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« Par la danse, aller au-delà des apparences, m’intéresser aux marges des tableaux »

La Croix : Comment en êtes-vous venu à danser devant les tableaux dans les musées ?

Damien Rouxel : Alors que j’étais étudiant aux Beaux-Arts de Quimper, j’ai commencé à la surveillance des salles au musée de la ville. Et, lors d’une nocturne étudiante, j’ai eu la chance d’être programmé : j’ai alors proposé quelques danses. Le musée m’a alors invité à « performer » régulièrement.

J’ai fait un cursus d’histoire de l’art, et la danse est venue à moi durant mes années de formation : marier les deux disciplines me semblait naturel. J’ai été heureusement surpris de constater que le public était séduit par cette initiative – elle se déroulait le dimanche – et que les visiteurs-spectateurs étaient de tous âges, des enfants jusqu’aux personnes âgées. Certains férus de danse, d’autre pas du tout !

Comment définiriez-vous vos performances ?

D. R. : Dès le début, j’ai clairement décidé de ne pas faire des visites de médiation, même si, grâce à mon parcours en histoire de l’art, je dis quelques mots d’introduction sur l’œuvre ou les œuvres que j’ai choisies. Il s’agit plutôt d’un itinéraire subjectif, d’une manière de questionner la manière dont nous découvrons ou retrouvons une toile, les questions que cela fait naître en nous, notamment autour de l’image du corps.

Que nous dit ce tableau du corps masculin et du corps féminin ? Pourquoi et comment représenter le corps martyre, thème récurrent dans l’iconographie religieuse ? Quelle différence entre un corps du passé et un corps contemporain ? Je peux alors me mettre en mouvement en partant de la posture d’un personnage ou, à l’inverse, devenir le personnage du tableau au terme de la performance.

Danser dans une salle de musée au milieu des visiteurs n’est pas anodin…

D. R. : En effet, l’espace du musée n’est pas celui de la scène. Il faut donc que je puisse m’adapter à partir de la trame que je prépare toujours en amont. Le nombre de personnes présentes délimite la surface où je peux déployer la danse ; les réactions et sensations des spectateurs que je lis dans leurs yeux grâce à notre grande proximité ont également une influence sur la performance. Je me souviens d’une dame en larmes et du vertige que cela a créé en moi : cette émotion, visiblement très forte, lui faisait-elle du bien ou du mal ?

Parcourir les collections en dansant est comme un voyage avec ses étapes, ses rencontres, ses surprises et ses découvertes. Certains visiteurs font tout le chemin, d’autres arrivent ou partent en cours de route : là aussi, c’est le mouvement qui prime.

Cherchez-vous à mettre également en mouvement le regard que nous portons sur les œuvres d’art ?

D. R. : Sans doute. En tout cas, j’aime essayer d’aller au-delà des apparences, m’intéresser aux marges des tableaux. À Quimper, une toile célèbre d’Évariste-Vital Luminais datant de 1884 représente le roi Gradlon fuyant la ville d’Ys envahie par les flots. On y voit sa fille tomber violemment de cheval, elle qui a donné les clés de la cité au diable. À partir de cette légende fondatrice en Bretagne, j’ai adopté la position de la jeune coupable, littéralement éjectée de la monture par son père, après que la voix de Dieu lui a commandé de se débarrasser du démon.

Au Musée de Pont-Aven, lors de l’exposition consacrée au peintre Jean Puy, je me suis inspiré de la figure du modèle pour me pencher sur la relation de domination, parfois violente, entre le peintre et celles qui posent pour lui. D’autant que l’artiste, indiquait le catalogue, avait usé de mots très blessants à l’égard de l’une d’elles…