France
This article was added by the user . TheWorldNews is not responsible for the content of the platform.

Nos vies menées à la baguette [Le point de vue de CL]

Nos vies menées à la baguette [Le point de vue de CL]

Photo AFP

Par Maurice BONTINCK - m.bontinck@charentelibre.fr, publié le 30 novembre 2022 à 21h46.

Retrouvez notre éditorial du jeudi 1er décembre.

On y met tous les ingrédients de nos vies. Celle commencée enfant par ce premier achat et cette première sortie vers la liberté chez le boulanger du quartier. Celle de l’adulte invitant ses amis à casser la croûte et leur demandant au dernier moment de ramener les deux ou...

On y met tous les ingrédients de nos vies. Celle commencée enfant par ce premier achat et cette première sortie vers la liberté chez le boulanger du quartier. Celle de l’adulte invitant ses amis à casser la croûte et leur demandant au dernier moment de ramener les deux ou trois baguettes manquantes. Cette vie du quotidien faite d’échanges avec sa moitié le midi pour savoir qui ramène le précieux sésame. Comme un réflexe, comme une habitude. On change aussi rarement de pain qu’on change de coiffeur.

Toutes ces vies menées à la baguette sont aussi faites de diversité et d’évolution avec ces 250 grammes plus ou moins travaillés, plus ou moins parfumés. Plus ou moins industriels. Plus ou moins chers aussi. Achetés à l’hypermarché à 80 centimes comme dans une épicerie tendance à 1,50 euro.

L’inscription de la baguette au patrimoine immatériel de l’Humanité n’est qu’un symbole, un clin d’œil à notre art de vivre, un cliché mondial teinté de fierté nationale. Mais elle raconte tant de nos vies comme de l’évolution de notre pays. Ce n’est ni une question de vie ou de mort, c’est bien plus que ça. Comme les bars de village, les boulangeries s’effritent. Ils en ferment 400 par an mais cela n’empêche pas 12 millions de Français d’acheter chaque jour leur pain et de manger six milliards de baguettes chaque année.

Au-delà du geste, c’est aussi une référence économique, quasiment une monnaie à part entière et un système dont on scrute le moindre soubresaut. Dès que la baguette prend quelques centimes, c’est un sujet national. Voir la baguette sanctifiée aujourd’hui comme on rompt le pain sur l’autel des traditions, comme on s’agenouillerait devant la fille aînée de notre gastronomie montre aussi à quel point cela reste une religion pour les Français. La baguette nous relie malgré nos différences de consommation.

Même la plus célèbre marque de fast-food se plie à cette exception française et sort son hamburger dans une baguette. Et il n’y a qu’en France que faire son propre pain chez soi est une tendance et même un marqueur social. Ou qu’une baguette vendue à trente centimes, comme l’a fait l’an passé une célèbre chaîne d’hypermarchés, se transforme en polémique nationale.

Cette baguette mise à l’honneur aujourd’hui, c’est aussi le symbole des difficultés actuelles de nos vies. Des boulangers appellent à l’aide face à la flambée de la facture énergétique. Le plaisir d’une baguette peut devenir un luxe face à l’inflation.

Reste que dans cette actualité si pesante, ce cocorico même les pieds dans la gadoue offre une belle respiration. Cela ne fait jamais de mal de pouvoir se souvenir des belles choses, de celles qui accompagnent dans un même élan nos vies si différentes sans que l’on sache vraiment pourquoi.