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Olivier Delattre, au service de l’enfance

Un enfant malade, c’est une injustice, une douleur. D’un point de vue scientifique, c’est surtout «une situation anormale», selon Olivier Delattre, pédiatre, directeur de recherche à l’Inserm et directeur de l’unité de recherche mixte Inserm-Institut Curie «Génétique et Biologie des Cancers». Il ne compte plus les têtes blondes – puis chauves, attaquées par la chimiothérapie – qu’il a côtoyées avec leurs familles. En France, environ 2 500 cas de cancers sont détectés chez des enfants ou adolescents chaque année. L’Inserm, la structure qui lui a permis, dès le début des années 90 de travailler à guérir ces jeunes patients, a choisi de saluer son travail. Le 6 décembre, elle a fait de lui le lauréat 2022 de son grand prix, qu’elle remet chaque année à l’un de ses scientifiques les plus chevronnés.

Le chercheur était en vacances lorsque le directeur de l’Inserm, Gilles Bloch, lui a annoncé la nouvelle au téléphone. «Je m’attendais plutôt à une demande de mission, ou à une question précise», explique-t-il. Son humilité l’empêche de penser que ses pairs s’apprêtent à saluer ses accomplissements. «J’ai été surpris, mais aussi très honoré», se souvient-il. «C’est une belle reconnaissance», dans un métier où les travaux des confrères sont scrutés. Le chercheur de 65 ans parle plus de la nécessaire collaboration globale pour participer à l’extension des connaissances que d’un sentiment de compétition. Par ce prix – mais également par le reste de sa bibliographie bien rempli – ses collègues ont validé son apport à la science.

«Un affect particulier»

En 1985, alors qu’Olivier Delattre s’est spécialisé en pédiatrie et effectue son internat au sein des Hôpitaux de Paris, il est interpellé par l’avancée des théories sur les oncogènes, ces gènes qui participent à la prolifération des cellules cancéreuses dans l’organisme humain. C’est cette curiosité, «absolument indispensable» pour être efficace dans la recherche, qui le guide. Ainsi, explique-t-il, s’est-il «retrouvé dans les laboratoires». A l’époque, il n’y voit qu’un détour provisoire et entend bien «retourner en clinique» après l’expérience de la recherche. Celle-ci l’a pourtant «happé» et a forgé l’ensemble de sa carrière.

Le travail en laboratoire n’est pas nécessairement synonyme d’isolement, précise toutefois le chercheur parisien. «J’ai toujours été en contact étroit avec les cliniciens.» Sans cela, la déconnexion l’empêcherait de garder le cap dans sa recherche. «Tout travail avec des enfants malades crée un affect particulier», indique Olivier Delattre. Mais il souligne l’importance du «contexte psychosocial» au sein duquel ces derniers sont hospitalisés. «Il y a une vie très particulière» dans un service d’oncologie pédiatrique. Il compare l’activité de ces couloirs à ceux d’une ruche : les enfants jouent, assistent à des spectacles de clowns ou de marionnettes, certains continuent de suivre une scolarité un tant soit peu «normale». Une certaine «gaîté» qu’on ne retrouve pas dans les couloirs où sont hospitalisés les adultes.

Le point de départ de la carrière de chercheur d’Olivier Delattre a été le sarcome d’Ewing, une tumeur osseuse maligne qui touche notamment les adolescents. De fil en aiguille, le scientifique s’est intéressé aux différents cancers de l’enfant. Son souhait : «Comprendre les rouages de leur développement» chez les jeunes patients. Aux côtés des équipes de recherche qu’il a montées, il veut mettre en lumière les mécanismes qui poussent une cellule cancéreuse «à échapper au contrôle» de l’organisme. Son travail comporte deux volets: «l’aspect cognitif» de la recherche, c’est-à-dire comprendre les mécanismes des oncogènes, mais aussi l’aspect thérapeutique. Il propose des théories pour mettre en place des soins permettant de «crasher le système» cancéreux.

Crise de la vocation

Lorsqu’un enfant se voit diagnostiquer un cancer, son corps entame un double travail à temps plein : lutter contre la maladie tout en menant, bon an mal an, sa croissance. Aussi les cellules cancéreuses sont-elles dans un environnement idéal pour proliférer rapidement. «L’enfant va mal vite, mais il se remet aussi vite, rassure Olivier Delattre. Ils ont souvent conscience de la gravité de la maladie» dont ils sont atteints. Certains ont également «conscience du risque vital» qui pèse sur leur santé. Mais «la spontanéité» les quitte rarement. Cette force de vie, alliée à la haute «responsivité» de leur cancer aux soins thérapeutiques tels que la chimiothérapie, leur permet d’atteindre de hauts seuils de guérison face au cancer. Aujourd’hui, plus de 80% des enfants guérissent, se réjouit le chercheur : dans les années 60, seuls 10% de ces jeunes malades survivaient à la maladie. Mais les séquelles sont encore actuellement trop fréquentes, rappelle le chercheur.

S’il se réjouit et se félicite de l’avancée de la recherche dans son domaine de spécialisation depuis qu’il l’a intégré et étudié, Olivier Delattre exprime une certaine inquiétude. La recherche attire moins la jeune génération, constate-t-il avec tristesse. Les conditions de travail, la baisse de curiosité nécessaire et le travail inscrit dans le temps long sont-ils à l’origine de cette crise de la vocation ? Il n’a pas d’avis tranché. Il espère néanmoins que le taux de guérison des cancers pédiatriques atteindra rapidement 90%, voire plus. Sur la centaine de cancers de l’enfant connus, le chemin est long et s’annonce ardu. Mais la retraite n’est pour lui pas encore au menu. Olivier Delattre entend se battre contre la maladie encore longtemps.