Le cinéaste roumain poursuit sa dénonciation des travers du libéralisme effréné dans son dernier long-métrage, récompensé du prix spécial du jury à Locarno.
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L’AVIS DU « MONDE » – À NE PAS MANQUER
Cinéaste dialecticien, qui n’aime rien mieux que semer la zizanie entre les images, le Roumain Radu Jude, 46 ans, livre avec son dernier long-métrage en date une œuvre somme, un pamphlet à sa façon, virulent et malpoli, jovial et désespéré, cette fois élargie aux dimensions d’une odyssée contemporaine. Après Bad Luck Banging or Loony Porn, qui imaginait les démêlés d’une prof de collège dont une vidéo porno domestique avait fuité sur Internet, N’attendez pas trop de la fin du monde, Prix spécial du jury à Locarno, perpétuant ce goût comique des titres à rallonge, se dresse de nouveau contre la société néolibérale en voie terminale de dérégulation. Bucarest, capitale âpre et brutaliste, stigmate à ciel ouvert d’une Roumanie postcommuniste propulsée au pas de course dans l’économie de marché, en est le parfait avant-poste.
D’une durée inhabituelle pour le cinéaste (cent soixante-trois minutes : un record), ce nouveau film de forme accidentée, fourmillant de récits et d’interludes, tourne autour du travail, de l’acception dégradée qu’on en a aujourd’hui. Pour cela, il s’attache au personnage d’Angela, une assistante de production lancée dans des courses en voiture interminables dans tout Bucarest. Sa mission du jour est de recueillir les témoignages d’invalides ayant subi de graves accidents du travail, en vue d’un spot de prévention commandité par une multinationale autrichienne.
Or, dans la ville connue pour ses embouteillages monstres, chaque course devient parcours du combattant, dans le vacarme des klaxons, des insultes échangées, des hymnes martiaux crachés par l’autoradio, et l’air vicié des gaz d’échappement (« composé à 100 % de pets », cauchemarde la conductrice). Les horaires d’Angela s’allongent à perte de vue, le sommeil gagne, sans compter les courses subsidiaires qui s’ajoutent au programme : conduire sa mère au cimetière, retrouver un amant pour une étreinte furtive sur la banquette arrière, puis repartir au turbin.
Double avatar
Cette héroïne, pimpante blonde en robe à paillettes jurant au volant comme un charretier, vaillante recrue de la corvéabilité ubérisée, jouée avec une verve incroyable par la jeune actrice Ilinca Manolache, vaut avant tout parce qu’elle s’inscrit dans le nœud gordien des contradictions contemporaines. La voilà, en effet, œuvrant à produire une image positive du travail en entreprise, alors qu’elle-même est exploitée jusqu’à la moelle, jetée sans ménagement dans la centrifugeuse urbaine. De même, on approche les grands accidentés du travail pour mieux les mettre en concurrence les uns avec les autres : un seul sera retenu pour tourner le spot et toucher le providentiel cachet.
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