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«Nos frangins» d'hier et d'aujourd'hui, une grande famille

Temps de lecture: 3 min

Le nouveau film de Rachid Bouchareb est entièrement consacré à des faits vieux désormais de près de 40 ans. Il n'en est pas moins directement en phase avec l'actualité sensible d'aujourd'hui, dans une de ses dimensions les plus problématiques.

La manière dont le cinéaste d'Indigènes convoque des événements situés sur fond de manifestations contre la loi Devaquet, et plus généralement contre le gouvernement Chirac-Pasqua au milieu des années 1980, est en effet clairement motivée par des considérations très actuelles.

Ces jours-là de décembre 1986, deux jeunes Arabes étaient tués par des policiers, l'un à Paris, l'autre en Seine-Saint-Denis (à Pantin). Le décès du premier, Malik Oussekine, tabassé à mort par des motards de la brigade motorisée à l'issue d'une manifestation à laquelle il n'avait pas participé, suscita un immense mouvement de colère et de chagrin.

Beaucoup plus discrète fut la réaction au meurtre d'Abdel Benyahia par un policier hors de ses heures de travail et ivre mort, ayant tiré avec son arme de service sur un garçon qui essayait d'empêcher une bagarre.

Le père d'Abdel Benyahia (Samir Guesmi) et son frère (Laïs Salameh) essaient de comprendre ce qu'il est advenu du garçon disparu le 5 décembre 1986. | Le Pacte

Le film associe de manière très efficace des actualités télévisées de l'époque et des scènes reconstituées avec des acteurs. Si le récit des faits est d'une grande sobriété, la manière de raconter vibre d'indignation tout au long de ce réquisitoire contre ces agissements de la police française, sur le terrain mais aussi à travers les organismes en principe chargés de la contrôler, et qui fonctionnent trop souvent en vue de protéger les policiers, quoi qu'ils aient fait.

Sortant en salle au moment de l'adoption de la nouvelle loi d'orientation et de programmation du ministère de l'Intérieur, qui comporte notamment un renforcement des unités dédiées à la répression, dites UFM, ce réquisitoire s'adresse très explicitement aux violences policières actuelles, à la revendication d'une présomption de légitime défense en faveur des policiers mêlés à des situations violentes.

Il s'inscrit dans une controverse sur la doctrine et les pratiques du maintien de l'ordre alors que les modes d'action répressifs ont connu ces dernières années une montée en brutalité inédite –au moins depuis la fin de la guerre d'Algérie.

Les brigades d'intervention motorisées supprimées après le meurtre de Malik Oussekine et aujourd'hui rétablies. | Le Pacte

Entre autres, le retour des brigades motorisées, désormais nommées BRAV-M et rétablies à l'occasion du mouvement des «gilets jaunes», celles-là même qui avaient été dissoutes après la mort de Malik Oussekine, font clairement partie des motivations d'un film qui, pour se passer en 1986, ne cesse de parler de sujets actuels.

Des films dans le débat public

Tout comme Nos frangins, sans les nommer, est aussi hanté par les bavures récentes, dont la mort d'Adama Traoré et celle de Cédric Chouviat, et les nombreuses obstructions aux enquêtes de ceux qui en sont en principe chargés au sein de la police. Depuis la présentation du film de Bouchareb au Festival de Cannes en mai dernier, dix personnes sont mortes du fait de tirs de police sur la voie publique dans des circonstances où la version de la police est contredite par des témoins.

Plus généralement, le réalisateur a en ligne de mire la montée en brutalité des pratiques policières, dans la répression des mouvements sociaux comme lors d'interventions dans des situations du quotidien, ce à quoi renvoie l'association des cas Oussekine et Benyahia.

Récemment documentée notamment par le film Un pays qui se tient sage de David Dufresne, l'aggravation de la violence policière est une évidence, qui résulte de choix politiques et de stratégies de communication en haut lieu. Elle est aussi un élément particulièrement saillant d'une brutalisation plus générale des comportements et des rapports.

Le cinéma sait également voir que les flics sont aussi victimes, ou jouets, d'une situation où la violence règne: cela pourrait être l'occasion de redécouvrir Selon la police de Frédéric Videau passé injustement inaperçu en début d'année et désormais accessible en VOD et DVD, voire de rendre visite à La maison qui soignait les policiers de Dominique Adt, deux réalisations qui sont moins le contraire que le contrepoint de ce dont témoigne Nos frangins.

Cet article reprend des éléments d'une critique publiée sur Slate le 26 mai 2022, lors de la présentation du film au Festival de Cannes.

Les critiques cinéma de Jean-Michel Frodon sont à retrouver dans l'émission «Affinités culturelles» de Tewfik Hakem, le dimanche de 15h à 16h sur France Culture.

Nos frangins

de Rachid Bouchareb

avec Reda Kateb, Samir Guesmi, Lyna Khoudri, Raphaël Personnaz

Séances

Durée: 1h32

Sortie le 7 décembre 2022