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Procès de l’attentat du 14-juillet à Nice : « J’ai mis mon doudou dans son cercueil et j’ai gardé le sien »

A la cour d’assises spécialement composée de Paris,

Du haut de ses 20 ans, Audrey porte sur ses frêles épaules toute la misère du monde. Il a fallu beaucoup de courage à cette jeune femme coquette pour venir, ce mardi, parler, à la barre de la cour d’assises spécialement composée, de sa sœur jumelle, Laura, tuée lors de l’attentat de Nice, en juillet 2016. Sur un mur de la salle d’audience, une photo des deux filles, alors adolescentes, est projetée. « On était comme cul et chemise », raconte-t-elle avec ses mots, tandis que les larmes roulent sur ses joues. « On se ressemblait comme deux gouttes d’eau. C’était mon miroir. Elle avait mon caractère, j’avais le sien. On n’avait aucun secret l’une pour l’autre. Elle me racontait tout, elle était mon journal intime. C’était l’amour de ma vie, la moitié de ma vie. »

De longs cheveux blonds, pull sans manches motif nid-de-poule, haut noir, Audrey tient avant toute chose à rendre hommage à cette sœur qui avait « le cœur sur la main », « savait écouter » et avait « tellement d’amour pour sa famille et ses amis ». « Elle avait des rêves, comme tous les enfants, et des passions. On faisait le même cours de danse, on dormait dans la même chambre, on faisait des bêtises à deux. » Cette soirée du 14-Juillet 2016, Audrey s’en souvient « à la perfection ». A l’époque, les jumelles sont âgées de « 13 ans et demi » et sont en classe de 4e. En vacances, elles ont demandé à leurs parents de les accompagner sur la promenade des Anglais, où elles avaient donné rendez-vous à leurs copains. Elles ont mangé une glace, rigolé avec leurs amis sur la plage.

« J’ai eu l’impression de sentir son dernier souffle »

Audrey était même « rassurée », car ce soir-là, sa sœur s’était réconciliée avec leur mère, après une dispute la veille. Tout était « incroyable ». Jusqu’au moment où elle aperçoit Mohamed Lahouaiej Bouhlel, au volant d’un poids lourd, foncer dans la foule. Elle entend des cris qui résonnent toujours dans sa tête six ans plus tard. Le camion arrive sur elle à toute vitesse, « tout feu éteint ». A peine a-t-elle le temps de « pousser » sa copine qui se trouvait sur la trajectoire du terroriste. En une fraction de seconde, la soirée magique vire au cauchemar. Elle saute sur la plage, quelques mètres plus bas, pour se mettre à l’abri. Sa maman la suit. Mais Laura, elle, est absente. « Où est-ce qu’elle est ? C’est la question qui tournait en boucle toute la soirée. »

Aujourd’hui encore, elle se rappelle des corps parsemés sur la promenade des Anglais, recouverts de drap, et de « l’odeur du sang ». Audrey a un mauvais pressentiment. « J’ai eu l’impression de sentir son dernier souffle. C’était ma sœur jumelle, je ressentais tout ce qu’elle avait, sa tristesse, sa colère. Et là je ne la sentais plus. » Pourtant, elle garde espoir de la retrouver vivante. Peut-être a-t-elle eu le temps de se réfugier quelque part. Tandis que ses parents restent en ville pour chercher leur fille, Audrey rentre à la maison. « La première chose que mon frère m’a dite c’est : "pourquoi vous êtes sortis ?" Il nous a engueulées comme si c’était de notre faute », se rappelle-t-elle encore. La jeune fille va alors se coucher, épuisée et apeurée, en espérant revoir sa sœur à son réveil.

« J’ai crié, tellement crié, je ne voulais pas y croire »

Mais le lendemain, Laura n’est pas là. « J’ai entendu mes parents dans le salon. Ma mère était assise, on aurait dit un zombie. Elle n’avait pas dormi, elle était pâle, mon père était au téléphone. » Avec ses copines, elle appelle tous les hôpitaux, « pour savoir s’ils avaient retrouvé ma jumelle. » En vain. Trois jours plus tard, à la maison des victimes, un commissaire a demandé à lui parler, ainsi qu’à sa sœur et son frère. Les paroles du policier l’ont sonnée. « Il a dit : "J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne, c’est qu’on a retrouvé votre sœur, la mauvaise c’est qu’elle est sans vie". » Audrey sort dans le couloir et s’effondre. « J’ai crié, tellement crié, je ne voulais pas y croire. »

Elle se rappelle ensuite de sa mère, assise sur un lit à l’hôpital Pasteur, qui pleurait. Et qui, en la voyant, a crié au personnel : « Regardez, c’est ma fille, c’est Laura. Elle n’est pas morte. » Audrey comprend qu’elle va devoir quitter ses parents quelques semaines, le temps pour eux « d’accepter que je sois Audrey et pas Laura ». Les obsèques de sa sœur sont une épreuve, quasi insurmontable pour la famille. Audrey lui a choisi une robe rose, « sa couleur préférée », et des chaussures blanches. « J’ai mis mon doudou dans son cercueil et j’ai gardé le sien », souffle-t-elle, des sanglots dans la voix, un kleenex dans la main. Dans le « trou » dans lequel on a mis le cercueil, la jeune fille a jeté une fleur et répété à sa sœur à quel point elle l’aimait. Depuis, elle se rend au cimetière chaque année, pour leur anniversaire, pour Noël. « Je n’arrive pas à y aller toute seule, mais pas avec mes parents, car je n’arrive pas à les voir pleurer. »

« Vous m’avez enlevé ma sœur mais pas ma force »

Une question la hante depuis le drame. « Comment vais-je faire pour avancer sans elle dans ma vie ? » Dans ses prières, Audrey demande à sa jumelle de lui « donner la force de continuer ». Elle est parvenue à obtenir un CAP et un Bac pro malgré ses « envies suicidaires ». Mais sa jeunesse a été complètement gâchée par Mohamed Lahouaiej Bouhlel. « J’ai peur d’être dehors, des feux d’artifice, poursuit-elle. Je crains les boîtes de nuit, la foule, les regroupements, les manifestations. Je crains tout. » Audrey est « rongée par la colère », par la « peine ». Elle en veut « à tout le monde » et s' « embrouille beaucoup » avec ses parents. Elle tente malgré tout de sortir la tête de l’eau, veut réussir professionnellement.

Puis elle se tourne vers les accusés. « Vous, assassins de ma sœur, oui vous. Regardez-moi, regardez ma sœur que vous m’avez enlevée. Vous avez le privilège de voir son double, mais n’oubliez jamais la colère qu’il y a sur mon visage. » Elle ajoute : « J’ai cette force de vous parler, vous m’avez enlevé ma sœur mais pas ma force, vous n’avez fait que l’endurcir. »