France
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Près de 30% d’immigrés ou de descendants d’immigrés en France : qui s’est intégré, qui se replie sur ses origines ?

Des habitants de la ville de Saint-Denis en Ile-de-France.

© Ludovic Marin / AFP

Intégration

L'Insee a dévoilé une nouvelle étude sur les caractéristiques de l’immigration en France. Les immigrés représentent désormais 10% de la population française.

Jean-Paul Gourévitch est depuis 1987 consultant international sur l'Afrique, les migrations et l'islamisme radical. Il a enseigné à l'Université Paris XII Créteil. Écrivain, essayiste et formateur il est également spécialiste de la littérature de jeunesse. Il a notamment publié La France en Afrique 1520-2020 (L'Harmattan), La tentation Zemmour et le Grand Remplacement (Ovadia 2021), Le coût annuel de l'immigration (Contribuables Associés 2022).

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Atlantico : Selon l’Insee, la population compte désormais 10,3 % d’immigrés, 10,9% de descendants de 2eme génération, et 10,2% de 3eme génération. Les immigrés et leurs descendants représentent donc 31% de la population (+ de 20 millions de personnes). Que nous indiquent ces chiffres ?

Jean-Paul Gourévitch : Ces chiffres sont plutôt cohérents avec ceux que j’ai pu obtenir de mon côté, mais ils ne prennent en compte que l’immigration régulière. L’immigration irrégulière représente entre 300 000 et 900 000 selon les estimations, mais l’INSEE ne l’intègre pas. Je suis également récitent à parler de troisième génération. Parler d’immigrés et de descendants d’immigrés a du sens mais il me semble difficile de considérer qu’il y a un reste d’immigration à la troisième génération, ce qui ne veut pas dire que l’intégration a réussi pour autant. Il est important de faire la distinction entre les descendants de couples tous les deux étrangers et les descendants de couples mixtes. Mais si l’on cumule les deux cas, l’office français de l'immigration et de l'intégration estime que 20 à 25% de la population ont des racines avec l’immigration, soit plus que les chiffres de l’INSEE.

L’intégration se fait-elle plus facilement pour les descendants d’immigrés de 2 et 3 eme génération ?

La question est très complexe. Une troisième génération peut très bien ne pas être intégrée du tout ou être en conflit avec le pays d’accueil, mais il s’est passé tellement de choses entre les deux générations me fait dire que les racines avec le pays d’origine sont lointaines. En deuxième génération on a une partie intégrée, une partie pas du tout intégrée, en révolte contre le pays d’accueil et un entre deux. Il y a d’autant plus de chances que les immigrés résistent à l’intégration que les tensions entre leur pays d’origine et la France sont élevées. Il ne vont avoir aucune envie de se fondre dans le moule national ou de participer au récit national. Le sentiment antifrançais qui s’est développé, par exemple, au Mali rejaillit sur la diaspora malienne en France. Une part non négligeable ne se voit pas comme français.

Qu’est-ce qui fait, chez les immigrés et les descendants d’immigrés qu’il y ait intégration ou non ?

Il y a énormément de facteurs que l’on peut citer. Il y a souvent une difficulté pour les immigrés ou enfants d’immigrés à trouver un travail. L’insertion ou l’intégration se fait essentiellement par le travail. Les éléments que nous avons permettent de constater deux choses. les gens qui sont arrivés depuis 3 ans et bénéficient d’un titre de séjour n’ont, dans leur majorité, pas beaucoup trouvé de travail. 30 % seulement ont un travail dans l’économie formelle, 20% dans l’économie informelle. C’est 50% qui restent à la charge de la population. l’intégration par le travail n’est pas une réussite.

Dans le détail, il y a une majorité d’homme travaillant par rapport aux femmes.

Globalement, ce qu’on observe c’est que les immigrés venant des pays d’Europe l’Est trouvent facilement du travail, ceux du continent asiatique également, c’est plus compliqué pour les diasporas africaines, sauf dans des domaines particuliers : le spectacle, la mode ou l’hôtellerie-restauration. Il y a un retard des populations africaines par rapport à d’autres population. Il est difficile d’avoir des données plus précises et notamment des données par Etat.

Et ce durablement.

Par voie de conséquence, ils sont aussi plus pauvres.

D’autres part, dans les banlieues où les immigrés et descendants d’immigrés sont majoritaires, il y a des difficultés à avoir un cursus universitaire satisfaisant, même avec la discrimination positive, l’égalité des chances est à la peine. La dichotomie entre le langage parlé à l’école, dans la rue et dans la famille multiplie aussi les difficultés. C’est toujours moins difficile pour ceux qui réussissent à s’extraire de leurs quartiers.

Selon l’Insee, «20 % de la population parisienne est immigrée» et cette proportion atteint «33 % en Seine-Saint-Denis». Et, 37 % des immigrés habitent en Île-de-France, qui rassemble 18 % de l’ensemble de la population. Est-ce que vivre dans certains départements rend de facto plus difficile l’intégration ?

Je pense que ces chiffres sont sous-estimés, notamment en Seine-Saint Denis, où selon mes données plus d’une personne sur deux est d’origine étrangère directement ou par filiation. C’est le travail au niveau des communes ou par religion qui permet de faire ces estimations. Peut-être que c’est dû au fait que certains ne répondent pas aux statistiques, ce qui peut biaiser les résultats. Vivre dans une zone à majorité immigrée est un frein pour l’intégration car cela déclenche une modélisation des comportements qui fait qu’on a tendance à suivre la plus grande pente pour ne pas se différencier, ne pas être ostracisé. C’est valable à la fois sur le plan communautaire en termes d’origine mais aussi sur le plan religieux. C’est très clair dans le cas, par exemple, des violences faites aux femmes : un certain nombre d’entre elles ne portent pas plainte par peur d’être elles-mêmes stigmatisées.

L’immigration africaine est la plus nombreuse. L’importance des mouvements de population peut-elle compliquer l’intégration ?

La majorité des populations dans les périphéries des métropoles est d’origine africaine et notamment d’Afrique subsaharienne.  Dans ces populations, une grande partie des parents ne parlent pas français ou parlent mal français, cela ne va pas faciliter l’éducation des enfants.

«En 2007, plus de la moitié (51 %) des premiers titres de séjour délivrés à des ressortissants de pays tiers, toutes durées confondues, l’était pour motif familial. Ils ne sont plus que 32 % en 2021».  L’évolution d’une immigration familiale à une immigration étudiante favorise-t-il l’intégration ?

Ce ne sont pas les mêmes types d’immigration. L’immigration étudiante est une immigration solitaire là où l’immigration familiale est collective. Et nous ne savons absolument rien sur le devenir des étudiants étrangers et notamment africains en France. L’Etat ne veut pas le savoir. Mais un immigrant étudiant est obligé d’avoir, au minimum, des rudiments de Français et voire une bonne connaissance. Donc la question de maitrise de la langue ne se pose pas de la même manière que pour l’immigration familiale. Ce n’est pas suffisant pour permettre l’intégration, mais c’est un élément clé.

La religion peut aussi jouer un rôle communautaire importante et limiter l’intégration. Les immigrés et descendants d’immigrés, notamment africains, sont plus nombreux à appartenir à une religion et à la pratiquer.

L’intégration ne peut se concevoir que quand elle n’est pas concurrencée ou devancée par l’intégration par la rue. Parler d’intégration simplement par l’école ou le travail face à la concurrence de la rue de la religion et de l’économie informelle est compliqué.

On tient trop peu compte de l’influence que les diasporas ont sur les populations qui les composent, même si elles ne sont pas réunies en associations ou encartées dans des groupements. Ce qu’il est intéressant de regarder, c’est la manière dont les diasporas perçoivent l’intérêt ou non de participer à la vie politique, sociale, économique et religieuse du pays.

Quid des enfants ?

Côté enfant, nous avons quelques éléments mais ils sont dispersés. Les résultats scolaires ne prouvent pas l’intégration mais ils en sont un élément constitutif important. Quelqu’un réussissant à s’en sortir avec brio du milieu scolaire pourra être considéré comme intégré ou comme ayant toutes les chances de l’être. Quelques éléments peuvent être mentionnés. Les élèves filles sont meilleures que les garçons dans toutes les diasporas, sauf dans les immigrés venant d’Asie où les résultats sont globalement équivalents. Le deuxième élément est que l’on a constaté que lorsqu’il y a un grand nombre de jeunes issus de l’immigration dans un établissement scolaire, les résultats sont bien moins bons que quand ces jeunes sont en petit nombre dans une masse non-issue de l’immigration. Il  y  a un effet cumulatif. Les difficultés scolaires sont concentrées sur les populations maghrébines et africaines pour des raisons de langage. Souvent les parents ne parlent pas français à la maison, même si les parents sont initialement francophones. Et la francophonie ne garantit pas nécessairement de bien parler, comprendre et écrire le français. Il semble y avoir une exception statistique, d’après les quelques données, dont l’on dispose, sur les résultats scolaires des capverdiens.

Que retenir de ces données ?

Le fait d’avoir été débordé par une immigration non choisie n’a pas permis aux structures de l’Etat de s’adapter à ce nouvel état de fait. On a improvisé, et parfois pas si mal que ça, rapport après rapport. Mais il n’y a pas eu de plan général concerté. A titre personnel, j’ai l’impression que l’on manque d’un projet qui solidarise les diverses communautés qui existent en France.

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