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Quand un marché public déraille à la gare de Lyon Perrache

C’est comme si une tornade était passée dans la gare routière de Lyon Perrache. Des déchets éparpillés partout aux arrêts de bus, des détritus qui habillent le sol, des emballages plastiques qui font partie du décor. « Voir la gare où nous travaillons depuis des années dans cet état nous fait mal au cœur mais nous n’avons pas le choix », se désole Saber Barchouchi, chef du site et délégué FO. Cette situation n’est pas sans raisons. « Imaginez-vous quelqu’un qui vient travailler ici de 6 heures à 13 heures, tous les jours pendant 33 ans puis, du jour au lendemain, on lui dit qu’il sera licencié. C’est un coup de massue », confie-t-il.

Ce mercredi 23 novembre marque la 43e journée de mobilisation consécutive pour les salariés de la société Arc-en-Ciel, filiale du groupe T2MC, au centre d’échange Lyon Perrache (CELP). La collectivité a décidé d’accorder le marché public, jusqu’à présent détenu par l’entreprise de nettoyage, à une structure d’insertion afin « d’accompagner dans l’emploi des personnes prises en charge au titre de l’action sociale ». Dans ces conditions, le futur repreneur ne peut donc garder les employés actuels. Résultat : au 1er janvier prochain, les 22 salariés du site risquent d’être licenciés.

«Nous voulons juste travailler»

Ce matin-là, ils sont une dizaine à occuper le piquet de grève dans la gare de Perrache. Devant les passants qui défilent, deux tables sont alignées de sorte que puisse s’y lire « En grève pour nos emplois ! » sur une banderole déployée. « La métropole veut se diriger vers des marchés responsables, écologiques, sociaux mais 22 salariés vont être licenciés et on parle de social ? Ils vont ramener d’autres personnes à notre place qui vont faire le même boulot », fulmine le représentant FO.

Un constat partagé pour Tewfik. Les cheveux grisonnants et vêtu d’un survêtement de l’équipe de foot du Bayern de Munich, il s’étonne de l’absurdité de la situation : « Je n’avais jamais vu une grève pour le travail. Nous ne demandons même pas d’augmentation de salaire, nous voulons juste travailler », peste-t-il. Et qui dit mobilisation dit retenue sur salaire. Pour ce père de quatre enfants, la fin du mois risque d’être difficile : « Nous allons passer les mois de novembre et décembre avec la caisse de grève. Tu images, toi, 22 salariés se partager 500 ou 1 000 euros ? »

Les acteurs se renvoient la balle

À l’intérieur de la gare, des voyageurs s’arrêtent autour du piquet par intervalle régulier. « C’est quand l’échéance ? » interroge furtivement une dame. « Que se passe-t-il », demande un passant. D’autres, tiennent parfois des propos plus méprisants. « C’est ici Marseille Saint Charles ? Ça y ressemble quand les éboueurs font la grève », ricane un jeune homme. Les salariés en lutte encaissent, pris au piège entre leur employeur et le donneur d’ordre, la Métropole de Lyon. Les deux parties ne cessent de se renvoyer la balle. L’une estime que c’est à l’autre de proposer une solution de reclassement à ses salariés tandis que l’autre soupçonne la colléctivité de jouer sur ses dépenses avec ce nouvel appel d’offres. « La métropole cherche à enlever les salariés pour réaliser des économies  en passant par un marché d’insertion. Comme elle fait appel à une société qui bénéficie de subventions, les coûts seront nettement moins importants », suspecte Mohamed Tandert, président du groupe T2MC.

Une affirmation que rejette la collectivité. Le marché attribué à la structure d’insertion coûte effectivement « moins cher », reconnaît Bertrand Artigny. Mais son attribution n’a rien à voir une logique de « rentabilité économique ». Le vice-président de la métropole de Lyon souhaite accompagner des personnes en difficulté avec cette initiative. « Si on veut que toute la population qui habite la métropole puisse bénéficier du regain économique, il faut que la commande publique agisse. Ce n’est pas une entreprise privée qui agira (…) La stratégie, c’est de faire en sorte qu’on puisse aider les populations qui sont le plus éloignées de l’emploi », se défend-il.

Quitte à laisser les agents de nettoyage au chômage ? À en croire l’employeur, Mohamed Tandert, le licenciement économique est la seule solution. « Nous sommes obligés de passer par un PSE (plan de sauvegarde de l’emploi). Le problème est que notre activité dans le nettoyage s’effectue essentiellement en temps partiel. Nous ne disposons donc que de ce genre de postes sur nos autres sites à Lyon pour des reclassements. Certains salariés n’en veulent pas. »

Communistes et Insoumis contre les supression d’emplois

Mais la porte semble toutefois s’entrouvrir du côté de la métropole. « Si une bonne négociation se produit en interne, dans le cas où le groupe T2MC veut lancer un PSE, alors je vous fais le pari qu’il n’y aura aucun chômeur », raisonne Bertrand Artigny. Avant de souligner qu’il « devrait avoir d’ici quelque temps des propositions » faites à la DRH du groupe T2MC, en fonction des « gens qui resteraient sur le carreau ».

Le sort de ces salariés ne laisse pas les èlus de la collectivité insensibles. Lors d’un conseil de la Métropole le 21 novembre, les groupes «Métropole Insoumise, Résiliente et Solidaire», ainsi que «Communiste et Républicain», ont interpellé le président de Grand Lyon, Bruno Bernard. « Nous savions que la réorganisation du Centre d’échanges Lyon Perrache allait conduire dans un an à la fin des marchés de nettoyage sous leur forme actuelle, mais cela ne doit pas conduire, ni maintenant ni dans un an, à supprimer des emplois », explique les élus communistes sur leur site. Pierre-Alain Millet, conseiller métropolitain PCF, précise : « Le vice-président Bertrand Artigny a expliqué que la métropole assumerait ses responsabilités. Ça veut dire qu’elle proposera des solutions, évidemment dans le cadre de l’emploi public (…) Mais le directeur d’Arc-en-Ciel doit contribuer à la solution » estime-t-il.

Le mouvement de grève a débuté le 10 octobre et les salariés sont donc toujours dans le flou. « Il faut que la rencontre entre la Métropole et le patron d’Arc-en-Ciel conduise à des solutions » affirme l’élu. Et celles-ci pressent, parce que l’on se rapproche rapidement du 1er janvier, date fatidique pour les agents de nettoyage.