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«Notre lutte est en train de payer» : à Niamey, le retrait de la France vu comme une victoire nationale

Dimanche, 19h50. Maikoul Zodi est en route pour l’Escadrille, rond-point qui dessert le complexe militaire nigérien abritant la base aérienne projetée des forces françaises à Niamey. Depuis début septembre, ce lieu a charrié des dizaines de milliers de manifestants en faveur du retrait des soldats français installés en 2013. Il est occupé jour et nuit, et la sono, branchée de 15 à 7 heures du matin. Au programme, conférences, concerts, projections de films, prises de paroles. Le dimanche, c’est jour de prêche. Tout à sa routine, énumérant les fonds reçus par la diaspora nigérienne de Belgique et de Caroline du Nord, aux Etats-Unis, (plus de 13 000 euros en tout, selon lui), Maikoul Zodi, président de la coalition de mouvements à l’initiative de la mobilisation, n’est pas encore au parfum des annonces d’Emmanuel Macron, déroulées vingt minutes plus tôt sur TF1 et France 2. Placide, le militant prend acte du départ imminent de l’ambassadeur de France et des militaires français déployés au Niger : «On se réjouit, notre lutte est en train de payer.» Il embraye : «Mais nous allons continuer à manifester jusqu’au départ du dernier soldat français.»

Un mois plus tôt, le général Tiani, à la tête du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP, la junte militaire au pouvoir depuis le coup d’Etat du 26 juillet) avait dénoncé cinq accords militaires franco-nigériens conclus entre 1977 et 2020. Mais Paris a ignoré cette demande émanant d’autorités illégitimes à ses yeux, ne reconnaissant que le président déchu Mohamed Bazoum, «élu démocratiquement». Cette inflexibilité a aussi guidé le maintien à son poste de l’ambassadeur Sylvain Itté, pourtant frappé par une ordonnance d’expulsion le 1er septembre. Jusqu’au revirement de ce dimanche. Petit glissement sémantique, Emmanuel Macron a évoqué «les autorités de fait» du Niger, qui, a-t-il argué pour motiver la fin de la coopération militaire, «ne veulent plus lutter contre le terrorisme». «Emmanuel Macron se rend à l’évidence et on ne peut qu’être fier en tant que Nigérien, savoure Ali Idrissa, autre figure de la société civile associée aux manifestations. C’est la première fois que le peuple se mobilise face à une grande puissance, en l’occurrence, l’ex-colonisateur. On en sort renforcés.»

21h45. Le CNSP salue dans un communiqué lapidaire «un moment historique» et une «nouvelle étape vers la souveraineté du Niger». «Les forces impérialistes et néocolonialistes ne sont plus les bienvenues sur notre territoire.»

22h15. Namewa Ibrahim, responsable du Comité de coordination des luttes démocratiques, s’échappe de L’Escadrille le temps d’une douche. L’engouement des manifestants le stupéfait. C’est la fin des «libertés confisquées» de l’ère Issoufou-Bazoum (2011-2023). Quant aux annonces du président Macron, il est prudent. Evoque une «victoire d’étape» et des craintes : «La France part du Niger contre son gré, ce ne sera pas sans conséquences.» Lui, milite depuis une décennie contre la présence militaire française, après avoir bataillé pour la renégociation des contrats miniers entre son pays et le groupe nucléaire français Areva, devenu Orano. En 2007, une hausse du prix de vente de l’uranium a été concédée à la partie nigérienne. Mais «tout a été remis en cause» sous la présidence du «soi-disant démocrate» Issoufou, «pion de la France officielle», qu’il prend soin de distinguer du «peuple frère français».

Lundi, 3 heures. Mohamed fait le pied de grue devant sa fada (lieu de rassemblement des jeunes autour d’un thé) au quartier Yantala. Il guette l’escorte de l’ambassadeur. L’emprise diplomatique française aux murs ocre se trouve à 400 mètres.

15h00. Ils sont six sous le toit de tôle de la fada. Etudiants, chômeurs, salariés. Pas d’Escadrille pour eux ces prochains jours : ils veulent assister au départ du diplomate. «Il est encore là», tranche Rachid, pieds croisés sur un parpaing. En témoigne le dispositif sécuritaire : garde nationale nigérienne, police, gendarmerie. Les sorties d’Emmanuel Macron sur cet ambassadeur «pris en otage», qui mange des «rations alimentaires» leur ont paru injustes. «Tu es chez nous, on te demande de partir, tu refuses. Cela fait de toi un otage ?» s’étrangle Salif. Sans parler du personnel de l’ambassade qu’ils ont vu défiler chaque jour pour faire leurs courses au supermarché voisin. Ils n’ont pas compris pourquoi la France, «avec ses moyens d’intervenir», n’a pas pu empêcher les massacres de leurs parents au village. Et puis tout près de l’ambassade de France, il y a celle des Etats-Unis. «Plus propre», «plus grande», avec ses gardes nigériens «mieux traités», ses portes grandes ouvertes à la population. «Des fois les soirs, on y va pour jouer au foot ou au tennis. A l’ambassade de France y’a rien, c’est la brousse.»