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Partir ou lutter ? En Vendée, la science convoquée face au risque de submersion

Alerte tempête. En cette journée de novembre, le vent souffle et la houle déferle sur les hauts murs protégeant les jardins de cinq maisons construites face à la mer, à Longeville-sur-Mer (Vendée). Depuis quelques mois, ces logements cossus, pour certains habités à l’année, font l’objet d’une étude scientifique inédite.

Placées à cet endroit de la côte, juste à côté de l’embouchure du Goulet, un fleuve côtier qui se jette dans l’océan, ces habitations créent un courant d’arrachement qui accentue l’érosion de la dune toute proche. Or, cette dune, qui ne cesse de s’amincir au fil des tempêtes, protège un lotissement de Saint-Vincent-sur-Jard, la commune limitrophe.

Que faire pour lutter contre l’érosion et les risques de submersion marine ? Rajouter du sable qui disparaîtra à la première marée ? Créer de coûteux enrochements pour faire barrage à la mer ? Laisser la nature faire son œuvre, avec tous les risques que cela induirait ? Ou encore démolir ces cinq maisons pour protéger le lotissement en contrebas ?

« Chacune de ces solutions pose des défis techniques, économiques et fonciers, commente Julie Lowenbruck, ingénieure au syndicat mixte du bassin du Lay, qui gère les milieux aquatiques et la prévention des inondations sur 92 communes de cette côte sud de la Vendée. Face à une situation aussi complexe, on avait besoin de se référer à la science. »

Xynthia et Signal, deux cas d’école

Son équipe a donc répondu à un appel à territoires volontaires lancé en janvier 2021 par l’observatoire régional des risques côtiers (OR2C) des Pays de la Loire (lire ci-dessous). « Nous sommes de plus en plus sollicités, même si toutes les collectivités ne sont pas concernées au même degré par les risques côtiers », observe Riwan Kerguillec, coordinateur de l’observatoire.

La prise de conscience des élus a été encouragée par deux « cas d’école ». La tempête Xynthia, en février 2010, qui a causé la mort de 29 personnes à La Faute-sur-Mer (Vendée), piégées par la montée soudaine des eaux. Et Le Signal, cet immeuble de Soulac-sur-Mer (Gironde) menacé par l’érosion côtière, qui devrait être démoli en janvier prochain après une longue bataille juridique.

Risque de submersion : la nature au secours du littoral

En raison de sa faible altitude, la région des Pays de la Loire est particulièrement soumise au risque de submersion. « On a à la fois des zones de marais potentiellement inondables et de hauts lieux d’érosion en Vendée, comme à Noirmoutier ou La Tranche-sur-Mer », décrit Riwan Kerguillec. Surtout, dans cette région très attractive, le littoral s’est beaucoup densifié et urbanisé. « La vulnérabilité d’un territoire tient surtout à l’excès de constructions situées trop près de la mer, poursuit-il. Rétrospectivement, il aurait fallu ne pas construire dans ces zones à risques… »

La piste de la relocalisation

Que faire pour s’en prémunir ? Continuer à lutter contre la puissance de la mer avec des ouvrages en béton ou engager, à certains endroits, un processus de relocalisation des habitats ou des activités ? « Il est évident qu’il faut continuer à entretenir les ouvrages et faire des rechargements réguliers de sable, comme à La Baule, réagit Marc Robin, professeur des universités et responsable scientifique de l’OR2C. Mais il y a une partie du territoire où cela ne sert à rien de dépenser de l’argent pour protéger des enjeux faibles. » Par enjeux faibles, on entend des zones à faible densité humaine.

« Bien sûr, il ne s’agit pas de demander aux habitants de faire leurs valises immédiatement, précise Manon Chotard, chargée d’études sur l’adaptation au changement climatique à l’université de Nantes. Mais ce sont des projets de long terme qui doivent être anticipés dès maintenant. » Une option encouragée par la loi climat et résilience, dont la mise en œuvre manque encore de clarté selon ces scientifiques.

Ateliers participatifs

Revenons à Longeville-sur-Mer. Depuis 2021 donc, une équipe pluridisciplinaire (géographes, paysagistes, juristes, économistes, psychologues…) accompagne le syndicat mixte du bassin du Lay dans une réflexion sur la relocalisation.

Durant un an, quatre ateliers participatifs ont été organisés, réunissant à chaque fois une quinzaine d’habitants. Ensemble, ils ont imaginé trois scénarios : la relocalisation (suppression des cinq maisons pour « re-naturer » la dune et renforcer son rôle protecteur du lotissement en contrebas), un dispositif de lutte active (créer un enrochement protecteur du lotissement) et une solution mixte (lutte active à court terme puis relocalisation à long terme).

Les scientifiques, qui ont également mené une enquête auprès de 165 habitants, remettront leur rapport à la fin de l’année et une restitution publique sera organisée le 9 février 2023. « Ce qui ressort de l’enquête, c’est qu’une acceptabilité pour la relocalisation semble envisageable sur le long terme, salue Manon Chotard. Quand on débutait nos études sur ce sujet en 2019, on évitait d’employer ce mot car il faisait peur aux élus. On parlait plutôt de recomposition spatiale… » Reste à agir sur l’irrésistible attrait du littoral. « C’est un tabou, un peu comme l’addiction à la cigarette, résume Riwan Kerguillec. On sait que c’est mauvais mais on y va quand même… »

« L’addiction » au bord de mer

Professeur des universités en psychologie sociale et environnementale à l’université de Nîmes, Oscar Navarro Carrascal a travaillé, avec l’OR2C, sur les ressorts culturels et psychologiques de cette attirance. « Le rêve d’un pied à terre à la mer est très valorisé dans notre société, et psychologiquement, regarder l’océan, entendre les vagues et sentir le vent marin fait beaucoup de bien. »

Dès lors, inutile d’attendre que les populations se raisonnent. « Seule une décision politique et collective peut fonctionner, estime-t-il. Les élus ont peur de la résistance populaire, mais nos institutions sont suffisamment solides pour prendre des décisions de protection, en amont et à certains endroits… » Dans ce petit secteur de Vendée qui concentre beaucoup d’enjeux, les élus devront trancher sur le scénario le plus adapté en 2023.

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L’alerte du Giec régional

L’OR2C. Piloté par l’université de Nantes, cet observatoire lancé en 2016 par le conseil régional réunit 34 partenaires publics pour améliorer les connaissances sur les risques côtiers, outiller les acteurs locaux et concevoir des solutions d’adaptation au changement climatique. Rens. : or2c.univ-nantes.fr

Dans les Pays de la Loire, le niveau de la mer devrait s’élever de 38 cm d’ici à la fin du siècle voire de 76 cm si les émissions de gaz à effet de serre restent à un niveau élevé, selon le rapport 2022 du Giec régional.