d’auditions réalisées et de leurs déplacements dans plusieurs départements expérimentant la fameuse réforme, est proche de celui des inspections générales de l’administration, de la police et de la justice. Les Inspections nationales de l’administration (IGA), de la police nationale (IGPN) et de la justice (IGJ) ont en effet rendu la semaine dernière un audit assez semblable à celui de la représentation nationale.

Quelques effets bénéfiques

Ainsi, Ugo Bernalicis et Marie Guévenoux constatent l’embolie des services enquêteurs de la sécurité publique, chargés de la délinquance de faible envergure. En moyenne, chaque agent dispose de 104 procédures dans son portefeuille. Mais dans certaines circonscriptions – à Beauvais (Oise), Sedan (Ardennes), Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne), Massy-Palaiseau (Essonne) ou Orléans (Loiret) –, les policiers sont chacun chargés, en moyenne, de 240 affaires. Tout à l’inverse, à l’échelle du pays, les spécialistes de la PJ disposent, en moyenne, de sept procédures chacun. Autres différences soulignées dans le rapport : les pjistes travaillent plus (217 jours par an contre 140) et sont mieux encadrés (31 % d’officiers contre 5,1 %) que leurs collègues de la sécurité publique.

Le mélange des troupes a pu avoir quelques effets bénéfiques dans les départements où il a été expérimenté, selon les députés : partage des connaissances, mutualisation du matériel, meilleure coordination, enquêteurs parfois déchargés de tâches chronophages qui les éloignent de l’investigation. Mais «Ugo Bernalicis appelle néanmoins à relativiser ce constat, car le mandat donné aux DDPN expérimentateurs est de faire en sorte que l’expérimentation fonctionne, et donc de donner des gages dans ce sens, lit-on dans le rapport. Pour autant, rien ne garantit à ce stade que ce fonctionnement vertueux perdure».

«Angle mort» des contentieux financiers

Les expérimentations ont été – comme l’ont déjà soulevé les inspections dans leur audit – souvent trop timides, ou trop récentes, pour que leurs résultats soient quantifiables. Surtout, la réforme ne résoudra pas les nombreuses faiblesses de la filière investigation de la police nationale. «Le taux d’élucidation des affaires a diminué au cours des dernières années, sans doute pour partie du fait de la surcharge des services d’investigation généraliste de la sécurité publique», écrivent les parlementaires, estimant entre autres que «la montée en charge des effectifs de polices municipales contribue à accroître le nombre de procédures», et que la volonté de l’exécutif de mettre «plus de bleu dans la rue» risque d’aggraver cette situation. Dans le même temps, les contentieux économiques et financiers constituent «l’angle mort des services d’enquêtes, même en PJ», déplorent les rapporteurs, citant le syndicat de la magistrature.

Quelles conclusions tire la mission d’information de cet inquiétant état des lieux ? Pas moins de 42 recommandations. Certaines propositions ne sont endossées que par l’un des deux rapporteurs. Ainsi, la députée de la majorité Marie Guévenoux enjoint le ministère de l’Intérieur à entamer «dès que possible» la refonte des directions nationales de la police ; alors que le calendrier est si serré aux yeux d’Ugo Bernalicis, qu’il conseille d’attendre la fin des Jeux olympiques et paralympiques de l’été 2024 pour mener la réforme. Plus étonnant : les deux rapporteurs s’entendent sur la nécessité d’appliquer la réforme à la préfecture de police de Paris, intouchable Etat dans l’Etat policier.

Rattacher les enquêteurs à la Justice ?

En des termes différents, les deux députés s’accordent aussi sur la nécessité que les portes des commissariats et des services d’enquête soient plus ouvertes qu’elles ne le sont actuellement aux magistrats. Reste aussi ce serpent de mer, brandi par le seul élu insoumis : une de ses recommandations vise à rattacher l’ensemble des enquêteurs de la police à l’autorité judiciaire, et donc au ministère de la Justice. Peu de temps avant la parution du rapport de la mission d’information, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a déclaré dans l’hémicycle qu’il «répondrai[t] aux interrogations» soulevées par ces travaux. Sur le possible rattachement de la police à la justice, il y a tout à parier que sa réponse sera «non».