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#Onveutdesprofs : des parents attaquent en justice l'Éducation nationale pour non-remplacement d'enseignants

Après des centaines d'heures de cours manquées faute d'enseignants, un collectif de parents demande près de 200.000 euros d'indemnisation. Objectif : faire réagir l'État.

«On a énormément souffert l'année dernière, nous les parents mais aussi nos enfants. On n'a pas envie que cela recommence !» Un petit mois seulement après la rentrée scolaire, Amandine, mère de deux filles de quatre ans et demi, est excédée. Cette habitante de Villejuif, dans le Val-de-Marne, déplore le nombre grandissant de professeurs absents non remplacés. «Ma fille a manqué quatre semaines de classe l'année dernière, s'agace-t-elle. Sur toute la ville, ce sont 1300 jours d'absence, rien que pour le primaire, qui n'ont pas été remplacés.»

Apprenant souvent le matin même l'absence de l'institutrice, Amandine s'est retrouvée plus d'une fois «ses filles sur les bras». Commence alors pour les parents une course contre la montre pour dénicher un moyen de garde. «On essaie de trouver une nounou ou de se libérer d'une journée de travail, mais quand on est entrepreneur comme moi, une journée sans travail est une journée sans entrée d'argent pour le foyer.» Épuisée par ces aléas matinaux, la jeune maman a décidé de s'allier à d'autres parents pour faire entendre sa colère.

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Ce sont ainsi plus de 170 parents d'élève qui ont rejoint le collectif #Onveutdesprofs, lancé en juin dernier, après une année rythmée par les confinements et les protocoles sanitaires. Pour ce groupe, conscient que les professeurs font de leur mieux et «sont eux aussi victimes du système», «l'objectif est de faire condamner l'État» à la suite d'«absences répétées d'enseignants non remplacées, qui causent un préjudice aux élèves». Si la moyenne de cours annulés, laissant les élèves errer dans les couloirs ou en salle de perm', est de 104 heures par élève, certains enfants cumulent près de 300 heures de cours manqués.

À ce jour, 127 premières demandes d'indemnisation auprès des rectorats ont été déposées. La facture s'élèverait à près de 200.000 euros pour «manquement au service public», selon les plaignants. Plus de 1500 dossiers sont en cours de traitement.

Manquement au service public

À la tête du collectif se trouvent deux avocats : Maître Joyce Pitcher, spécialisée dans les actions collectives, et Maître Louis le Foyer de Costil, avocat en droit de l'éducation. «Des parents sont venus me voir en mai dernier, m'expliquant leur situation et leur détresse. On a ainsi décidé de monter une action collective en réunissant plus de parents concernés», raconte Maître Joyce Pitcher. Si les parents étaient exclusivement franciliens au début, ils viennent aujourd'hui d'une vingtaine d'académies à travers toute la France. «L'idée n'est pas de gagner de l'argent mais de faire réagir l'État», prévient l'avocate parisienne.

Une telle démarche n'est pas tout à fait nouvelle. Déjà en 1988, le Conseil d'État condamnait l'État à verser 1000 francs aux parents d'un collégien dont le professeur avait été absent pendant sept heures. «La mission d'intérêt général d'enseignement impose au ministre de l'Éducation nationale l'obligation légale d'assurer l'enseignement de toutes les matières obligatoires, écrivaient alors les juges. Le manquement à cette obligation légale est constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'État.»

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S'appuyant sur cette jurisprudence, Maître le Foyer de Costil est convaincu que «l'État sera nécessairement condamné pour manquement à service public». L'obligation d'instruction ne s'applique pas qu'aux parents, mais aussi à l'État. «C'est une règle constitutionnelle», ajoute l'avocat. Au point 13 du Préambule de 1946, il est ainsi inscrit que «l'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'État» :

La Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'État

Préambule de 1946, à valeur constitutionnelle

L'initiative a certes convaincu un certain nombre de parents, cependant elle ne fait pas l'unanimité. Pour Laurent Zamesczkowski, porte-parole de la PEEP, première fédération d'associations de parents d'élèves, «aucune indemnisation ne sera à la hauteur d'un préjudice qui peut s'étaler sur toute une vie». Il est selon lui impossible d'évaluer les conséquences sur l'enfant, celles-ci dépendant de la matière manquée, du nombre d'heures sautées mais aussi du niveau de chaque élève.

«Pour certains, cela sera catastrophique, ils vont cultiver de vraies lacunes alors que pour d'autres ce sera moins problématique.» Amandine a ainsi eu peur pour une de ses filles. «Elle a commencé à développer une sorte de phobie scolaire, elle ne voulait plus aller à l'école.» Selon la mère de famille, engagée dans la vie scolaire municipale, les classes maternelles et primaires ont «été fortement touchées» par ces absences répétées. Certains territoires semblent plus concernés que d'autres, rapporte Laurent Zamesczkowski. Parmi eux, les départements souffrant d'un manque d'attractivité ainsi que les académies franciliennes. Contacté, le ministère de l'Éducation nationale n'a pas réagi.