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« Pour éradiquer les passoires thermiques, le secteur bancaire doit s'emparer du sujet » (Benoit Bazin, DG de Saint-Gobain)

LA TRIBUNE - Au lendemain de la « COP27 » à laquelle vous avez participé et à la veille de la Journée internationale du climat, comment une multinationale spécialiste des matériaux de construction comme Saint-Gobain contribue-t-elle à la lutte contre le dérèglement climatique ?

BENOÎT BAZIN  - Le secteur de la construction représente 40% des émissions de gaz à effet de serre au monde. Pour avoir un impact positif il faut construire mieux et traiter le bâti existant pour éliminer les passoires énergétiques. Rien qu'en France les bâtiments existants représenteront encore 85% des bâtiments en 2050. Il faut agir massivement sur eux. Grâce à l'utilisation de nos solutions, des produits plus légers, des matières premières à moindre intensité de carbone, des substituts plus durables pour les matériaux existants, la construction durable et la rénovation apportent une réponse concrète et rapide au réchauffement climatique. Elles permettent à la fois de baisser la consommation et la facture énergétiques.

Pour ce faire, vous appelez à un « plan Marshall » de la rénovation. Les 2,6 milliards d'euros votés dans le budget 2023 pour le dispositif MaPrimeRénov' ne suffisent-ils pas selon vous ?

Face à la hausse des prix de l'énergie, le gouvernement a engagé environ 45 milliards d'euros de bouclier tarifaire. C'est indispensable pour les personnes aux revenus modestes. Mais à mon sens, il faudrait accroître la part des 2,6 milliards d'euros prévus pour MaPrimeRénov' dans le budget. Cela permettrait de se concentrer plus rapidement sur les passoires thermiques en aidant les ménages pour qu'ils aient un reste à charge le plus faible possible. Il faudrait surtout privilégier une rénovation énergétique globale, dont les résultats sont rapides, tangibles et pérennes, plutôt que des gestes isolés. Aujourd'hui la grande majorité des aides de MaPrimeRénov' est destiné à financer le changement d'un système de chauffage, au lieu d'être consacrées d'abord à des travaux d'isolation. Or il importe qu'un logement soit bien isolé pour qu'une pompe à chaleur puisse être efficace. En plus des sujets de sobriété énergétique et d'investissement dans les énergies décarbonées, la rénovation énergétique est efficace ici et maintenant pour économiser.

Que faire alors pour sortir de la rénovation par gestes et passer à la rénovation globale ?

La rénovation globale obéit à six gestes successifs qu'il faut réaliser dans le bon ordre : les ouvrants, l'isolation, les combles, la façade, le chauffage et enfin la ventilation si nécessaire. Il existe plus de 5 millions de passoires thermiques en France. Donnons-nous l'objectif d'en rénover 500.000 par an sur dix ans. Nous pourrions imaginer assortir les subventions d'une obligation de performance en fin de travaux. Et pourquoi pas créer un « passeport rénovation » qui permettrait d'obtenir des subventions croissantes en fonction du calendrier de réalisation des travaux. Il faut encourager chacun à réaliser ces efforts globaux dont les bénéfices sont perceptibles à court terme avec de vraies économies à la clef. Ce que je dis est vrai pour les bâtiments privés mais aussi pour les bâtiments publics. Avoir une meilleure qualité d'accueil et de travail dans nos hôpitaux, nos crèches, nos écoles, c'est bénéfique pour tous les Français. L'Etat et les collectivités publiques doivent donner l'exemple.

Faut-il donner plus de pouvoir aux élus locaux pour inverser la donne ?

Les élus locaux ont un rôle à jouer très important. Ils connaissent leur territoire et peuvent identifier facilement les bâtiments les plus problématiques. Ils ont aussi la possibilité de déployer des mesures incitatives pour encourager la rénovation.

Saint-Gobain pourrait-il jouer le rôle d'« accompagnateur Rénov » pour accélérer cette transition ?

Nous n'avons pas vocation à le devenir. Nous agissons en amont en fournissant les matériaux, en formant les artisans et en les mettant en relation avec les particuliers qui veulent faire des travaux de rénovation à travers le site « La Maison Saint-Gobain » en France. Nous contribuons ainsi au dynamisme de la filière des métiers de la construction. En 18 mois, cette filière a créé 100.000 emplois. Avec le programme de la Commission européenne « Fit for 55 » qui invite à multiplier par 2 voire par 3 le taux de rénovation, ce sont même 300.000 emplois qui pourraient être créés en cinq ans.

Dans ce contexte inflationniste, comment soutenez-vous les artisans en première ligne dans la rénovation ?

Nous échangeons régulièrement avec la Confédération des artisans et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB) et la Fédération française du bâtiment (FFB) pour anticiper la hausse des prix. Pour les artisans, nous avons 1,5 milliard d'euros d'encours de crédits ouverts chez Point.P pour des durées comprises entre 40 et 65 jours. Nous nous sommes engagés auprès d'eux à garantir les prix sur devis pour une durée d'un mois, à les informer d'éventuelles hausses de prix au moins huit jours à l'avance et à augmenter les prix seulement le 1er de chaque mois.

A défaut de rénovation, la sobriété, vantée et instaurée par les acteurs publics et privés, porte-t-elle suffisamment ses fruits selon vous ?

Chaque geste en faveur de la sobriété compte. Nous le voyons chez nos voisins allemands qui, en commençant leurs efforts dès début 2022, ont déjà réduit de 17% leur consommation d'énergie contre 6% en France. Chez nous, nous y travaillons tous les jours en optimisant nos procédés de production et en concevant des solutions alliant performance et durabilité pour la rénovation énergétique et la construction légère.

D'autant que l'inflation et les prix réglementés de l'énergie n'incitent pas à passer aux énergies renouvelables...

Les efforts de sobriété énergétique doivent effectivement être menés de pair avec une transition vers plus d'énergie renouvelable. Certains pays sont plus avancés que d'autres. En Norvège par exemple, nous allons inaugurer l'année prochaine la première usine zéro carbone de plaques de plâtre au monde grâce à la grande disponibilité en électricité verte locale. Saint-Gobain a signé en Pologne, en Espagne, en Amérique du Nord des accords d'approvisionnement en énergie renouvelable. Les choses bougent.

Quid des certificats d'économie d'énergie, méconnus du grand public et financés par les énergéticiens ?

Les certificats d'économie d'énergie sont une taxe carbone sur l'énergie qui ne dit pas son nom. Ils constituent une obligation de réalisation d'économies d'énergie par les fournisseurs d'énergie qui doivent promouvoir activement l'efficacité énergétique auprès des consommateurs d'énergie. C'est une mesure indolore pour les particuliers, qui mériterait d'être renforcée.

Là encore, les professionnels du bâtiment pourront-ils suivre ?

La rénovation est une réponse à la double crise climatique et énergétique, c'est un secteur d'avenir où chacun peut se sentir utile. Les métiers de la construction sont en pointe sur l'utilisation des technologies numériques et de la data. Dans nos entreprises, on parle mesure de la performance énergétique et réduction des émissions de CO2, innovation matériaux, jumeaux numériques, logistique moderne, intelligence artificielle ou maquettes numériques... Ces métiers répondent concrètement aux exigences de demain de construire un monde plus sobre et de contribuer au bien-être des individus, en luttant contre la précarité énergétique. Bref, on ne manque pas de travail !

A défaut d'atteindre les objectifs, faut-il revenir sur le calendrier d'interdiction à la location des passoires thermiques, comme en rêvent les bailleurs privés ?

Je ne pense pas. Ce sont des sujets qui nécessitent de la visibilité sur plusieurs années, ce que ces règlementations ont fait. Ensuite, il appartient à chacun de ne pas attendre d'être au pied du mur pour agir.

A condition qu'ils en aient les moyens...

Pour atteindre l'objectif d'éradication des passoires énergétiques, il faut aussi que le secteur bancaire s'empare du sujet pour faciliter l'accès au prêt des particuliers qui voudraient se lancer dans des travaux de rénovation globale. Or, alors que l'énergie coûte de plus en plus cher et que la capacité de remboursement peut s'en trouver affectée, c'est dans leur intérêt de considérer favorablement les efforts de rénovation des propriétaires qui leur permettront de faire des économies substantielles.

Rénovation énergétique : « très en retard », la France devrait investir cinq fois plus

La lettre ouverte des artisans à Elisabeth Borne

Dans un courrier adressé le 30 novembre à la Première ministre, le président de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb), Jean-Christophe Repon, appelle, notamment, à « une plus grande implication de l'industrie bancaire dans le financement des travaux de rénovation. »