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Prévention médicale: ce que la France peut apprendre du modèle américain

Temps de lecture: 8 min

Dans une interview donnée au Journal du dimanche et parue le 17 septembre 2022, le ministre de la Santé et de la Prévention, François Braun, a expliqué que des consultations médicales gratuites seront proposées aux Français à 25 ans, 45 ans et 65 ans. Cette mesure, annoncée comme une entrée dans «l'ère de la prévention», sera intégrée au prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale, alors que la France est aujourd'hui considérée comme le parent pauvre de la prévention en santé à l'échelle de l'Europe –où, en moyenne, 3% des dépenses de santé sont consacrées à la prévention, contre 2% en France.

Force est de reconnaître que l'Hexagone n'est pas un bon élève en prévention et c'est quelque chose que l'on peut assez bien quantifier en comparant l'espérance de vie et l'espérance de vie en bonne santé avec ses voisins. En effet, les Français vivent longtemps (en moyenne 85,3 ans pour les femmes et 79,3 ans pour les hommes), ce qui nous place en tête –avec l'Espagne– des pays européens.

Mais en matière d'espérance de vie en bonne santé, la France se classe 9e: 64,1 ans chez les femmes et 62,7 chez les hommes, tandis que la moyenne en Europe est respectivement de 64,2 et 63,5 ans (en Suède, elle atteint 73,3 ans chez les femmes et 73 chez les hommes). En d'autres termes, la France a un système de soins performant et capable de maintenir les gens en vie longtemps.

Mais du côté de la prévention des maladies potentiellement graves et des affections chroniques et/ou invalidantes, nous sommes à la traîne. Ce constat se retrouve à d'autres moments de la vie que celui de l'entrée dans le troisième âge, et tout particulièrement chez les jeunes, avec notamment une augmentation de 30% des infections sexuellement transmissibles (IST).

Si l'adage «mieux vaut prévenir que guérir» nous est bien connu, nos gouvernants ont tendance à être plus à l'aise dans la gestion de crise à court terme que dans l'investissement sanitaire sur le long terme. Et, nous voyons bien à travers l'expérience de la crise du Covid, combien il est frileux lorsqu'il s'agit de mettre en œuvre des stratégies de prévention sûres et fondées sur des preuves scientifiques –telles que le port du masque en lieu clos ou l'amélioration de la qualité de l'air intérieur.

Bien cibler les dépistages, et ne pas en faire plus que nécessaire, c'est aussi protéger les patients, notamment contre la surmédicalisation.

Avec cette proposition de trois consultations médicales, ainsi qu'avec celle de rendre gratuit et accessible sans ordonnance le dépistage de toutes les IST jusqu'à 26 ans, le gouvernement fait un pas en avant vers la prévention et c'est une bonne nouvelle. Ceci posé, il faudra voir comment ces consultations seront utilisées et qui en bénéficiera vraiment.

La prévention est un domaine vaste qui nécessite des modifications de la réglementation, de l'économie, de l'environnement et des changements de nos comportements individuels. Mais on ne peut pas se permettre de rentrer dans le quotidien des citoyens, de les enjoindre à modifier leurs habitudes de vie sans faire reposer ces recommandations sur des données scientifiques solides.

L'exemple américain

Aujourd'hui en Europe, nous n'avons pas véritablement d'instance indépendante qui travaille sur les actions de prévention à recommander et qui rassemble les données sur leurs bénéfices éprouvés. Une telle instance existe aux États-Unis: The U.S. Preventive Services Task Force (USPTF). Il s'agit d'un groupe indépendant d'experts des soins primaires et de la prévention, qui examine systématiquement les preuves d'efficacité et élabore des recommandations en matière de prévention médicale.

Ce groupe de spécialistes a exclu d'emblée les vaccinations de son champ de compétences, reconnaissant l'extraordinaire bénéfice des vaccins en matière de prévention, mais jugeant à juste titre que ce chapitre de la prévention était correctement traité et suivi par d'autres instances.

La Task Force s'est également limitée à la prévention médicale, c'est-à-dire aux services médicaux en matière de prévention, ne traitant pas des aspects qui sortent aussi de son champ de compétences, comme la sécurité routière, les infrastructures du bâti, ou le rôle des taxes et des règlementations pour freiner l'usage de drogues licites ou illicites comme le tabac, l'alcool ou le cannabis.

L'USPTF a identifié à ce jour quarante-cinq interventions que l'on peut proposer aux Américains (et donc que l'assurance maladie doit prendre en charge) de «grade A ou B», c'est-à-dire dont l'efficacité est non seulement substantielle mais aussi fondée sur un corpus d'études scientifiques convaincantes.

Bien cibler les dépistages et ne pas en faire plus que nécessaire, c'est aussi protéger les patients, notamment contre la surmédicalisation, comme le signale la revue Prescrire dans son numéro d'octobre 2022, avec un article portant sur les check-ups réalisés sur des personnes âgées de moins de 65 ans et ne présentant aucun symptôme: «De tels “bilans de santé” exposent à la découverte et au traitement d'affections qui n'auraient entraîné ni symptômes ni la mort (surdiagnostic et surtraitement) et aux effets indésirables de ces traitements inutiles. Au total, les données d'évaluation ne démontrent pas que la réalisation, périodique ou non, de tels examens influence tangiblement l'état de santé des personnes qui s'y soumettent. On ne sait pas dans quelle mesure la répétition de ces examens expose à des diagnostics et traitements par excès. Quelques essais ont montré un plus grand nombre de diagnostics de maladies chroniques, mais sans preuve d'un avantage sur l'évolution de ces maladies. Ces résultats incitent à ne pas effectuer simultanément un grand nombre d'examens de dépistage. Mieux vaut ne proposer que les dépistages qui ont une balance bénéfices-risques démontrée favorable pour les patients.»

Sur ces quarante-cinq interventions recommandées par l'USPTF, seules douze sont de grade A, c'est-à-dire qu'elles constituent des mesures de prévention comportant une probabilité élevée de bénéfice sanitaire élevé. Il nous semble intéressant de détailler ici celles qui portent sur les adultes et adolescents, hors grossesse (enfants et femmes enceintes font aussi l'objets de recommandations spécifiques sur leur site). Ces mesures pourraient constituer une forme de socle pour le programme de prévention prévu par le gouvernement français; en tout cas, il nous assurerait une bonne confiance dans l'efficacité des interventions.

Nous avons tenté d'être exhaustif et de lister toutes les mesures ayant fait la preuve de leur utilité. The U.S. Preventive Services Task Force recommande donc:

À tous les âges de la vie d'adulte:

  • dépistage de l'hypertension artérielle
  • recherche d'un tabagisme et proposition d'un plan d'arrêt du tabac (dès 18 ans)
  • dépistage du VIH
  • prévention du VIH avec prescription de la PrEP aux personnes exposées
  • dépistage du cancer du col de l'utérus (dès 21 ans)
  • dépistage des carences en acide folique chez les femmes en âge de procréer
  • dépistage de la syphilis
  • dépistage du cancer colorectal (à partir de 45 ans)

Parmi les interventions de grade B:

  • le recours aux statines dans la prévention des maladies cardiovasculaires, après 40 ans en cas de facteurs de risques
  • dépistage du cancer du sein par la mammographie chez les femmes de plus de 50 ans
  • prévention des cancers de la peau claire par l'information sur les risques de l'exposition aux UV (dès l'âge de 6 mois)
  • dépistage du cancer du poumon chez le fumeur et l'ancien fumeur de plus de 50 ans
  • dépistage des IST (chlamydia, gonorrhée, hépatite B)
  • prévention des IST avec administration de conseils comportementaux destinés à réduire les risques
  • dépistage des usages dangereux de drogues (incluant l'alcool) et prise en charge adaptée
  • prévention du tabagisme chez les adolescents
  • dépistage des violences conjugales chez les femmes et prise en charge adaptée
  • dépistage de la dépression et prise en charge spécialisée
  • recommandations portant sur l'activité physique et sur l'alimentation pour prévenir les maladies cardiovasculaires
  • interventions visant à proposer aux personnes obèses (IMC >30) de perdre du poids
  • dépistage du diabète de type 2 chez les personnes en surpoids
  • dépistage de la tuberculose silencieuse dans les populations à risque
  • dépistage de l'ostéoporose chez les femmes de plus de 65 ans
  • dépistage de l'anévrisme de l'aorte abdominale chez les fumeurs ou anciens fumeurs de plus de 65 ans

Quelle adaptation au système français?

Nous le voyons, ces mesures de prévention en santé nécessitent d'être mises en œuvre de manière encadrée, associant souvent des examens en dehors du cabinet médical mais aussi du temps –non seulement pour la première consultation, mais également pour le suivi des personnes qui pourront, selon les cas, être prises en charge par le médecin traitant ou être orientées vers des spécialistes.

En plein contexte de pénurie de médecins (notamment généralistes), on peut craindre des difficultés de mise en place de ces mesures, dont il est démontré pourtant l'utilité en matière de prévention. Il sera peut-être opportun de préconiser –même si cela ne résoudra pas le fond du problème– la réalisation d'examens, tels que bilans sanguins et dépistage des IST, en amont de ces consultations afin de gagner du temps. L'USPTF est précise et rigoureuse sur ces points et il pourrait ne pas être nécessaire de réinventer la roue, mais une adaptation à la situation européenne serait bienvenue.

Le problème majeur est le risque que ces consultations gratuites ne profitent toujours qu'aux personnes qui ont déjà un bon accès aux soins.

En outre, il faudra s'appuyer sur les réseaux de professionnels de santé –maisons de santé, communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), etc.– pour assurer une prise en charge et un suivi pluri-professionnel de manière à inclure notamment les infirmières, les sages-femmes, les kinésithérapeutes, les psychologues, etc.

Le problème majeur est le risque que ces consultations gratuites ne profitent toujours qu'aux personnes qui ont déjà un bon accès aux soins, une littératie en santé suffisante, et qui peuvent prendre le temps d'aller consulter. Le fait que les personnes les plus pauvres et les plus précaires délaissent les questions de prévention est largement documenté désormais.

Sans véritable politique d'aller vers ces personnes, ces trois consultations, tout aussi gratuites soient-elles, pourraient fort rester lettre morte auprès de ces publics qui en ont pourtant le plus besoin... et au pire, risquer de creuser plus encore les inégalités sociales de santé.

Nous ne faisons pas ici de la simple rhétorique: nous l'avons constaté en France, il y a quelques années, lors de l'initiation des campagnes contre le tabagisme. Selon l'Insee, en 1980, 45% des hommes cadres fumaient; après les campagnes de prévention, en 2003, ils n'étaient plus que 24%, un chiffre proche de la cible à atteindre selon l'OMS. Durant la même période, alors que seulement 19% des femmes ouvrières fumaient en 1980, elles étaient devenues 31% en 2003. Les campagnes nationales de prévention contre le tabagisme n'avaient fait que creuser les inégalités de santé présentes et à venir. Devant ce danger réel, il serait plus que pertinent de consulter et d'intégrer à cette réflexion les experts et les associations en santé publique qui connaissent bien ces problématiques.

Il importe également qu'au niveau de la société, des mesures permettant de suivre les conseils de prévention fournis par le médecin soient facilitées. L'alimentation saine et équilibrée, qui permet de prévenir de nombreuses maladies chroniques, coûte beaucoup plus chère que la junk food et les aliments transformés: comment la rendra-t-on accessible aux personnes les plus pauvres de la société? La promotion de l'activité physique nécessitant des infrastructures adaptées, les développerons-nous aussi dans les quartiers défavorisés? Qu'en sera-t-il du remboursement des interventions en activité physique adaptée (APA), des préservatifs, des politiques de vaccination –notamment contre le HPV et l'hépatite B?

Un système de santé performant s'est développé en France depuis l'après-guerre autour du ministère chargé de la Santé, avec un classement remarquable du pays en matière d'espérance de vie. Souhaitons qu'un système de prévention et de santé publique performant se mette désormais en place autour d'un ministère de la Santé et de la Prévention, que l'on évaluera sur l'amélioration de l'espérance de vie en bonne santé.