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Morsure de chauve-souris, fuite de laboratoire... Ce qu'on sait aujourd'hui de l'origine du Covid-19

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Imaginez que lors d'un dîner, quelqu'un vous dise: «Je m'intéresse aux origines de la pandémie de Covid-19.» Comment réagiriez-vous? Il est fort probable que, si cette personne n'exerce pas une profession d'ordre scientifique ou journalistique, vous vous posiez quelques questions sur ses motivations et que votre radar anti-complotistes s'allume.

De fait, c'est un sujet qui apparaît parfois comme réservé aux adeptes des théories du complot qui, depuis trois ans, imaginent les thèses les plus extraordinaires pleines de programmes de recherche secrets, de manipulations génétiques à dessein, de conflits d'intérêts et d'agendas cachés. La propagation de ces thèses induisent, sur le plan individuel, des comportements allant à rebours des recommandations médicales –refus de se faire dépister et vacciner notamment– et, plus largement, l'adhésion en des croyances anti-science.

Bien sûr, on pourrait être tenté de balayer la question des origines de la pandémie d'un revers de la main en se disant que «shit happens». Mais pour nous –comme pour de nombreux scientifiques–, cette méticuleuse enquête doit être un moyen précieux d'espérer prévenir l'émergence des nouveaux agents pathogènes.

Commençons par une certitude: celle que nous n'en avons aucune concernant les mécanismes précis de l'émergence du SARS-CoV-2 durant l'année 2019. Et ce n'est pas une surprise car la recherche de l'origine de l'émergence d'un agent infectieux est longue et il est toujours ardu de remonter précisément la chaîne des événements qui ont conduit à cette émergence –voyez d'ailleurs comme il n'a pas été possible de le faire pour le VIH, le SRAS ou même la grippe H1N1.

En outre, nous ne savons pas non plus comment ont émergé les différents variants du SARS-CoV-2 et les sous-variants d'Omicron. On ne sait même pas si Omicron a émergé à la suite de mutations survenues chez un patient immunodéprimé ou lors d'un épisode de zoonose inverse, après mutations chez un animal domestique infecté par un humain. Mais, dans cet océan de doutes, il y a quand même quelques balises qui nous offrent différentes pistes plausibles à explorer. Détaillons.

Le pangolin innocenté

La première –du moins, chronologiquement parlant– est celle du pangolin, un animal dont les Chinois seraient friands, notamment dans la région de Wuhan. L'idée est la suivante: le virus circulerait parmi des chauves-souris de la région –qui ne sont pas en contact fréquent avec les humains–, qui auraient contaminé de leurs déjections un animal sauvage, ici notre pangolin. Lequel aurait alors servi d'hôte intermédiaire, répliquant le Covid-19, et se serait retrouvé vendu vivant sur le marché de Wuhan en vue d'être consommé. Il aurait alors transmis le virus au vendeur du marché, au client, ou bien aux deux.

Sans que l'on puisse l'éliminer totalement, cette hypothèse ressemble beaucoup à celle –sans certitude non plus– de l'émergence du SRAS, puisque c'était une civette, un autre petit rongeur retrouvé sur les marchés chinois qui avait été suspecté en 2003. Le problème c'est qu'aucune trace de SARS-CoV-2 n'a depuis été retrouvée sur aucun pangolin.

Si l'on reste sur l'idée que le marché de Wuhan est le point de départ de la pandémie, ce que confirment plusieurs publications scientifiques, une autre hypothèse a circulé: celle de la contamination par le biais d'aliments surgelés vendus sur les étals. C'était l'hypothèse privilégiée du discours officiel chinois, qui aurait même invalidé l'origine chinoise de l'émergence, si ces produits congelés avaient pu provenir de l'étranger.

Mais ce n'est pas faute d'avoir cherché: point de traces de virus dans les congélateurs du marché de fruits de mer de Huanan à Wuhan. Par ailleurs, reconnaissons que le mode de contamination par exposition à de la nourriture contaminée n'a jamais été confirmé dans la littérature scientifique.

De la chauve-souris au vison?

Une autre hypothèse serait celle de la transmission des chauves-souris à des visons vivants au sein d'élevages de la province du Hubei, puis ensuite des visons infectés vers l'humain. On sait que les visons sont des animaux pouvant être contaminés par le coronavirus, se le transmettre entre eux, puis contaminer à leur tour des êtres humains. Les Danois ont connu de telles épizooties dans leurs élevages de visons en novembre 2020. Ils ont dû alors abattre tout leur cheptel de visons et renoncer à ces élevages, de peur de générer de nouveaux variants problématiques pour la santé publique.

Reste que les autorités chinoises n'ont pas permis à la mission de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) de visiter et prélever ces fermes de visons. On ne saura donc pas s'ils ont été infectés par le Covid-19. Mais le maillon manquant ici, c'est que l'on ne trouve aucune trace du coronavirus chez des chauves-souris de la province du Hubei, rendant l'hypothèse des visons à son tour peu probable.

L'hypothèse de la fuite de laboratoire n'est pas à exclure

Nous vous parlons dans ces hypothèses du rôle des chauves-souris et vous vous demandez bien pourquoi elles sont aussi suspectes. Les chauves-souris du genre rhinolophe vivent en Europe jusqu'à l'Asie du Sud-Est. C'est un petit mammifère sauvage qui pèse quelques grammes et vit dans des caves, des grottes ou des cavernes. Surtout, cet animal avait déjà été identifié comme porteur du coronavirus du SRAS (le SARS-CoV). On retrouve souvent des coronavirus dans des rhinolophes.

L'Institut de virologie de Wuhan, équipé depuis 2003 d'un laboratoire P4 de haute sécurité de technologie française (comme celui de Lyon), est spécialisé dans les recherches sur le coronavirus. Or, ce laboratoire affirme n'avoir jamais identifié de coronavirus dans les colonies de chauves-souris de la région du Hubei.

Un acte délibéré ou une fuite accidentelle du laboratoire de Wuhan ne sont pas totalement exclus. Or, le niveau de procédures de sécurité est tel que cela semble très peu probable.

Des chercheurs ont dû aller à 1.500 kilomètres à la frontière du Laos pour trouver des chauves-souris porteuses d'un précurseur du SARS-CoV-2. Ils ont même identifié à quelques encablures, au Laos même, des colonies de chauves-souris rhinolophes, également porteuses de virus très proches de SARS-CoV-2 et capables d'ailleurs d'infecter l'humain sans hôte intermédiaire.

Nombreux sont ceux qui ont pensé que la coïncidence était pour le moins troublante de voir la plus grande pandémie du siècle, due précisément à un coronavirus, survenir justement dans l'un des plus gros centres de recherche mondiaux sur le coronavirus. Il n'en a pas fallu davantage pour exciter les milieux complotistes à l'imagination fertile. On a rapidement vu fleurir des scénarios dignes de films de science-fiction les plus fantaisistes, parfois repris par l'administration Trump au début de la pandémie.

Certes, un acte intentionnel et délibéré n'est jamais totalement à exclure. On peut par exemple se remémorer l'affaire des lettres contaminées par le bacille du charbon et envoyées par un chercheur d'un laboratoire militaire du Maryland en 2001. Mais on ne trouve plus beaucoup de scientifiques aujourd'hui dans le monde pour accréditer l'hypothèse d'une malveillance volontaire venant de ce laboratoire chinois.

Une fuite accidentelle, survenue dans ce laboratoire de haute sécurité, n'est pas non plus totalement exclue. Or, le niveau de procédures de sécurité est tel que cela semble très peu probable. La directrice du laboratoire, Wang Yanyi, une chercheuse chinoise très réputée dans la communauté scientifique, formée aux États-Unis, a toujours affirmé qu'il n'y avait eu aucune trace du SARS-CoV-2 dans son laboratoire avant la pandémie.

Bien sûr, personne n'est obligé de la croire. Et à nouveau, toute fuite accidentelle est possible. Mais l'expérience montre plutôt que les problèmes de sécurité ne surviennent pas dans ce type de laboratoires, qui travaillent justement dans des conditions très rigoureuses.

Une morsure de chauve-souris?

Il y a une dernière hypothèse que nous voudrions développer ici. Elle est très peu évoquée dans la littérature scientifique sur le sujet. Pourtant, elle remporte notre préférence, sans bien sûr que l'on ait la moindre conviction qu'elle soit un jour confirmée. Elle implique aussi les équipes du laboratoire P4 de l'Institut de virologie de Wuhan et nos amies les chauves-souris rhinolophes. Mais pas à Wuhan.

Retour dans les grottes de la province chinoise du Yunnan, à la frontière avec le Laos, pour une campagne de captures de chauves-souris. Ne trouvant pas de coronavirus dans les prélèvements des colonies de rhinolophes de leur région, les équipes de techniciens et chercheurs de l'Institut de virologie de Wuhan ont mené, avant la pandémie, des campagnes de prélèvements de ces chauves-souris. Ils y ont identifié un autre coronavirus dans des caves industrielles désaffectées.

La capture de ces petits mammifères sauvages est toute une expédition. Une fois sur place, on jette ses filets dans les grottes afin de serrer le petit animal, que l'on ne tue pas, mais qui est probablement bien effarouché. On fait alors un prélèvement PCR anal ou dans sa gorge. Inutile de dire que l'animal n'aime pas plus cela que l'humain. Qu'un animal ait cherché à se défendre en griffant ou mordant le technicien à la manœuvre n'aurait rien de très surprenant. Qu'un technicien soit alors contaminé lors d'un pareil prélèvement devrait en principe être colligé dans un livre d'incidents prévu à cet effet dans ce genre de situation.

La mission de l'OMS n'a pas eu accès à ces livres d'incidents, mais un tel incident aurait-il seulement été notifié? Rien n'est moins sûr. Les procédures sont certes très rigoureuses dans le laboratoire de haute sécurité, mais qu'en est-il lorsqu'on est en mission, bien loin de son laboratoire d'origine?

Et puis, même si notre technicien a été contaminé à ce moment-là, s'il a ramené le virus à son domicile, par exemple près du marché de Wuhan, et qu'il ou elle l'a transmis à ses proches –peut-être justement à un employé ou client du marché–, tout cela a pu se faire de manière très silencieuse, sans que les personnes contaminées ne s'en rendent compte. Tout ce petit monde zéro a pu être totalement asymptomatique ou paucisymptomatique [qui présente très peu de symptômes, ndlr], avant que des personnes plus fragiles ne développent des formes plus graves nécessitant des soins à l'hôpital, une alerte et des prélèvements identifiant un nouveau coronavirus.

Une somme d'hypothèses qui invitent à la prévention

Au total, ce qui nous intéresse le plus dans ce faisceau d'hypothèses n'est pas, bien sûr, de rechercher des complots machiavéliques, ni même de croire qu'un jour nous saurons ce qui est réellement advenu et qui a été le patient zéro. Non, mais nous voudrions plutôt que ces élucubrations nous servent à mettre sur la table sans naïveté toutes les hypothèses au moins plausibles, pour exiger des mesures de prévention et de précaution adaptées pour chacune d'entre elles, que l'on ne peut rejeter avec certitude.

Ainsi, il conviendrait que la communauté internationale exige désormais:

  • Une interdiction de la vente d'animaux sauvages sur les marchés alimentaires. Et si un marché noir était détecté, que des prélèvements soient réalisés auprès des animaux saisis, des commerçants et des clients pris sur le fait;
  • Une meilleure sécurisation des élevages de visons et autres animaux qui sont de potentiels réservoirs d'agents zoonotiques;
  • Une attention accrue à la sécurisation des laboratoires de haute sécurité, leur recensement, leur certification, leur inspection, ainsi qu'une plus grande transparence dans les ruptures éventuelles de protocole, et un moratoire sur les recherches à risque et sur la manipulation des agents pathogènes (comme la recherche sur le gain de fonction, qui modifie génétiquement un organisme de manière à améliorer les fonctions biologiques des produits géniques);
  • Une vigilance accrue lors de campagne de captures et de prélèvements sur des animaux sauvages et des procédures suivies et transparentes en cas d'accidents ou d'incidents lors de ces prélèvements.

Plus avant et dans un contexte où il est crucial de penser la santé à l'interface entre celle de l'humain, de l'animal et de notre environnement, selon une approche «One Health», il convient désormais de mieux prendre en compte toutes nos interactions avec les autres animaux et notre environnement, et de repenser les dimensions éthiques et politiques de l'exploitation animale et de la recherche en virologie.

Nous pouvons penser que la fourrure de vison n'est peut-être pas indispensable à notre vestiaire. Nous pouvons considérer que la viande de pangolin ou de civette n'est pas essentielle à notre survie. Il y aura toujours des clients prêts à payer le prix fort pour s'en procurer. Il y aura toujours des éleveurs peu scrupuleux pour braconner et les vendre au marché noir. Partout dans le monde.

Alors aujourd'hui, il nous semble nécessaire d'envisager des contrôles et des protocoles sanitaires, là où l'élevage ou la vente de ces animaux existent. Et là où la recherche d'agents infectieux s'effectue, afin que ces pratiques à risque pour l'humanité soient mieux sécurisées, à défaut de ne pas être rendues illicites.